vendredi 25 juin 2010

APOCALYPSE NOW (1979-2001) de Francis F. Coppola, par Luc B.






Le cinéma est affaire de point de vue. Comment des metteurs en scène voient-ils la guerre, ou le Vietnam en particulier ? Michael Cimino (VOYAGE AU BOUT DE L'ENFER) Oliver Stone (PLATOON) Kubrick (FULL METAL JACKETT) et Coppola, chacun a son point de vue sur cette guerre, chacun a réalisé un film différent, chacun a réalisé un film "définitif" sur ce conflit. Coppola a laissé le réalisme social, ou le politique de coté... Il a choisit la voie de l'expressionnisme, une réflexion très personnelle, une introspection sur fond d'opéra-rock sanglant.
APOCALYPSE NOW est une œuvre incontournable du cinéma américain, qui témoigne autant de la guerre, que du cinéma de ces années là, que de la manière dont on faisait du cinéma. C'est un des films majeurs de ce qu'on appelle "le Nouvel Hollywood", période bénie où le metteur en scène était redevenu le roi. Coppola, Splielberg et Georges Lucas régnaient alors au sommet du box office, et rêvaient de devenir les nouveaux cinéastes classiques, à l'instar des Huston, Ford, Hawks.  Mais c'est aussi le dernier grand film de cette période, celui après lequel le système s'est écroulé, où les studios ont repris le contrôle. Un tournage tel que APOCALYPSE NOW ne serait plus possible aujourd'hui (plus d'un an de tournage aux environs de Manille, alors en guerre, où Coppola avait emmené toute sa famille) cette manière de travailler au jour le jour, sous acide, dans une jungle déchaînée, et les typhons (qui ont détruit les décors, qui empêchaient les équipes de se rendre sur le plateau). Coppola a été jusqu'au bout de l'enfer pour achever son film, hypothéquant sa fortune, ses maisons, il aurait vendu son âme pour sa grande œuvre, immense, boursouflée, mégalo. Coppola cherchait l'excellence, doutant à chaque instant. Les éléments étaient contre lui, il a fallu improviser, retravailler sans cesse un scénario trop étroit pour lui. Car s'il parle de la guerre, Coppola y parle surtout de lui-même, confronte sa vie et les relations avec son père, dans les relations entre le commandant Willard et le colonel Kurtz. L'identification avec Willard s'est effacée au fil du tournage avec l'identification au tyran Kurtz, dans la manière dont il menait ses équipes. Son couple en a d'ailleurs souffert. Sa femme Eleanor était présente pour filmer le making-off, ses images serviront plus tard au documentaire "Aux coeurs des ténèbres". Comme le Kurtz en prince maudit, régnant sur sa colline, Coppola apparaît comme le dernier grand nabab hollywoodien. 



Robert Duvall (avec un faux air de De Niro, non ?) : il aime Wagner et l'odeur du napalm au petit matin...

Sur le plan artistique, ce film est une réussite totale. Martin Sheen y a trouvé le rôle de sa vie (Steve McQueen pressenti avait finalement refuser un tournage délocalisé, et Harvey Keitel avait commençait le tournage avant d'être remercié). Il a failli en crever (infarctus). Il est parfait dans le rôle de ce soldat en mission, naviguant sur ce fleuve dangereux, conduisant au pays de la folie, au cœur des ténèbres (titre de la nouvelle de Conrad dont est tiré l'histoire). Souvenez-vous de tous ces personnages, Robert Duval en colonel cinglé qui "adore l'odeur du napalm au petit déjeuner" et qui massacre du Vietnamien en balançant du Wagner, la délicieuse Aurore Clément dans sa plantation française, parenthèse avant le déluge final (toutes les scènes de la plantation française qui avait demandé beaucoup de temps et couté une fortune ont finalement été coupées pour le montage de 1979), Dennis Hooper en photographe junkie et fou, paumé dans sa secte de pacotille, sans oublier le jeune Harrisson Ford. Et bien sûr Marlon Brando, immense, bestial, sanguinaire, dont les premières apparitions en clair/obscur restent mythiques. Saluons la magnifique lumière du film, mise au point par le directeur photo Vittorio Storaro. On a beaucoup parlé des relations entre Coppola et Brando. Ce dernier est arrivé sur le tournage obèse, sans script à se mettre sous la dent. De longues journées d'improvisation ont été nécessaires pour construire le personnage, dont les contours sont restés flous jusqu'au dernier moment. Coppola a passé un an et demi à chercher la fin de son intrigue, et ce n'est qu'au montage, après plusieurs versions, qu'il a enfin trouvé ce qu'il souhaitait.  


de gauche à droite : Dennis Hopper et son bandeau rouge, Martin Sheen au premier plan, déterminé, et Frederic Forrest qui porte très bien la casquette...

Francis F. Coppola mène son récit de manière impériale, réussissant chaque scène, des premières images de bombardement sur "The End" des Doors, à l'attaque en hélico, au spectacle des Bunnies de Playboy, les mitraillages de nuits face à un ennemi invisible (qui ont coûté des fortunes en balles, explosifs et effets de fumigène), et toutes les séquences en bateau, où la tension et le danger sont palpables, où la mort rôde, le doute, la peur, où la folie gagne du terrain, gagne les esprits. Et que dire du sacrifice final, orgie de sang, de boue, de crânes empilés. La scène du buffle est directement inspirée d'un rite réellement exécuté par la tribu qui jouait dans le film. Qui pourrait aujourd'hui massacrer un buffle à la machette sur un tournage de film ? Qui pourrait aujourd'hui faire exploser des tonnes de napalm au dessus d'une forêt ? Tous les effets du film sont réels, les techniciens allumaient de vrais incendies, qui étaient filmés ensuite. Vision d'apocalypse, de fin du monde, le cauchemar était autant au Vietnam que dans la tête de Coppola, pour accoucher d'une œuvre aussi lyriquement noire !


Marlon Brando, le monstre, lâché en pleine jungle, dans tous les sens du terme. Ses monologues étaient d'abord improvisés. La légende prétend que Brando ne jouait que si on lui filait des valises de dollars, sans quoi il menaçait de quitter ce tournage de dingue... mais les légendes, faut s'en méfier, il avait déjà reçu un cachet conséquent avant le tournage ! 

Francis Ford Coppola avait reçu la palme d'or à Cannes pour son film, alors que la version montrée au jury n'était que provisoire. Vingt ans plus tard, le metteur en scène sortait une version complète, de plus de trois heures. De longues scènes montrent la troupe de soldats faire halte dans une plantation française, dirigée par Aurore Clément et Christian Marquand. Des scènes qui avaient nécessitaient une reconstitution minutieuse, des décors et accessoires somptueux, qui ont plombées  un peu plus le budget ! Même Coppola a fulminé contre ses collaborateurs zélés, puisque nombre d'éléments de décor n'apparaissaient même pas à l'image !  APOCALYPSE NOW fait partie de ces œuvres atypiques, œuvres d'auteurs, qui à l'instar de 2001, LES PORTES DU PARADIS ou le récent THERE WILL BE BLOOD doivent se découvrir impérativement dans une salle de cinéma, pour en mesurer... la démesure !

APOCALYPSE NOW est un film qui se regarde autant qu'il se ressent, qu'il s'écoute. C'est une œuvre d'une densité, d'une richesse incroyable, violente, exacerbée jusqu'au-boutiste, dirigée par un metteur en scène alors au sommet de son art, survolté, inspiré, fou, dangereux, mais génial.







APOCAPLYPSE NOW (1979) / Redux (2001)
scénario : John Milius & Francis Coppola
production : Francis Coppola pour Zoetrope / United Artists
musique : Carmine et Francis Coppola
avec : Martin Sheen, Harrison Ford, Marlon Brando, Dennis Hopper, Robert Duvall, Frederic Forrest, Aurore Clément, Christian Marquand, Laurence Fishburne...
Couleur - 3h05 - format 2:00

4 commentaires:

  1. Héééééééé oui, excellent film. Un monument, sauf pour les ramollis du bulbe qui mettent environ 30 ans à le comprendre... Putain ! 30 ans (à lire avec la voix de Chirac).
    Mais, maintenant, ça va. J'aime bien. Beaucoup même.
    ... En fait, j'adore !

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  2. Parfaite analyse pour ce chef-d'oeuvre démentiel.

    PS: J'ai également consacré un exposé à Apocalypse Now présent sur mon blog...

    Cordialement

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  3. Salut Alexandre, merci de ton passage. Mais ce blog dont tu parles, on le trouve où ? Et ces deux semaines, je parle du Parrain, que tu dois bien connaître aussi...

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  4. ici Luc:http://alexandrestojkovic.blogspot.com/
    je te conseille vivement d'y faire un tour, jolie la demoiselle...

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