vendredi 20 août 2010

CRIME D'AMOUR (2010) d'Alain Corneau, par Luc B.


Qu’il est bon de retrouver Alain Corneau dans ce qu’il fait le mieux : le Film Noir à la française. Rappelons que ce monsieur a réalisé (il y a bien longtemps) SERIE NOIRE avec le couple Blier/Deweare, un sommet du genre. Il a inscrit aussi au panthéon du polar frenchy, des POLICE PYTHON 357, et des CHOIX DES ARMES, tout à fait réussis. Par contre, nous passerons un voile pudique sur sa relecture ratée de Melville avec LE DEUXIEME SOUFFLE. Et puis LE COUSIN était pas mal, mais pêchait par la présence de deux comédiens (comédiens ?) Timsit et Chabat, le premier étant horripilant, le second pas bon acteur.

CRIME D’AMOUR nous plonge dans l’univers glacé et impersonnel des grandes entreprises. Christine (Kristin Scott-Thomas) est la vice-présidente de la filiale française d’une boite d’audit américaine. Mais elle doit beaucoup de son succès à sa collaboratrice Isabelle (Ludivine Sagnier) qui abat tout le boulot, et ne s’en plaint pas, trop heureuse de servir celle qu’elle vénère. Entre les deux femmes s’instaure des relations troubles, de séduction, de manipulation. Lorsque Isabelle fait signer à sa société un très gros contrat, et reçoit enfin les lauriers de son travail, au dépend de Christine, laissée sur la touche, l’heure des comptes et de la vengeance approche…

Disons-le tout net : la première scène est admirable. Christine et Isabelle en train de travailler, chez Christine, avec une alternance perverse de rapports purement professionnels et personnels, de petites réflexions, de gestes affectueux, de petits cadeaux, d’exhibitionnisme lors que le fiancé de Christine débarque, de mise en confiance, et qui se termine par : « Vous voudriez-bien sortir par derrière, Isabelle, la porte principale est verrouillée ». Et paf dans ta gueule ! La suite s’avère intéressante, avec le décryptage des relations dans l’entreprise, et ce ballet de faux derches avides de petites reconnaissances. Mais la tension monte, les « je vous aime » laissent la place à des « je vous détruirais ». On aurait aimé plus de vitalité dans la mise en scène, plus d’invention. Par exemple, tous les plans de Sagnier à son bureau sont invariablement cadrés de la même manière. La mise en scène ne colle pas à l’évolution des personnages. Les couleurs restent froides, acier, bleutées, les axes bien frontaux (Yves Angelo à la photo). Mais la grande scène de l’humiliation publique, reste un moment d’une rare violence. D’où le climax dramatique du film. Je le dis ou pas ? Arrrffff… Dans le titre du film, il y a « crime », ce n’est pas pour rien… Mais restons discret sur qui fait quoi…


Ludivine Sagnier (assise) et Kristin Scott-Thomas : rapports de force et de séduction.

Là, on est en droit de penser que Corneau va passer la vitesse supérieure. Raté ! Le rythme, lent, élégant certes, reste de mise. D’autant qu’il n’y a pas de musique dans ce film, à part un morceau de saxophone (très beau, par Pharoah Sanders) de quelques minutes, entendu au moment du crime, puis sur le générique de fin. C’est tout. Le face à face entre suspect et policiers, ou juge, et l’enquête, semblent être d’un autre âge. Les empreintes vous connaissez ? Et l’ADN ? Y’a un alibi, mais la police ne vérifie pas. Le juge d’instruction instruit à charge, uniquement. Curieux. Certes il a des aveux, mais tout le monde verrait que le suspect n’est pas dans un état normal, et pousser l’enquête plus loin aurait été un minimum. Recherche d’indice ? Trois perquisitions pour retrouver une écharpe ! Alors je chipote, mais quand on base son film sur un crime minutieux, machiavélique, il faut bétonner son scénario. Pas sûr que les fash-back explicatifs en noir et blanc (pourquoi en noir et blanc, pour qu’on ne confonde pas ?!) soit toujours appropriés. Il y avait une construction sans doute plus intéressante à trouver.



Plutôt que la bande-annonce (qui ne rend pas compte du style et du rythme du film), un extrait situé dans le premier tiers de l'intrigue.

Malgré tout, ce CRIME D’AMOUR se regarde avec plaisir. Assez académique, un peu longuet parfois car pas mal de rebondissements sont prévisibles, il peut se voir comme un hommage à Fritz Lang (L’INVRAISEMBLABLE VERITE… Corneau n’a pas osé refaire le coup de l’enveloppe, dommage !). On sait Alain Corneau admirateur du Film Noir américain, et j’imagine de Lang en particulier, qui a souvent fustigé la justice et les erreurs judiciaires dans ses films. Et d’ailleurs, un des personnages féminins finit le film avec une coiffure platine, à la Véronika Lake, en garce parfaite de Film Noir. Kristin Scott-Thomas est la classe incarnée, elle est parfaite, mais on pourra émettre des réserves sur le jeu de Ludivine Sagnier, pas toujours à son aise, un peu trop cloche dans les premières scènes, ce qui ne cadre pas avec la fonction qu’elle est censée occuper. On lit bien l’évolution du personnage, le changement de coiffure, mais son côté brave fille godiche, mal fagotée (cette robe à pois !) est sans doute trop forcé.

Du bon cinoche, bien français, plus cérébral de physique, mais on aurait aimé retrouver un Alain Corneau plus inspiré avec sa caméra, plus vénéneux et cynique, et un montage plus nerveux. L’ami Fritz nous aurait bouclé l’affaire en 80 minutes chrono !





CRIME D'AMOUR (2010)
Scénario : Alain Corneau et Nathalie Carter
Photo : Yves Angelo
Montage : Thierry Derocles
Producteur : Saïd ben Saïd
Avec Kristin Scott-Thomas, Ludivine Sagnier, Patrick Mille, Gérard Laroche, Olivier Rabourdin

1h45 - Couleur - 1/1:85



Depuis la rédaction de cet article, Alain Corneau est décédé, à 67 ans, le 31 août 2010

3 commentaires:

  1. Shuffle Master20/8/10 13:35

    Bon, pour le dire plus abruptement, un fim raté?

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  2. Je reconnais là l'art du raccourci de Shuffle ! Raté ? L'ai-je dis ? Ecris ? Pensé ? Non, mais on pouvait espérer mieux...

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  3. Pas raté car la première partie (les relations des deux femmes au sein de l'entreprise) est vraiment très fine mais le film reste toujours un peu formel. Et je suis d'accord avec Luc l'intrigue policière est légère et attendue...

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