vendredi 5 novembre 2010

THE WICKER MAN (1973) de Robin Hardy, par Luc B.





Z’avez vu, à la rubrique « cinéma » il y a un libellé « inclassable ». Destiné à répertorier des films dont il est difficile, ou délicat, de définir le genre. THE WICKER MAN ira donc rejoindre les films dits inclassables. Est-ce un thriller, un film d’horreur, une comédie musicale, un pamphlet anti-religieux ? C’est tout cela à la fois, et surtout, un film culte, un ovni, une chose étrange et déroutante.


Réalisé par Robin Hardy en 1973, produit par la firme Hammer Films, ce film met en scène l’officier de police britannique Neil Howie, qui débarque sur l’île écossaise de Summerisle, bien décidé à élucider la disparition d’une jeune fille, Rowan. Fort de l’autorité de sa fonction, il se heurtera pourtant à l’opposition d’une communauté aux mœurs païennes, d’autant plus condamnables, que Howie affiche sa foi chrétienne en guise de badge.


La première scène nous montre Howie qui arrive dans son petit hydravion, et demande à ce qu’on lui approche un canot, pour accoster. La caméra le cadre d’assez près. Sur le port, cette fois filmé de loin, trois habitants goguenards lui refusent le droit de débarquer, sans l’aval de sa seigneurie. Propriété privée. Howie parle dans un mégaphone, les habitants non. On ne les entend à peine, on ne les comprend à peine. Et voilà un officier de police en mission, qui, dès la première minute,est mis en difficulté, l'air ridicule sur son petit avion, sa saccoche sous le bras, représentant la loi, et ne pouvant rien faire, à la merci de ceux qu'il est censé contraindre. Et le spectateur ressent déjà un trouble, une impression diffuse, une opposition entre deux mondes, et le sentiment que tout ceci n'est pas... normal. Howie parviendra à mettre pied à terre, et montrera une photo de la jeune fille disparue aux habitants, qui se pressent pour voir de plus près ce curieux visiteur. Evidemment, personne ne reconnait Rowan. Evidemment, le policier n’en croit pas un mot. Evidemment le spectateur ne sait pas quoi penser, surtout quand la mère de Rowan, postière sur l’île, offrant thé et gâteaux secs à Howie, nie avoir une fille de cet âge. Même incompréhension auprès de la maîtresse d’école, qui distille aux élèves des cours de sorcellerie. Rowan est pourtant inscrite sur les registres scolaires. Et un bureau reste bizarrement vacant dans la salle de classe. Howie décide de visiter l’île de Summerisle, et découvre que les habitants ont des us bien particulières : partouze en plein air, processions païennes dont les habitants portent des masques d’animaux, cours d’éducation sexuelle, hôtel miteux où la fille du patron s’exhibe nue, comme en transe, pédophilie… Howie poursuit son enquête chez le seigneur local, lord Summerisle, homme affable, adepte de sacrifices à Dame Nature, et de réincarnation.



Edward Woodward (l'officier Howie)

On touche ici au cœur du film, parabole sur les religions. Howie est un chrétien fervent, qui enquête chez les païens. Le scénario se plait à opposer les deux rites, et au final, à les renvoyer chacun dos à dos. Ce qui se passe sur cette île heurte la sensibilité de Howie en tant que policier (disparition, meurtre, séquestration) mais aussi de croyant. Pour les habitants, la jeune Rowan fait partie d’un rituel sacré. Et Howie ne le comprend pas tout de suite, trop formaté par sa pensée de chrétien. Ne songez pas une seconde que je vous livre ici la clé du film... Comme dirait le poète Fox Mulder dans son recueil "Ma vie, mes dossiers, mes soucoupes", la vérité est ailleurs... Ha ! ha ! Ha ! Ha !

Neil Howie ne voit pas, ou ne veut pas voir, ce qui l’entoure. Il ne voit pas les épreuves, les tentations qu’on lui adresse (le film est aussi une parabole biblique) : la danse érotique de la fille de l’hôtelier, mais pire encore cette proposition d’initier sexuellement un adolescent. La démarche de Howie n’est plus qu’une simple enquête de police, mais un parcours semé de pièges, un voyage vers la folie, dont il est lui-même, à ses dépens, la victime autant que l’instrument. Howie s’est forgé une mission : non plus retrouver la jeune fille vivante, qu’il pense avoir été sacrifiée, mais retrouver son corps, et lui donner une sépulture digne du dogme chrétien. L’enquête administrative cède le pas à la mission de droit divin.

Christopher Lee harangue les foules.


Ce qui rend cette aventure encore plus étrange, c’est son traitement à l’écran. Robin Hardy aurait pu tourner film d’horreur, comme la Hammer en produisait à la chaîne. La Hammer, qui dans les années 50 et 60 dominait le cinéma d’épouvante, au style gothique et flamboyant. En 1973, la firme décline, et les responsables laissent plus de champ aux réalisateurs pour s’émanciper du style maison. Hardy choisit de filmer en plein jour, sans sophistication de forme, ni de décor, il évite tout effet horrifique, aucune goutte de sang, et privilégie l’étrange. Trognes des vieux habitants tapis aux fenêtres, blondes angéliques, chansons, processions sur fond de musique folk et psychédélique (signée Paul Giovanni) renvoyant à l’idéologie hippie où les tabous sexuels étaient bannis. Le film donne l'impression au spectateur (et surtout à l'enquêteur) d'être en plein trip, ou en plein cauchemar. Le film fleure bon le parfum de cette époque, aux relents psychédéliques, avec effets de zoom (pas trop) et renvoie par moment au cinéma de Pasolini, comme LES CONTES DE CANTERBURY. Un film daté, oui, au sens où il se rapporte à une époque précise et identifiable, mais pas vieilli. Car c’est un film qui ose aller très loin, sans se soucier du ridicule qu’il peut, à première vue, suggérer. Et la progression dramatique est fort bien menée, le suspens entretenu. La scène finale est grandiose.

Britt Ekland (ex James Bond's girl), en journée, avec son gentil papa hôtelier...











... et la même, vue de dos, la nuit. C'est intéressant aussi, une photo de dos.



Les acteurs sont formidables, à commencer par l’immense Christopher Lee (le lord), star de la Hammer avec Peter Cushing, qui multiplia les interprétations de Dracula, et que la jeune génération redécouvre au travers de ses rôles dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, ou STAR WARS. Il faut avoir vu Christopher Lee en robe et perruque noire lors de la procession finale pour y croire ! Une sorte d'Ozzy Osbourne en pleine acid-party ! Face à lui, droit dans ses bottes et ses principes, Edward Woodmard, excellent, accent british pur jus, bon acteur qui travaille toujours régulièrement pour le cinéma ou la télévision.

A l’instar de ORANGE MECANIQUE, coupable selon les autorités d’avoir provoqué une flambée de violence à sa sortie sur les écrans, THE WICKER MAN relança la mode des cultes païens chez les grands bretons. Le film a été remonté trois fois, dans différentes versions, notamment pour sa distribution aux Etats Unis… Y’a des coups de pieds occultes qui se perdent… Un remake américain inutile et raté est sorti en 2006 avec Nicolas Cage. Et on annonce la sortie d’un remake/suite, du même Robin Hardy. Le film a inspiré une chanson éponyme de IRON MAIDEN.












THE WICKER MAN (1973) réalisé par Robin Hardy
scénario de Antony Shaffer
produit par Peter Snell, pour Hammer Films
musique de Paul Giovani et Gary Carpenter
avec Edward Woodward, Christopher Lee, Ingrid Pitt, Britt Ekland, Linsday Kemp...

1h40 - couleur - 1:1.85

4 commentaires:

  1. Olieandjo7/11/10 10:06

    Très bon film ... inclassable effectivement ... je me passe en boucle la bande originale ...

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  2. J'ai entendu parler de ce film très récemment, je ne connaissais pas. Coup de bol : Ciné FX le repassait.
    Verdict : impressionnant! The Wicker Man fait partie de ces œuvres que tout cinéphile se doit de voir au moins une fois.
    C'est vrai que c'est intéressant une photo de dos^^, l'article ne pouvait décemment pas faire l'impasse sur ce qui fut pour moi l'une des scènes les plus érotiques du cinéma que j'ai vu depuis longtemps.

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  3. Très alléchant. Je ne connaissais que le film avec Cage (moyen) ; celui me semble effectivement plus intéressant.
    Pas sûr que la chanson d'Iron Maiden se soit directement inspiré de ce film, le "Wicker man" étant une tradition ancestrale remontant aux temps celtiques (et certainement antérieure), où, à certaines périodes de l'année, on y mettait criminels et/ou prisonniers de guerres.
    Quant à la résurgence des cultes païens en Grande-Bretagne, et ailleurs, elle était déjà là bien avant les années 70. Le film a dut faire l'effet d'un coup de projecteur, et toucher tous les farfelus qui aiment s'exhiber, se rendre "intéressants".

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  4. Excellent film qui en plus apporte ce petit coté "british" que j'affectionne tout particulièrement. Le remake est bien fade à coté de ce chef-d’œuvre véritablement angoissant...

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