samedi 11 décembre 2010

ANNE WIAZEMSKY "Une Poignée de gens" (1998), par Elodie





Anne Wiazemsky pourrait être un personnage de roman. Descendante par son père d’une famille de princes russes et par sa mère de l’écrivain François Mauriac, elle est aussi la sœur du dessinateur Wiaz. Comme si ça ne suffisait pas, elle est choisie à 19 ans par le réalisateur Robert Bresson pour incarner l’héroïne de son film AU HASARD BALTHAZAR, devient ensuite l’égérie et l’épouse de Godard avec lequel elle participer à la nouvelle vague et se lance enfin dans l’écriture avec un indéniable talent.


On comprend qu’elle s’inspire de ses propres souvenirs dans ses romans et comme souvent, UNE POIGNEE DE GENS transpire le vécu.



L’histoire débute lorsque Marie, Parisienne d’origine russe, la quarantaine et sans grand intérêt pour son histoire familiale, est contactée par un proche de sa grand-tante qu’elle n’a jamais connue. En lui transmettant le journal de son grand oncle Adichka Belgrorodsky, ou « livre des destins » comme disent les Russes, pros du romantisme, ce monsieur trouve les moyens de raccrocher Marie à ses origines. Et celle-ci se plonge avec passion dans les affres de cette famille princière russe émigrée en France en Suisse ou aux Etats-Unis lors de la révolution.



C’est ce journal et le récit des derniers mois de la famille en Russie, jusqu’à l’assassinat d’Adichka en août 1917, qui représentent l’essentiel du roman. Description de ce monde en train de basculer, un monde qui n’avait plus lieu d’être, avec des familles toutes puissantes et des domaines immenses, ce roman est emprunt de nostalgie. Nostalgie non pas de l’aristocratie, de son pouvoir et de sa richesse, mais celle d’un temps où la Russie n’était pas réduite en cendres par l’aveuglement et l’égoïsme de la noblesse ni la fureur et les excès des révolutionnaires. Nostalgie d’une époque dont plus rien ne subsiste, pas même la nature comme le découvre Marie, le régime soviétique ayant voulu faire table rase du passé à tous les niveaux.


Le 8 mars 1917, les femmes manifestent à Petrograd, pour réclamer du pain et le retour de leurs proches partis au front.

De même que la Russie passe d’un âge à l’autre, le personnage central féminin de l’histoire doit laisser derrière elle à regret son enfance. La véritable héroïne de ce roman n’est pas Marie mais sa grande tante Nathalie, jeune mariée amoureuse de 19 ans, écartelée entre ses devoirs de maîtresse d’un grand domaine et ses caprices et désirs d’adolescente. Son entrée dans l’âge adulte est finalement aussi dramatique que maladroite.
Nostalgie, recherche des racines familiales, disparition d’une époque, les thèmes de UNE POIGNEE DE GENS pourraient vite faire basculer le roman dans un mélo puant l’eau de rose. Pourtant l’écriture élégante et sensible d’Anne Wiazemsky évoque la fuite du passé sans en rajouter, en choisissant plus que des envolées lyriques quelque images simples, comme celle de ce paysan mettant une barque à l’eau pour des enfants et foudroyé par une crise cardiaque au milieu de leurs jeux. Elle fait parler avec une émotion maîtrisée un vieil album photo dont les visages inconnus reprennent vie sous nos yeux pour éclairer le passé.
Plus qu’une odeur sucrée et écoeurante il en ressort une musicalité, les notes romantiques d’un violon ou celles passionnées du piano, deux instruments constamment évoqués dans le roman.

UNE POIGNEE DE GENS a reçu le Grand prix du roman de l’Académie française et le prix Renaudot des lycéens en 1998


UNE POIGNEE DE GENS (1998) , Gallimard (+ édition de poche), 240 pages

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