vendredi 3 décembre 2010

MICHAEL CONNELLY "L'EPOUVANTAIL" (2010) par Luc B.




Michael Connelly est devenu au fil des années un des poids lourds du roman policier américain. Il commence sa carrière comme journaliste de presse, frise une première fois le prix Pulitzer, ce qui lui permet d’intégrer un grand quotidien, le Los Angeles Times. Il y tient la chronique judiciaire, et couvrira les émeutes à Los Angeles en 1992. Sa série de reportages est couronnée, avec d’autres journalistes, par le fameux Pulitzer. C’est à cette époque qu'il se met à écrire des romans, à commencer par LES EGOUTS DE LOS ANGELES (que je ne saurais trop vous conseiller) avec comme héros, un flic qui deviendra un de ses personnages récurrents : Harry Bosch.


LES EGOUTS DE LOS ANGELES, premier roman, couronné du prix "Calibre 38", qui se doit d'être en bonne place dans votre bibliothèque !


Bosch épouse la droite ligne des enquêteurs de la littérature du genre, un type inflexible, porté sur la bouteille, en proie à ses démons intérieurs, ex du Vietnam, et surtout incapable de travailler en équipe et de respecter sa hiérarchie. Bref, un mec bien. Tous les personnages vieillissent et évoluent au fil des ans, Bosch plusieurs fois viré et réintégré, prendra sa retraite, avant d’être rappelé pour mettre ses compétences aux services des affaires non résolues du LAPD.

Connelly a été extrèmement marqué par l'affaire Rodney King, ce noir américain tabassé par une patrouille policière en 1991, et à l'origine des émeutes qui embrasèrent Los Angeles en 1992.



Michael Connelly donnera naissance à plusieurs héros, selon les livres qu’il écrit, et qui parfois se croiseront au sein d’une même intrigue. Comme Terry McCaleb, un ex du FBI (que Clint Eastwood a interprété dans CREANCES DE SANG, tiré du livre éponyme), Jack McEvoy, journaliste, ou Rachel Walling du FBI. Ces deux derniers, on les retrouvera dans LE POETE (1996) sans doute le plus grand succès de Connely, le prototype même du roman policier avec serial killer, un must incontournable du genre.


Les intrigues de Connelly se situent généralement à Los Angeles. Elles sont toutes marquées par un soin particulier à décrire les rouages policiers et judiciaires. On sent le journaliste derrière le romancier, par l’aspect documentaire, ainsi que par le style d’écriture, assez académique, descriptif. Avec Connelly, on est loin de la fulgurance d’un James Ellroy, loin aussi de l’univers très social et impliqué d’un Pellecanos, ou de l’humour d’un Lawrence Block. Mais noir est aussi son univers, épouvanté son regard, sur sa ville, ses contemporains, et la violence qui nous entoure. Et mine de rien, Connelly possède sa petite musique, une manière de construire ses récits, de faire monter la sauce, un rythme, que l'on a plaisir à retrouver, romans après romans.



Parker Center, haut lieu du LAPD (Los Angeles Police Departement) où travaille Harry Bosch, et où Jack McEvoy vient à la pêche aux infos.


C’est le duo Mc Evoy et Walling, que Connelly met en scène dans L’EPOUVANTAIL (2010). Un très bon cru, qui renoue avec la veine du serial killer à l’intelligence suprême. Sans pour autant reprendre le schéma classique des meurtres à répétition. Ici, l’enquête prime. McEvoy est un besogneux, il fouille, cherche à comprendre, ne se satisfait pas des versions officielles. Le livre se déroule sur peu de jours, et sous l’enquête policière, Connelly nous parle d’une Amérique d’après crise, en proie au chômage et aux inégalités sociales. Jack Mc Evoy, malgré son pedigree, fait les frais de cette nouvelle donne économique. Il est licencié. Non pas pour faute grave, mais pour être remplacé par une jeune journaliste (Angela Cook) que ses patrons pourront payer moins cher. Avant de partir, il accepte de rencontrer une vieille femme noire, dont le petit fils, Alonzo Winslow, est accusé de meurtre. En se replongeant dans le dossier, il se rend compte que le cadavre de l’effeuilleuse junkie retrouvée dans un coffre de voiture, n’est sans doute pas à mettre sur le compte de Winslow, mais d’un tueur redoutable, inconnu jusque-là. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est qu’en enquêtant plus avant, avec Angela, il se fera repérer par le tueur, très content d’avoir comme adversaire ce grand journaliste, qui 12 ans plus tôt avait résolu l’affaire du Poète…


N’en disons pas plus, of course, et ne développons pas davantage, de peur de révéler les rebondissements de ce bouquin. Comme à l’ordinaire avec Connelly, ça commence mollement, les éléments se mettent en place, alternance de récit à la première personne (McEvoy) et à la troisième personne (le tueur). Et puis tout se précipite, plus rapidement que prévu. C’est presque dommage car des personnages et intrigues secondaires alléchantes ne seront pas développées, comme les relations et coups fourrés entre McEvoy et Angela Cook, très pressée à reprendre le fauteuil encore chaud de son prédécesseur. Mais l’intrigue est lancée, c’est une course contre la montre avant que le journaliste ne soit viré, une enquête d’autant plus difficile que la police à les aveux de Winslow. Jack McEvoy, isolé, traqué, comprend trop tard qu’il est le pion du tueur, et n’a qu’un recours, appeler Rachel Walling à la rescousse, ignorant que celle-ci est aussi en but à sa hiérarchie.


En 2002, Clint Eastwood adapte ce livre de Connelly au cinéma, simplifiant l'intrigue à l'extrème, mais réussissant tout de même un excellent divertissement policier. Dans son roman "Wonderland Avenue" Michael Connelly fait passer des personnages devant l'affiche du film, et leur fait dire : "C'est Mc Caleb qui sera content, y'a son histoire qui va sortir au cinéma" !




Je ne peux m’empêcher de noter une petite récurrence chez Connelly. Ses personnages ont souvent tendance à justifier leurs actes, comme pour s’en défendre. Et comme si le lecteur n’avait pas saisi la portée d’une action, dans son contexte. Exemple tout bête : « Bill téléphone à Joe ». Ca c’est l’action. Mais Connelly rajoutera : « Bill savait qu’en appelant Joe, cela fâcherait Liza, mais s’il ne le faisait pas, sans doute Joe penserait que Liza en voudrait à Bill… ». C’est du détail, mais ça revient souvent. Or à priori, si tous les éléments dramatiques ou psychologiques sont correctement mis en place, le lecteur connaît les tenants et aboutissants d’une action, sans que l’auteur n’est besoin de les expliciter dans son récit. Connelly fait vivre et juge ses personnages. Il y a parfois un côté politiquement correct chez Connelly. A l’instar d’un James Ellroy, il a vu des horreurs dans sa vie. Ellroy va les retranscrire tel quel, sans juger. Ses personnages flinguent, baisent, fument, se piquent, avalent une poignée d'amphet avec des rasades de Gin au p'tit dèj, et c’est comme ça, parce que son monde est comme ça. Connely lui, précisera un truc du genre : « Joe alluma sa clope, il savait que ce n’était pas bien, mais il en avait vraiment envie parce que…». En gagnant un large public, avec le temps, Connelly semble désireux de prendre quelques précautions...

Une grande partie des évènements ont trait à Internet (thème récurrent chez Connelly) média redoutable, à double facette. Le tueur est une pointure en informatique, et se sert d’Internet comme d'une arme, sans laisser de trace. Connelly orchestre des coups de théâtre fort réussis, de très belles scènes de suspens, de tension, toujours soucieux des détails qui font vrai, avec un crescendo final tout à fait prenant. Il réussit un roman très classique dans la forme, mais passionnant de bout en bout, riche en action. Le genre de bouquin qu'on ne lache pas facilement. Un bon polar, qui renoue avec la fibre du POETE, pertinent et efficace.


L'EPOUVANTAIL (2010) 593 pages, paru chez Seuil Policier.
Les autres romans sont disponibles en Poche.

4 commentaires:

  1. Si tu parles de mon chouchou, je suis obligée d'intervenir. J'adore Connelly, même si avec le temps il devient effectivement plus politiquement correct. Il est d'une efficacité redoutable avec systématiquement un crescendo dans l'action, un départ tranquille et une fin haletante. Mais il est surtout très fort pour créer des héros tourmentés et attachants qui portent un regard désabusé sur le système policier et judiciaire américain.

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  2. Exact chère collègue ! Celui-ci est vraiment bien. Parmi les derniers, "Echo park" était très réussi, machiavélique ! Et j'ai aimé aussi la suite "A genoux" qui dans mes souvenirs se déroule en une seule journée (vol de matériaux radioactifs). Ces deux-là étaient avec Harry Bosh et Rachel Walling.
    à+

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  3. Shuffle Master3/12/10 19:15

    Shuffle Master dans son rôle favori de rabat-joie. "Action": Je n'ai lu aucun Connelly, et pourtant je suis amateur de polars. D'après ce que tu dis, ses bouquins sont l'équivalent papier des trials movies qui décortiquent le système policier et judiciaire US, et qui sont souvent très très chiants. Première raison pour éviter. La seconde, plus grave, a trait aux deux derniers paragraphes (le coup du téléphone). La psychologie des personnages assenée en long en large et en travers, non merci. Vive le behaviorisme, à la Manchette, par exemple. De toute manière, il y a actuellement un énorme déchet dans le polar. Connaissez-vous Les Chiens de la nuit, de Kent Anderson? Ca c'est du polar, foi de Shuffle Master.

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  4. Oui Shuffle, Connelly décortique le système. C'est son dada. Mais il le fait grâce à des histoires fort bien construites, où l'action et le suspens dominent. Pas chiant (sinon, vous pensez bien que je n'en aurais pas lu une quinzaine, je me serais arrêter bien avant!). La psychologie appuyée des personnages est effectivement un travers, un frein, à mon sens. Toutefois, le personnage de Bosch est une grande création, un type qu'on suit depuis 20 ans, et dont on a envie de prendre des nouvelles de temps à autre... Mais Shuffle prendra sans doute sur son précieux temps pour lire "LE POETE" ou "LES EGOUTS" ou "LA BLONDE EN BETON", qui sont des très grands romans policiers.
    "LES CHIENS DE LA NUIT" ??? Je prend bonne note.

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