dimanche 16 janvier 2011

MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ (2009) de Jean Teulé, par Elodie




Jean Teulé est un auteur surprenant. Ce qui est somme toute assez logique de la part d’un homme à la fois acteur, scénariste, auteur de BD, journaliste, cinéaste et romancier, qui a sévi aussi bien à L’Assiette anglaise de Bernard Rapp (ça c’était de la télé qui valait son pesant de redevance !) qu’à Nulle part ailleurs sur Canal+. Chacun des trois romans que j’ai lu de lui m’a emmené sur des chemins imprévus, soit parce que le sujet était en soi déroutant, comme le très drôle et très noir MAGASINS DES SUICIDES, soit parce que son traitement ou son point de vue était inattendu comme le truculent Le Montespan. Mangez-le si vous voulez ne fais pas exception à la règle.

La 4ème de couverture est explicite. « Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune aristocrate périgourdin, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. C’est un jeune homme plaisant, intelligent, aimable et bon. Il arrive à quatorze heures à l’entrée de la foire. Deux heures plus tard, la foule devenue folle l’aura lynché, torturé, brûlé vif et même mangé ». Elle ne fait pas dans la dentelle, anéantit d’entrée tout suspens, et j’avoue qu’elle résume bien le roman.


Comment donc peut-elle laisser place à la surprise ? Je dois dire qu’en dépit du sujet annoncé clairement et pas franchement comique, je m’attendais à un regard décalé, cynique et humoristique. Et bien, non.


Alain de Monéys, de son vivant...


C’est un crime, un fait divers atroce qui est décrit ici, dans le moindre détail, et cela ne fait pas rire du tout. On aurait plutôt envie de vomir, de hurler, de frissonner, pris entre le dégoût et l’incompréhension. D’une phrase mal comprise en période de guerre où le patriotisme tourne vite au fanatisme, naît le supplice d’un homme torturé par une foule devenue folle. Seules quelques personnes conservent assez de lucidité pour tenter en vain de venir en aide au pauvre supplicié. La victime de ce crime collectif attire d’autant plus la pitié qu’elle ne se rebelle pas vraiment, ne cherche pas à s’attaquer à ses bourreaux mais reste dominée par l’incompréhension et l’envie de les faire revenir à la raison. Comme si une folie pouvait se raisonner !

C’est là aussi le propos de l’auteur : montrer que le délire collectif peut frapper subitement et brièvement des gens sains d’esprit, qui, aussitôt l’accès sanguinaire passé, redeviendront capables de sentiments humains comme le remords et la culpabilité. Le procès de certains des tortionnaires les montre d’ailleurs tout aussi atterrés devant leurs actes que les lecteurs de cette histoire.


Pour autant, qu’on ne s’attende pas à un ouvrage sur la psychologie des foules, à des explications sur les raisons qui peuvent pousser à basculer du côté des bourreaux ou aux traits qui distinguent les suiveurs de ceux qui tentent de faire un barrage à la folie. On est ici dans le factuel, la description revue et corrigée par un romancier, mais description tout de même, d’une journée particulièrement tragique.




Carte postale de Hautefaye.


Jean Teulé ne se renie pas. Il utilise bien certains traits d’humour, mais plutôt que de faire rire, ils rendent l’ensemble encore plus abominable. Même si le livre est très court, le calvaire traversé par cet homme semble pourtant très long. Mais le plus étrange, c’est que l’on continue à lire. Il n’y a pas beaucoup d’auteurs capables de nous faire terminer un tel livre, mais Teulé est de ceux-là. Sa plume qui combine détachement et description fine de cette mise à mort parvient à nous faire suivre jusqu’au bout cet atroce fait divers. Ses phrases courtes, percutantes, décrivent la façon dont une foule de gens anodins se transforme en meute sanguinaire. Elles donnent le recul nécessaire à la lecture de ce roman et permettent de détacher complètement le fond, monstrueux, de la forme, entre simplicité et sarcasme.


Ce mélange étrange laisse finalement place à un sentiment confus. On sort de cette lecture totalement écœuré, abasourdi, avec un sentiment de malaise, qui nous rend incapable de dire si on vient de lire un bon livre ou un juste une histoire atroce. Seule certitude, c’est un bouquin qui ne passera pas aux oubliettes. Ce doit être la définition d’un roman dérangeant…




MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ (2009) Julliard (+ édition de poche),
129 pages

2 commentaires:

  1. Tu as raison Teulé est un auteur tout a fait surprenant et atypique dans le paysage littéraire francais.Après avoir découvert l'homme par le "Magasin des suicides", j'ai dévoré (c'est le cas de le dire!!) ce petit ouvrage, haletant du début à la fin, Teulé décrit à la perfection l'implacable engrenage d'une folie collective. "Mangez le si vous voulez" est à la fois un très bon livre et une histoire atroce. Amicalement

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  2. Very intereresting reading. thx

    paxil

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