mardi 22 mars 2011

OCEAN "Story, Live & More" (2010) par Rockin-jl et Bruno





Avec Océan, nous allons aujourd’hui replonger dans l’âge d’or du Hard français, fin des 70’s, début des 80’s qui vit l’éclosion d’une vague de groupes à cheveux longs et grosses guitares dans le sillage de Trust - citons Sortilège, Blasphème, Vulcain, Warning, Attentat Rock, Killers, Demon Eyes, ADX, H Bomb, Satan Jokers, pour ne parler que des plus connus. Cette sorte d’écho français à la N.W.O.B.H.M. (New Wave Of British Heavy Metal - Iron Maiden, Judas Priest, Tygers of Pan Tang, Saxon, Motörhead, Girlschool, UFO, Def Leppard ..) aura accouché d’albums inégaux, du meilleur au carrément moyen... Plusieurs raisons à cela : une production souvent « cheap », des textes en français pas vraiment adaptés (autant « Kill The Dragon » par le regretté Dio peut encore passer, autant « chasse le dragon » par Sortilège peut prêter à sourire), des chanteurs qui forcent leur voix pour faire comme... et un manque d’originalité pour beaucoup de ces groupes plagiant les géants anglo-saxons. Et Océan dans tout ça ? Et bien à la réécoute en 2011, ça tient très bien la route et place ce groupe sur le dessus du panier de la production française de l’époque. 
La sortie en 2010 de ce coffret présentant l’intégrale du groupe en 4 cd est l’occasion de revenir sur leur parcours.Océan se forme en 1974 , avec autour du guitariste Georges Bodossian, Robert Belmonte au chant, Noël Alberola à la basse et Bernard Leroy à la batterie. Les deux personnalités fortes d’Océan étaient Bodossian - maître riffeur, un guitariste sachant faire sonner sa guitare sans démonstrations superflues, exploiter et jouer des silences pour faire respirer ses chorus et leur insuffler une dynamique - et Robert Belmonte, chanteur rare, capable de beaucoup d’émotion dans son chant, tout en ayant un timbre de voix adapté au hard rock, capable notamment de monter dans les aigus. On l’a vu, la langue de Molière a parfois des problèmes à rencontrer le Rock’n’Roll, mais Belmonte savait éviter cet écueil. J’en parle hélas au passé car Robert est décédé en 2004 ( enterré au cimetière de Sète, non loin de Brassens).

God's Clown


Travailleurs acharnés, nos 4 musiciens peaufinent leur jeu sur scène et en studio et sortent en 1977 leur premier opus, « God’s Clown » , tentative de marier le rock de Led Zep et le prog de King Crimson (voire du Yes 1ère mouture, pré-Howe), leur seul disque chanté en anglais. Un projet ambitieux où se croisent riffs en béton et passages prog et qui contient de bons moments mais aussi quelques faiblesses, dans un genre rarement abordé dans nos contrées, dans la veine d’un Budgie en Angleterre (sans sa facette bluesy), d'un T2, d'un Patto et d'un Dillinger aux USA (sans leurs penchants jazzy). Un album qui constitue une curiosité et qui a réussi à acquérir une certaine notoriété au-delà de nos frontières, notamment chez les amateurs de Rock Progressif original, et qui est parfois considéré par certains comme un chef-d’œuvre, comme, par exemple, Denis Protat dans son encyclopédie du Hard Rock. Océan écume les scènes et les festivals et décroche un contrat avec Barclay, change de batteur (Jean Pierre Guichard d’Ange remplaçant Bernard Leroy) et enregistre son second album en 1979, délaissant son côté Progressif au profit d’un Heavy-Rock en français, puissant, carré, pêchu, alternant avec des passages presque intimistes (néo-progressistes ?) aux influences Anglo-saxonnes souvent évidentes (Free, Queen, Bad Co, Led Zep, Uriah-Heep). Hélas, la production « en dedans » dessert les compositions et le son est inférieur à celui du 1er opus. Une mention spéciale pour « Les Yeux fermés », une ballade sombre où Belmonte démontre l'étendue de son registre. On sent que le groupe cherche encore sa voie . Le batteur retourne ensuite chez Ange , remplacé par Alain Gouillard de « Édition Spéciale ». En 1980 ils tournent en première partie des kangourous d'AC/DC pour leur « Highway To Hell Tour ». Mais le meilleur est à venir en 1981 avec le troisième opus enregistré à Londres, leur dernier.

Océan avait peaufiné et affirmé son Heavy-Rock et s'était définitivement mué en killer-machine à riffs, au point de se hisser au niveau des meilleurs groupes français du genre et de ne pas avoir à rougir de la concurrence européenne. La production est irréprochable et rend hommage à tous les instruments. La basse est ronde, puissante, partie intégrante de la construction rythmique, et gardienne de l'espace sonore lors des soli incisifs de George. Le batteur frappe et brutalise ses fûts, tels les grands cogneurs des 70's. Belmonte chante comme un tueur, c'est rageur, vindicatif, fier, décomplexé. Certainement l'un des meilleurs chanteurs français du genre. Quant à Bodossian, il atteint ici son point d'orgue, notamment grâce à une maîtrise du son hérité des gourous des 70's (et qui semble ne pas avoir pris une ride). Quelque part entre Young brothers, Page, Koss, West, Ralphs, Townshend, Schenker, Marriott et Krief. Heavy sans être pesant, véloce sans être démonstratif, précis sans être « clinique ». L'art du riff en béton. Le tout apparemment dépourvu d'effets autre que la surchauffe du Marshall. Les textes, sans faire dans le poème, sont également plus maîtrisés, n'hésitant pas à manier humour, même noir (Berceuse) et second degré, dans une veine engagée qui n’est pas sans rappeler Trust (Aristo, Attention Contrôle, A Force de Gueuler, Dégage). Avec aussi des titres comme « Qu’on me laisse le temps » « Rock'n 'Roll » ou « Louise » (sorti en 45 tours), autant de hits en puissance. Avec cet album, Ocean accède au panthéon des meilleurs groupes de (Hard-) Rock français, où, certes, il n'y a pas foule. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si ce coffret arbore la pochette de ce disque. En 1982, Barclay sort une compilation, avec, pour les huit premiers titres, l'intégralité du III. No comment... Passages télés et radios, grosses premières parties (Iron Maiden), tout semble rouler pour Océan, mais l’aventure va se terminer fin 1981, après le rachat de Barclay par Polygram. Dans un dernier sursaut, le groupe se reforme courant 83, avec Belmonte et Albérola, un américain, Benny Sloyan, à la guitare et Farid Medjane à la batterie (ex-TNT, futur Trust). Un 45 tours en 84, "Spécial Polar" et "Super Machine" sur un label indépendant. Puis en 86, Bodossian et Belmonte sont à nouveau réunis, quelques concerts, et un nouveau 45 Tours ("Jusqu'au bout du désert" et "Flash de Nuit"). En 2004 , Bodossian et Belmonte relancent l’aventure, un nouvel album est même en préparation mais le décès brutal de Robert Belmonte met un terme au projet.

Le 4ème CD du coffret présente l’ EP 4 titres Live " A Live + B" sorti avant l'album éponyme, dont 2 titres inédits (On se rock de moi, qu’est ce que tu dis) auquel a été rajouté en bonus l'excellente reprise de « Ton dernier acte » de Trust (titre hommage à Bon Scott, qu'Océan avait également connu) enregistré en 2001, plus 7 titres live enregistrés lors de la tournée du « Iron Maiden Killer World Tour » de 81. Énergie garantie, le groupe a beaucoup progressé, (visiblement les deux 1ers titres viennent hélas d'une K7), un témoignage intéressant du groupe en live . Et pour finir, le titre « Jusqu’au bout un désert » qu'ils avaient enregistré en 1986, lors d’une re-formation éphémère, titre plus « variété rock ».

Ajoutons que cette réédition du label Axe Killer est superbe, coffret cartonné avec les 4  cd en "Replica Vinyle", plus un livret copieux avec paroles et nombreuses photos, du beau travail! (chez Axe Killer)



A la mémoire de Robert Belmonte, décédé en mars 2004.






Mais pour en savoir plus, tournons nous vers son fondateur, Georges Bodossian, qui vient d’ailleurs de reformer le groupe avec de nouveaux musiciens :


Deblocnot: Le virage entre le premier album et les suivants est frappant, pourquoi cette évolution du progressif en anglais à du hard en français ?
G.B.: Le premier album du groupe est une fusion de rock et de musique progressive, nous dirions aujourd'hui de prog-metal. Entre God's Clown (1976) et le premier album Barclay (1979) trois années se sont écoulées, le groupe tourne énormément, compose un nouveau répertoire et se dirige peu à peu vers une musique plus rock. Il était par ailleurs très difficile voir impensable à l'époque de signer avec une major pour un groupe français chantant en anglais.

Dans ces années 80 quelles étaient vos principales influences hard ou qu’écoutiez vous ?
Deux tendances, une rock, The Who, Led Zeppelin, Queen, Van Halen et une tendance plus progressive allant jusqu'au jazz-rock, King Crimson, Frank Zappa, Mahavishnu, Weather Report, Gino Vanelli ...

Vous avez tourné avec AC/DC ou Maiden, ce n'est pas rien ! une petite anecdote pour nos lecteurs?
Des moments privilégiés avec Bon Scott souvent dans nos loges, toujours Bon Scott nous encourageait pendant nos concerts juste derrière le backline. Sur la tournée "The Killers World Tour" je me souviens d’une soirée mémorable à Nice où nous nous sommes retrouvés avec Iron Maiden et Scorpions, tous dans le même hôtel, des parties acharnées de babyfoot avec Maiden toujours perdants !

Quel regard portes-tu sur la scène rock française actuelle ? serait-il possible aujourd'hui à un Trust d'avoir un succès grand public? ou le hard est il condamné à rester entre "initiés" ?
Je ne porte pas un regard particulier sur la scène rock française, à vrai dire elle ne m'inspire pas beaucoup. Mes références sont toujours les mêmes. les temps changent, ce n'est pas le hard qui reste condamné à rester entre "initiés" c'est toute la rock musique, l'existence virtuelle, la création uniformisé, la disparition du support, le manque de moyens, la banalisation de l'œuvre, confirment la résistance de cette communauté grandissante d'initiés. Un succès grand public ? je pense que c'est toujours possible, de plus en plus confidentiel mais possible car aujourd'hui vendre 30.000 albums pour un groupe rock pop ou hard reste une belle réussite mais vendre 700.000 voire 1.000.000 copies c'est une autre histoire, mais pourquoi pas ?

Je cite "A force de gueuler" : " A force de gueuler comme un damné/ dans des chansons bien branchées/ tu m'prends pour un leader,mais j'suis qu'un chanteur/ je n'suis pas l'nouvel observateur / le rock c'est pas la politique ", il n'empêche vos textes sont pour certains assez engagés ; la musique ne peut donc pas faire bouger les choses ou y contribuer?
La musique ou toute autre forme de création, doit porter en elle un engagement, faire passer le message, transmettre un état d'âme. Comme pour la peinture ou l'écriture, la musique qu’elle soit rock, blues, jazz, reggae, rap ou autre, doit servir à véhiculer une idée, des sensations, un feeling. Pouvoir se faire entendre contribue sûrement à éveiller au fond de chacun les vraies questions.

Pourquoi la chanson "Berceuse" pour le moins surprenante ? Le plaisir de l'humour noir ? Pour chercher à choquer ou à provoquer ? Un penchant Sabbathien ou un clin d'œil à la montée, alors discrète, d'un certain métal noir ?
C'est parti comme un jeu, nous l'avons tout de suite adoptée, la tendance était alors de surprendre, de se faire remarquer en provoquant. Barclay décide alors de sortir Berceuse en single pour faire une promo radio, elle a été interdite sur toutes les ondes. Un peu plus tard, Aristo a été censuré à son tour à la télévision, lors d'un enregistrement chez Michel Drucker juste pour ce couplet, je cite : " Oui je sais vous mitraillez tous ceux qui ne sont pas armés de ces médailles qui vont tomber de vos culs métamorphosés". Aujourd’hui, avec le recul, ça ne semble pas bien méchant mais finalement le groupe a fait parler de lui tout en sensibilisant les médias du moment.

Sur le III, le groupe fait preuve d'une maturité rare. Le groupe est soudé, d'une cohésion redoutable, doté d'une force tranquille qui lui permet de sonner agressif avec peu de note, sans avoir besoin d'en rajouter des tonnes et Belmonte chante comme un loup affamé. Qu'est-ce-qui a permis cette progression ? Le fait d'avoir enregistré à Londres ? Un travail acharné ? Un regard sur l'évolution du Heavy-rock ? La scène et les réactions du public ?
C'est un bel album, celui de la maturité. Après le "Highway To Hell Tour" avec AC/DC, nos tournées et les enregistrements du Live, le groupe est au meilleur de sa forme, tous les ingrédients sont là pour faire quelque chose d'explosif, un excellent producteur, un très bon ingénieur son, les meilleurs studios à Londres, la créativité et l'inspiration sont au rendez-vous, des bons titres et une maison de disques motivée font la magie et la force de cet album.Le Heavy-Rock en trente ans a évolué naturellement sur une diversité de styles et modes différents mais il s'est éloigné en se transformant de sa première identité, la racine blues, le blues véhiculé par le rock. Aujourd'hui la tendance est beaucoup plus extrême, sombre et violente, mais dans toutes ces musiques et dans toutes les musiques on trouve toujours les bonnes et les mauvaises. Aujourd'hui la scène rock est très diversifiée, le public quant à lui couvre plusieurs générations, les plus jeunes très réactifs et les anciens plutôt nostalgiques.


Après ce III, le groupe est en plein essor, passages radios, télés, grosses premières parties, alors pourquoi a-t-il été le dernier ? Et comment un chanteur de la trempe de Belmonte et un guitariste comme toi ont pu être en silence radio pendant 20 ans ?Aviez vous totalement arrêté la musique ?
Après notre retour de Londres le groupe est en plein essor, tournées, passages radios, télés, grosses premières parties, cette période va durer une année, on commence à penser un nouvel album, mais en même temps, paradoxalement, une suite d'événements va annoncer sa séparation, le manque de motivation et le désinvestissement financier de notre maison disques, le rachat de Barclay par le groupe Polygram (aujourd'hui Universal), vont rendre l'avenir du groupe incertain. Au moment ou tout doit décoller tout devient compliqué, et pour finir un conflit avec notre management dont les exigences démesurées n'ont pas permis la reconduction des contrats avec Polygram. Tous ces obstacles ont fracturé le groupe en deux, c'est le début de la fin, une partie reste et l'autre s'en va.Mais on ne peut par dire qu’un « silence radio » a suivi, car personnellement, après la séparation du groupe, j’ai entamé un parcours de musicien compositeur et d'arrangeur réalisateur, avec des artistes issus tant du monde du rock que celui de la variété française. J’ai composé pour d'autres, j’ai créé des musiques originales pour la pub, pour des séries télévisées et des films. Aujourd'hui, ma principale activité reste toujours dans la production musicale. En ce qui concerne Robert, il s'est un peu éloigné du milieu musical mais au cours de toutes ces années nous avons ressenti à plusieurs reprises l'envie de reformer le groupe. On s’est finalement décidés en 2004, mais malheureusement le hasard de la vie ou le destin en ont voulu autrement.

Vous venez de vous reformer , avec un nouveau chanteur , puisque hélas Robert Belmonte est décédé en 2004, qu'est ce qui t'as poussé a remonter sur les planches? vous faire plaisir tout simplement?
L'événement déclencheur de cette re-formation est la sortie du coffret "Story, Live and More ", évidemment l'envie de jouer, partager les belles sensations, le plaisir tout simplement.


Question de notre ami Bruno, guitariste à ses heures : sur quelle guitare joues-tu et as-tu une botte secrète pour avoir ce son ? Et quels étaient/sont tes gratteux favoris ?
C'est une combinaison ultra simple Marshall Gibson, pour mes guitares toujours des Les Paul Juniors double échancrures de préférence des 59 et des 60 avec un seul micro P90 simple bobinage, c'est d'une efficacité redoutable. Il m’arrive aussi d’utiliser des Gibson Les Paul Standart avec des micros à double bobinage pour obtenir un son plus brillant et avec plus de définition. Pour l'amplification c'est du Marshall Super Lead 100 souvent deux têtes et deux baffles à pan coupé, pour les effets juste une wha-wha Vox. Voilà pour l'essentiel et le reste, eh bien comme pour tout le monde c'est dans la tête et dans les doigts. Pour les guitaristes mes préférences vont à Jimi Hendrix, le triptyque british Eric Clapton, Jeff Beck, Jimmy Page, la finesse de George Harrison, l'énergie de Pete Townsend, le coté progressif de Robert Fripp et la créativité débordante de Frank Zappa.

Merci Georges! quelque chose à ajouter?
G.B. : On en parle au prochain album ?! Merci à vous !

On se quitte en musique avec "Qu'on me laisse le temps" puis la reprise de Trust "Ton Dernier Acte" 

2 commentaires:

  1. Robert BELMONTE (dit Bébert ou Bobby) est , était et restera un ami immortel. Je l'ai surtout connu du temps du groupe STRATAGEME. C'était quelq'un hors pair aussi bien en tant qu'artiste d'exception qu'humainement parlant de telle sorte que lorsque j'ai appris son décès d'une manière assez subite et je ne suis jamais vraiment remis tellement il était inoubliable et je le sens encore présent. C'est avec le groupe OCEAN co-créateur avec Georges BODOSSIAN qu'il a pu donner libre cours à son talent créatif et inovateur. L'harmonie qui régnait dans le groupe se ressent dès leur premier album tant il est équilibré et surprenant encore aujourd'hui. La perfection ne s'invente pas mais le produi t d'un travail perfectionniste (350h de studio pour le 1er Opus) qui se traduit par un bijou résistant au temps à l'époque on parlait d'un mélange de King Crimson et de Trust et fut le démarrage d'une belle carrière trop rapdement arrêtée nous laissant sur notre faim. Georges BODISSIAN l'a bien compris et a courageusement reformer le groupe drnièrement et la magie a opérée peut-être que le souvenir de notre ami commun y a-t'il contribué car c'est franchement un succès. Allez le voir en concert vous ne regretterez pas le déplacement promis !

    LONGUE VIE A OCEAN !

    MICK.

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  2. merci de ton passage et de ce temoignage Mick

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