vendredi 29 avril 2011

ANVIL (2010) de Sacha Gervasi, par Luc B.




ANVIL est un groupe canadien de Speed Métal, formé en 1977 autour du chanteur-guitariste Steve Kudlow et du batteur Robb Reiner. Leur première influence est BLACK SABBATH, dont ils radicalisent le style. Leur apogée musicale se situe en 1984, lorsqu’ils partagent la scène de WHITESNAKE, SCORPIONS. Et puis… plus rien ! 25 ans plus tard, un fan du groupe, Sacha Gervasi, décide de partir à leur recherche, et réalise ce film documentaire.

Vous souvenez-vous du film parodique THE SPINAL TAP, de Rob Reiner (Rob avec un seul « b », aucun rapport avec le batteur de ANVIL) ce film délirant sur un groupe de hard rock déjanté, vrai-faux docu hilarant et culte ? Vous pensiez que c’était exagéré ? Jetez un œil à ANVIL, le film…

Robb Reiner (batterie) et Steve "Lips" Rudlow (guitare)
Au début des années 80, ANVIL font figure de précurseurs, accélérant les tempos, hurlant, rameutant tous les symboles sataniques possibles et inimaginables, un jeu de scène bestial… Steve Kudlow ne joue pas de guitare avec un archer, comme Jimmy Page, mais avec un… godemichet, et arbore un plastron sado-maso clouté du plus bel effet ! ANVIL se traduit par… enclume. Le Speed Métal est né, et nombreux sont les musiciens de l’époque à saluer leurs prestations, et à s’engouffrer dans cette brèche ouverte. Le film de Sacha Gervasi commence d’ailleurs par un florilège de d’hommages, de Slash (GUN AND ROSES), Lemmy (MOTORHEAD) ou Lars Ulrich (METALLICA). Et c’est justement parce que METALLICA, puis SLAYER, ANTHRAX, MEGADETH et consort ont déboulé, armés de producteurs, de managers aguerris, que le groupe ANVIL, vite dépassé, a disparu de la scène métal. Dans le film, on découvre Steve Kudlow qui bosse dans la préparation de repas pour des cantines scolaires, et Robb Reiner peint des tableaux dans sa cave… C'est lui qui dessine aussi les pochettes. Ils ont recruté un bassiste, un second guitariste, et jouent toujours, enregistrent des albums, qui passent totalement inaperçus. Mais ils y croient, ils ont la flamme, soutenus à demi-mots par leurs familles, même si la femme de Robb n’y croient plus tellement. L’espoir renaît avec une participation à une tournée européenne, en 2008. D’abord en Angleterre. Celle qui organise la tournée, c’est la petite amie de Kudlow, qui s’improvise manager ! Il y a quelque chose de touchant et de pathétique à la fois dans ces images. Kudlow croise ses confrères, à qui il voue un véritable culte, alors que ceux-ci ne le reconnaissent même pas. Mickael Schenker, « le Beethoven de hard » qui n’aura même pas un regard pour Kudlow, John Skyses (THIN LIZZY, WHITESNAKE) que Kudlow reconnaît, apostrophe : « hey John, c’est moi, Steve, tu me reconnais ? tu te souviens en 84, dans ce bar, cette grande brune qu’on a draguée ? »… Visiblement John, gêné,  ne se souvient pas… La tournée se poursuit en Europe de l’est, et là, la tragédie pointe son nez…


Le groupe doit jouer à Prague, trace la route en mini-bus, n’arrive pas à lire les panneaux en tchèque, et arrive avec deux heures de retard. Le restau est quasi vide, les clients n’ont pas attendu, mais ANVIL assure tout de même le concert. Au moment de se faire payer, le patron des lieux leur dit : « Attendez-là, je vous apporte du goulasch ». "Mais nous on veut notre fric, pas du goulasch" hurle Kudlow ! Le ton monte, on en vient aux mains ! "Fallait pas être en retard !" ; "Ouais, mais on a joué quand même !" Le générique de fin nous apprendra qu'après tractations, le restaurateur  s'acquittera de sa dette : 100 euros... Et scène surréaliste, un type intervient, sort une carte de visite : « je suis avocat, je peux vous aider, ne vous faites pas avoir. Vous savez ce que c’est votre problème ? Vous avez un manager de merde ! »… La manager en question, la fiancée de Kudlow donc, fond en larme, pète les plombs… La tournée est un désastre, ils ratent leur train, joue parfois devant six spectateurs tellement avinés qu’on leur passerait un disque cela ne changerait, pas grand-chose. ! Une salle en Roumanie de 10 000 places : 174 spectateurs iront les voir. Seul un touriste japonais les reconnait, et leur demande de venir jouer au Japon, où là, un vrai public les attend… Mouais, en attendant, tous dans le bus ! 


Le Japon, mon pote, le Japon !
On suit ces types au quotidien, sordide. La petite famille, les gosses, la maman qui témoigne. Ils ont été les meilleurs, et veulent le redevenir. C’est la sœur de Kudlow, qui sur ses économies financent leur treizième album. Au départ, c’est un désastre, Robb et Steve s’engueulent, se fâchent, et en sanglot se rabibochent. Car ce film est aussi – et surtout – une histoire d’amitié indéfectible, entre deux types qui ne peuvent compter que sur eux-mêmes, pour s’accrocher à leurs rêves. Emotionnellement, la scène est forte, avec Steve disant à Robb : "qui puis-je traiter de tous les noms, si ce n'est mon meilleur ami, le seul que j'ai". Sauf que Robb, dans le rôle de l'enclume (sic!) en a marre de supporter les coups de pilon de son pote...  Une scène à rapprocher du film de Joe Berlinger, SOME KIND OF MONSTER (2005) qui suivait le groupe METALLICA pendant deux ans, en compagnie de leur psy ! (excellent docu au passage...)  Pas sûr qu’il n’y ait pas un peu de cabotinage dans ces scènes-là… la présence de la caméra exacerbe les passions. Sans doute  tout n'est-il pas spontané, attendez les gars, je cadre mieux, allez-y, embrassez vous encore, okay c'est bon ! Le documentaire, ça reste du cinéma, non ? Enfin le disque est fait, ils en sont satisfaits, reste à le vendre et eux-mêmes ils déposent les maquettes dans les maisons de disque, ne dépassant pas le hall de réception… Sauf chez EMI, au Canada, où ils sont finalement reçus, mais cela ne donnera rien. Juste un mail laconique, 15 jours plus tard : « désolé, nous ne distribuerons pas votre disque, bonne chance à vous… ». Et puis, le téléphone sonne. Le Japon les réclame. Non, ce n’est pas une blague, le japon veut ANVIL, pour un festival de rock, sur trois jours. ANVIL est programmé le premier jour, le matin, de 10h35 à 11h40…  Le plan sur l'affiche, avec leur nom, inscrit en premier, le matin, en haut à gauche... On n'y croit à peine ! Quelle poisse ! Les mecs sont effondrés !  Le réalisateur joue le suspens, l’attente, y aura-t-il du monde, un matin, pour écouter du hard ? « On s’en fout, putain, on est là, au Japon, et même s'il n’y a personne, ben on jouera quand même ! ». Et le spectateur griffe l’accoudoir du fauteuil. Sans déc, on tremble pour eux. S’il y a trois pelés et un tondu, on va se marrer, se foutre de leur gueule, une fois de plus, ou bien on chialera comme devant un bon vieux mélo. ANVIL entre en scène. La salle est comble, et l’hystérie gagne dès le premier riff de guitare...


Pas sûr qu’il faille s’intéresser particulièrement au Heavy Métal, ni même au Rock, pour apprécier ce film. Ce qui comptent, ce sont les coulisses, les cuisines, le quotidien de types qui n’ont jamais baissé les bras, jamais abandonné leur rêve d’ado, être des musiciens de rock, des stars, jouer dans la cours des grands. ANVIL, le film, est un documentaire touchant, drôle, dramatique, pathétique, tendre, vrai. Un film sur les rêves, sur la foi, l’envie, la niaque, sur l’amitié, sur l'énergie, et l'amour pour une musique qui rassemble public et artistes dans une même communion.  Dans ce film, les regards en disent longs, des épouses, des frères et sœurs, des amis, regards fatigués, désœuvrés, éteints, qui ne demandent qu’à s’enflammer de nouveau pour peu qu’il y ait quelques paires d'esgourdes pour écouter leur musique.



Et vous savez quoi ? Ce film a eu du succès, a été diffusé partout dans le monde (festival de Sundance), et plein de gens ont redécouvert ANVIL, dont les mecs d’AC/DC qui leur auraient proposé de faire leur première partie, et leur quatorzième album sort ces jours-ci, produit par Bob Marlette (Alice Cooper, Black Sabbath) et distribué par Sony Music ! Et Steve Rudlow est vachement fier, parce que Jimmy Page  (Led Zeppelin) lui a envoyé un télégramme de soutien. What a fuck man ! Jimmy Page ! Le vrai ! Alors, elle n’est pas belle la vie ?

PS : ce film est diffusé actuellement sur Canal+
 


Anvil ! Bande Annonce du film par LE-PETIT-BULLETIN






ANVIL ! (2010)
Réalisé par Sacha Gervasi, distribué par Zootrope Films (Coppola)
Couleur - 1h20 - format 1:85

6 commentaires:

  1. Un "doc" bien mené. On est parfois mal à aise, notamment pour Lips. Une belle histoire d'amitié.
    P.S : à mon sens, Anvil n'est pas à proprement parlé du T(h)rash Metal, mais plutôt du gros Heavy-Metal entre Judas et Maiden.

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  2. "c’est la petite amie de Rudlow..."
    Non, celle du second guitariste.

    "...dont les mecs d’AC/DC qui leur ont proposé de faire leur première partie" Foutaises, AC/DC n'est même plus en tournée actuelement et avait pris The Answer en première partie, Anvil tourne avec Saxon.

    Et une coquille dans l’épisode "Steve et John"

    Je pinaille un peu mais bon, irritant les inexactitudes...

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  3. Pardon pour les inexactitudes... La confusion entre les petites amies... Concernant ACDC, que cela ne se soit pas fait, n'empêche pas le fait d'y avoir songer, qu'ils aient eu envie de le faire. Donc pas si foutaise que ça... Il faut quand bien avoir le ton du film en tête, entre ce qui y est dit et la réalité, il y a une marge ! C'est tout l'intérêt du film aussi, ce décalage. Qu'est ce qui prouve que le concert devant trois pelés n'est pas une reconstitution ? La scène du train n'a-t-elle pas été tournée quatre fois ? Ce n'est pas un reportage au sens strict, c'est un film, et les mecs le savent, cabotinent. Une coquille dans l'épisode Steve et John ? Merci de préciser que je puisse corriger.
    Merci du passage

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  4. "« hey John, c’est moi, Steve, tu me reconnais ? tu te souviens en 84, dans ce bar, cette grande brune qu’on a draguée ? »… Visiblement Steve, gêné, ne se souvient pas..."

    Ça serait plutôt "John" qui se souvient pas, "Steve" étant le mec d’Anvil. D’ailleurs j’avais même pas fait gaffe, c’est Kudlow et pas Rudlow.

    Je veux pas faire le chieur de service mais c'est juste des petits trucs dommages parce que l’article est bien écrit.

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  5. Vous avez parfaitement raison, j'ai corrigé, merci.

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  6. merci, ça fait plaisir d'avoir des lecteurs qui suivent!
    (Toutefois pourriez vous penser à signer vos posts, c'est dommage de ne pas savoir qui nous parle - merci d'avance et à bientôt)

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