vendredi 15 juillet 2011

JEAN LUC GODARD, suite et fin, par Luc B.

Seconde partie de l'article, dont le début avait été publié le vendredi 8 juin 2011 :

http://ledeblocnot.blogspot.com/2011/07/jean-luc-godard-premiere-partie-par-luc.html


Résumé : Jean Luc Godard est arrivé à Paris après la guerre, il a été beaucoup au cinéma, il a voyagé de part le monde, est revenu en France, a écrit pour les Cahiers du Cinéma, a réalisé A BOUT DE SOUFFLE en 1959, puis une dizaine de films, avant de virer vers le cinéma militant à la fin des années soixante, s'est fâche avec François Truffaut et une large majorité de la profession, s'est totalement détourné du public (à moins que ce soit l'inverse) puis a réalisé des films-track politiques sous le nom collectif de Dziga Vertov, puis des essais en vidéo avec sa compagne Anne Marie Miéville, tout en continuant à être invité aux USA et partout dans le monde pour parler de son travail et son engagement militant en faveur d'un autre cinéma. En 1979... 



Isabelle Huppert, filmée par le pornographe JGL !
"A born again filmmaker !" ont titré les américains à propos du retour de Jean Luc Godard, qui s’offre une nouvelle vie à l’aube des années 80. Avec deux rencontres, celles de Marin Karmitz et Alain Sarde, producteurs, le dernier allant travailler avec Godard sur 9 longs métrages. Le nouveau projet s’appelle SAUVE QUI PEUT (LA VIE) et dès 1979 Godard dépose un dossier à l’avance sur recette. On lui demande un scénario, une continuité dialoguée, lui envoie une cassette vidéo. Comme si Cézanne montrait des croquis, avant de passer à la peinture… Godard retrouve le travail en équipe, invitant ses acteurs chez lui, à Rolle (Nathalie Baye, Isabelle Huppert et Jacques Dutronc, qui l’initiera à l’art du cigare) pour de longues séances de discussion, d’esquisses vidéo. Le film a pour décor la région natale de Godard, en Suisse, la nature, la montagne. Des décors somptueux que Godard mettra au cœur de ses prochains films, en exploitant chaque recoin, chaque lac, chaque chemin, chaque bois. Godard filme magnifiquement la nature, le bruissement du vent dans les cimes, les nuages. Godard qui s’est entouré des meilleurs techniciens mondiaux est évidemment odieux avec tout le monde, et à l’issue du tournage il fuit à Los Angeles sans prévenir, retrouver Francis Ford Coppola, alors que la post production n’est pas finie ! Karmitz ne décolère pas, mais SAUVE QUI PEUT (LA VIE) ne rate pas le rendez-vous de Cannes. Godard s’y fait lyncher, huer, siffler comme nul autre ! Mais quelques mois plus tard, pour sa sortie en salle, les mêmes qui l’avaient trainé dans la boue, traité de pornographe, l’encensent. Le film est un succès, commercial, et sera distribuer par Coppola aux USA.




Maruschka Detmers, PRENOM CARMEN
Godard passe du temps avec Coppola, en réalisant le making of de ONE FROM THE HEART, (COUP DE COEUR) amusé et épouvanté par le gigantisme hollywoodien. Il avait déjà eu l’occasion de faire mumuse avec des grues de 30 mètres, dans un décor abandonné de Coppola,, pour un projet finalement avorté. Il rencontre Hannah Schygulla, lui propose un film, vaguement inspiré des déboires de Coppola. Comme beaucoup de rencontre, cela se fera entre deux portes : et si on faisait un film ensemble ? Pourquoi pas, où est le scénario ? Ben, c'est-à-dire que… pour l’instant j’ai juste une idée, mais ça suffit pour commencer ! Ce film, sera PASSION (1981) avec aussi Isabelle Huppert et Michel Piccoli. La presse salue l’extrême beauté du film, et le retour aux affaires de Jean Luc Godard. La suite sera houleuse, entre un Godard omniprésent dans les médias, qui multiplie les entretiens, les déclarations, les rencontres, les débats (c’est un client en or, habile, facétieux) et des films qui font scandale. D’abord PRENOM CARMEN (1983) où il retrouve Raoul Coutard à la photographie, avec une Isabelle Adjani qui quitte le tournage, remplacée par Maruschka Detmers. Une scène notamment choque le public, un long dialogue de 10 minutes, alors qu'à l'écran, on ne voit que le sexe de Maruschka Detmers en gros plan ! Plus un certain nombre de scènes de sexe explicites. Lion d’or à Venise, le film est splendide, mais le succès est modeste. A cette époque, Godard partage la vie de la comédienne Myriem Roussel, figurante sur PASSION, une relation trouble, complexe, de père-fille, auteur-muse, encore une fois. L’actrice se sépare de son mentor à l’occasion d’un ultime tournage : JE VOUS SALUE MARIE (1984) un tournage très long, difficile. Anne marie Miéville, la compagne « officielle » de Godard travaille aussi sur le projet, et réalisera sa propre version de la Nativité, un moyen métrage avec Bruno Cremer et Aurore Clément.
L'objet du scandale, JE VOUS SALUE MARIE
Pour payer la fin de JE VOUS SALUE MARIE, Godard accepte de commencer DETECTIVE, conçu pour être un succès, puisqu’il met à l’affiche Johnny Hallyday et Nathalie Baye, alors en couple, et avec JP Léaud et Claude Brasseur. La sortie de JE VOUS SALUE MARIE fait scandale, une Marie laïcisée, qui s’inquiète de son état auprès de son gynéco, des représentations de nu d’une esthétique foudroyante. Barrages, manifs, jet de peinture dans les salles, alertes à la bombe, tout est bon pour que personne ne voie ce film blasphématoire. Les cinémas Les Studios, à Tours, finissent en cendre ! Les Studios ! Mes Studios ! Là où j’ai découvert Bogart, Capra et Kubrick ! Là où Rockin' s'est ému aux larmes devant DOWN BY LAW ! Ah les chiens ! ! ! Moi, c’est à Paris que j’étais pendant ce temps là, et ce n’était effectivement pas facile de rentrer dans une salle de cinéma ! Mais on ne va pas se laisser intimider par des ligues de vertu versaillaises, nom de D… ça a été le même cirque pour TENUE DE SOIRÉE de Blier, bref... L’affaire se finira au tribunal, et Godard sort vainqueur. Le film restera à l’affiche. Mais pas en Italie, où Jean Paul II s’est prononcé contre. Godard se félicite au passage qu’une de ses œuvres ait été vue par un pape ! Jean Luc l’hérétique est de nouveau au centre des débats intellectuels, une publicité de bon augure, puisque le film attire 250 000 spectateurs en France. Sa renommée est mondiale, les rétrospectives se multiplient, financiers et stars se précipitent pour tourner sous sa direction. Seul Maurice Pialat peut rivaliser, autre auteur intransigeant, qui lance à Cannes, accompagnant un bras d’honneur aux siffleurs : « si vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas non plus ! ». Godard, lui, aux Césars, remerciera « la standardiste de chez Gaumont, et les professionnels de la profession » !



DETECTIVE est plutôt raté, le tournage infernal, Godard étant odieux avec tout le monde, multipliant les caprices (y compris de se faire livrer quelques jeunes débutantes qu’il déshabille devant ses caméras pour ne rien garder ensuite…). Il dira à Claude Brasseur : « y’a 20 ans tu étais encore quelqu’un, mais là… ». Seul Hallyday mérite du respect à ses yeux, un pro, un vrai, qui s’intéresse à ce qu’il fait. Suivront une série de film vidéo, dont GRANDEUR ET DECADENCE D'UN PETIT COMMERCE DE CINEMA pour TF1 (1986), puis SOIGNE TA DROITE (1987) avec les Rita Mitsouko, Jacques Villeret, et lui-même, puisque depuis un moment Godard joue dans ses films, généralement des apparitions burlesques, la même année KING LEAR, et encore une ribambelle de films commandes, des films institutionnels pour France Télecom, Nike ou Darty, les commanditaires n’étant pas franchement enthousiasmés par le résultat, Godard se réappropriant le cahier des charges de manière assez personnel ! Ces films, faits de montages, collages, citations diverses, seront une répétition générale de son grand projet, celui sur lequel il travaillera pendant 10 ans : HISTOIRE(S) DU CINEMA. En 1990, un projet se monte avec Alain Delon, heureux de retrouver le cinéma d’auteur après des années à faire le porte-flingue : NOUVELLE VAGUE (1990). Filmé sur les bords de lac Léman, les images magnifient la nature, Delon y est très bien, et fier du résultat. Et détail : le nom de Jean Luc Godard n’apparaît pas au générique. Non pas que l’auteur renie son film, mais Godard a expliqué : « mon histoire durait trois minutes. Il fallait remplir une heure trente. Donc j’ai rempli, avec des images, de la musique, et des phrases prises dans des romans. Je me suis servi, j’ai assemblé. Je suis simplement celui qui met en relation Raymond Chandler et Dostoïevski. »



JLG, auteur et narrateur des Histoire(s) du cinéma
On retrouve l’idée de départ. La notion de nom, d’identité qui s’estompe, et une réflexion aussi sur la notion d’auteur. Et le fait que Godard n’a plus besoin de signer un film, puisque dès le premier plan, on a deviné. Mais surtout que l’on peut considérer qu’un collage d’œuvres appartenant aux autres, et aussi une œuvre en soi. Et quid des droits d’auteurs ? On le verra avec HISTOIRE(S) DU CINEMA, mais Godard ne s’est jamais posé la question du droit d’auteur lorsqu’il emprunte à droite et à gauche. Pour lui c’est naturel, la culture, on pioche dedans, c’est un patrimoine commun. On appelle cela, en droit, le droit de citation. Hadopi : connais pas !



HISTOIRE(S) DU CINEMA est une œuvre colossale, un projet né très tôt chez Godard, inspiré d’Henri Langlois (président de la cinémathèque qui accueillit Godard dès 1949) et des écrits de Malraux sur la culture. Ce projet lui prendra 10 ans, et il n’en est pas d’égal dans le monde. Il s’agit de raconter l’histoire du cinéma, ou l’Histoire tout court, par le média qui seul peut rendre visible cette histoire : le cinéma. Produit par Canal+ et Gaumont, c’est 4h20 de programme en 8 épisodes, qui décortique le sens et le rapport à l’image, le cinéma dans l’histoire, ou l’histoire dans le cinéma. Godard utilise tous les outils de la vidéo, qu’il maîtrise parfaitement, incrustations, ralentis, multi-écrans, d’innombrables extraits de films, et pour la bande son, outre la musique, des extraits de citations de cinéastes, philosophes, peintres, romanciers… Les deux premiers épisodes sont montrés à Cannes en 1987, mais ils seront retravaillés par la suite, et c’est en 1998 que l’ensemble des HISTOIRE(S) DU CINEMA et visible. L’épisode 4A est centré sur Alfred Hitchcock, que Godard considère comme "le plus grand créateur de forme du XXème siècle". Godard prépare aussi une adaptation en livre, qui sortira chez Gallimard. Il dessine pratiquement chaque page, réalise une maquette avec des photocopies collées, des pliages… Il veut une photo en couverture. Impossible, chez Gallimard, y’a jamais de photo ! Godard trouve une seule exception, et fort de cette jurisprudence, aura gain de cause !

En parallèle de ce projet pharaonique, Godard réalisera ALLEMAGNE 90 NEUF ZERO, d’après une commande de la télé, mais transformé en projet cinéma, co-produit par lui, mi-reportage, mi-reflexion sur la culture, la solitude, où il retrouve l’acteur Eddie Constantine (déjà dans ALPHAVILLE en 1965) dans le rôle d’un Lemmy Caution qui arpente tristement une Allemagne déserte. Il y aura aussi HELAS POUR MOI (1993) avec Depardieu, qui fait un bide malgré l’affiche alléchante, Depardieu se foutant royalement de son rôle, collé à son téléphone, et Godard se foutant royalement de son acteur. Il y aura aussi JLG/JLG (1995) autoportrait, et la même année DEUX FOIS 50 ANS DE CINEMA FRANÇAIS, œuvre de commande, documentaire pour le centenaire du cinéma. Depuis plusieurs années, des artistes ont pris fait et cause pour Sarajevo en proie aux bombardements. Godard y fait souvent allusion dans ses récentes réalisations, et en 1996 il y tourne FOR EVER MOZART, et distribue encore du matériel aux associations culturelles, pour qu’elles tournent et témoignent. L’image comme preuve. A ce propos, une polémique fait surface, entre lui et Claude Lanzmann, l’auteur de SHOAH. Existe-t-il des images des chambres à gaz ? Godard pense que oui, les nazis étant des maniaques administratifs, notant, photographiant, filmant tout. Lanzmann l’accuse de révisionnisme. Les deux hommes doivent se rencontrer, Godard doit filmer l’entretien, mais aucun accord n’est trouvé. Il faut dire qu’en tant qu’ex-gauchiste, Godard fait sienne cette rhétorique propre aux années 70 : les juifs font aux palestiniens ce que les nazis ont fait aux juifs… ça fait grincer les dents. Et il y a aussi cette idée de « caméra-œil » dont nous avions parlé à propos de la période Dziga Vertov. Mais aucune once de révisionnisme dans les propos du cinéaste, pour qui le cinéma, en tant que témoin de son siècle, aurait du se trouver à Auschwitz. Comme la libération des camps avait été filmée, par des metteurs en scène américains, engagés au front.



En cette fin des années 90, Godard est fatigué, fatigué de la gloire qui entoure toujours son nom, fatigué de constater que malgré cela, ses films ne sont pas vus par le public. D'où cette idée de devenir fonctionnaire du cinéma. L'Etat lui commande un projet, il le réalise, sans se soucier de la rentabilité du film. Il n’habite plus avec Anne Marie Miéville, mais reste voisin. Ils se voient souvent, se promènent longuement dans la campagne vaudoise, et travaillent toujours ensemble. Ils réalisent tous les deux de petits films vidéo, comme on s'enverrait des texto aujourd'hui ! Godard fait deux fois l’acteur dans des longs métrages de sa compagne. Et puis, Anne Marie Miéville devient grand mère, et pour Jean Luc Godard, cela signifie qu'il peut désormais être entouré d'enfants, qu'il peut observer, filmer, lui qui n'en avait pas (cf la fausse couche de Anna Karina). Le désir d'enfant est un des rares sujets où Godard botte en touche. L'homme se fait pudique quand on touche à l'intime.

Le début des années 2000 voit différents musée s’intéresser à lui, à New York, ou le Louvre. Mais c’est avec le Centre Pompidou qu’il fera affaire, acceptera de monter une expo. Des années de travail, Godard fabriquant lui-même les maquettes des salles, des sommes énormes englouties, pour pas grand-chose, puisque le cinéaste rechigne, boude, se contrarie, et casse finalement son jouet, comme un enfant gâté. En 2006, une expo a bien lieu, à Beaubourg, Godard en a fait une expo sur une expo qui ne s’est jamais faite, exposant d'ailleurs la maquette qu'il avait faite ! (photo). Une manière de régler ses comptes avec l’institution, alors que Godard est le responsable du fiasco ! Et puis il y aura de longues tractations avec Jack Lang, sur la manière de créer une école de cinéma, dérivée de la FEMIS. Là encore, rien ne se fera. En parallèle de travaux vidéo avec la complicité de Miéville, sortiront sur les écrans ELOGE DE L’AMOUR (2001) NOTRE MUSIQUE (2004), et la même année un remontage sur 35 mm des HISTOIRE(S) DU CINEMA. Avec l’échec de Beaubourg, ses films qui font 50 000 entrées, Godard est de plus en plus isolé, dépressif, reclus chez lui, coupant les ponts avec ce monde extérieur, pouvant, en une phrase assassine se fâcher avec des amis de trente ans. Il s’est même fâché avec son vieux pote Jean Pierre Mocky, l’autre flibustier du cinéma français, pour « avoir osé accepter en 1998 un César d’honneur de la part de ces cons ! » Vers 2007, il commence à s’équiper en matériel numérique, et pense à un nouveau long métrage, mais il s’est aussi fâché avec Gaumont… Ce projet qui sortira en 2010, c’est FILM SOCIALISME, filmé en grande partie sur un paquebot de croisière (on y croise Patti Smith !), et dans des villes du pourtour méditerranéen. Allégorie politique sur l’Europe, la consommation de masse, le film est à Cannes. Godard, lui, n’y sera pas, prétextant « une crise grecque ». Il refusera aussi l’hommage d’Hollywood pour les oscars 2011. Il semblerait qu’il commence à faire le ménage chez lui, triant, jetant des tonnes de matériel vidéo, qui à ses yeux ne veulent plus rien dire.



Film Socialisme, dernier métrage en date
Jean Luc Godard a 80 ans. Dans l’entretien qu’il a accordé à Canal +, on le voit en forme, l’œil brillant, intellectuellement toujours aussi vert, la formule assassine. Son nom est inscrit au panthéon du cinéma mondial. De la Nouvelle Vague au cinéma militant, de l’expérimentation vidéo, au films-essais, Godard n’aura cessé de surprendre, de créer, de choquer, bosseur intransigeant, odieux, difficile, d’une mauvaise foi totale, assurément génial (pour les uns) ou totalement creux (pour les autres). Un personnage complexe, aux prises de positions parfois radicales, héros de plusieurs générations de cinéastes et d’artistes dans le monde entier, ermite reclus se lamentant sur sa propre gloire. Des fans sonnent chez lui, mais il n’ouvre pas. Ça l'emmerde ! Lui, quand il admirait un cinéaste, il lui proposait un entretien de 20 pages dans un magazine, pas une photo souvenir dans une cuisine… Il a fait une exception pour un jeune japonais, qui avait fait Tokyo-Paris en avion, et Paris-Rolles (en Suisse) à vélo ! Pour saluer l’exploit sportif, Godard lui a permis d’entrer, clic clac kodak, et le type est reparti en pédalant pour Roissy, où son avion décollait le lendemain ! 


Fort de cette information, je vous laisse, il faut que j’aille regonfler mes pneus. Je pars demain !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire