vendredi 19 août 2011

KEITH RICHARDS - "Life" - (2010) par Luc B.

" Croyez-le ou non, voici ma vie, et je n'ai rien oublié "


Il est de coutume de dénigrer les autobiographies de grandes stars (ou des insignifiantes, comme notre ami Christophe Maé, qui avait déjà la sienne à 12 ans et demi et trois chapitres consacrés à son premier poil au menton) sous divers prétextes : la star en question ne l’aurait pas écrite elle-même, la star en question ne ferait cela que pour le fric, une qualité littéraire suspecte, et peu de chose, au final, à raconter d’intéressant, ou de nouveau. Sauf que… Dans le cas de Keith Richards, guitariste et compositeur du groupe de rock’n’roll anglais THE ROLLING STONES (précision superflue, mais assurons nos arrières tout de même... Ooooh Elodie, ne pouffe pas en regardant Claude, tu étais visée aussi !)  on a affaire à un récit tout à fait réjouissant, milles péripéties, et un témoignage non négligeable sur une époque, et sur la musique. Évidemment que Keith Richards n’a pas rédigé chaque phrase du bouquin, et on s’en moque, il n’est pas écrivain mais musicien. Et à lire son histoire, je ne pense pas qu’il l’ait fait uniquement pour l’argent. Il en a tellement… Un peu plus un peu moins… Je crois à la sincérité de ce type, qui aime profondément la musique (une profession de foi répétée à chaque page ou presque) et qui surtout est à sa manière un témoin de son temps, avec beaucoup de choses à nous raconter. Il le fait humblement, avec une bonne dose d’humour. Et puis, à l’instar d’un Eric Clapton (autre autobio fort intéressante, et même touchante), prenons acte d’une chose simple : passé la soixantaine (68 ans pour le Stone) acceptons l’idée que certains aient envie de parler avec leur propres mots, et non ceux des autres, pour couper court à toutes les âneries qui courent sur leur compte.



Le livre se lit vite, car le style est davantage parlé qu’écrit. Keith Richards raconte, tout simplement, et nous, béats, on écoute… Il se lit vite, car le lecteur tourne frénétiquement les pages, au rythme des époques, des chansons, des albums, attend telle période, tel évènement, découvrant encore de nouvelles histoires et anecdotes à propos d’un groupe dont on imaginait déjà tout savoir. Et puis (du moins en ce qui me concerne) d’essayer de percer ce mystère insondable : comment nait un tel groupe, de telles chansons, une telle renommée, de tels talents. Bref, d’où vient que certains touchent au génie, et que d’autres barbotent dans la médiocrité.

Les Stones à leur début, avec le pianiste Ian Stewart à gauche.
Les pages consacrées à son enfance, à Dartford, quartier de Londres, fleurent bon le Dickens, avec le petit Keith maigrichon aux grandes oreilles, l’après guerre et les restrictions, les bizutages au collège (quand il y met les pieds) et le grand père Gus qui l’initie à la guitare, la mère Doris à Django Reinhardt, et le choc que constitue l’écoute d’Elvis Presley à la radio. Et puis comme Eric Clapton, et tant d’autres, il y aura cette communauté de jeunes ados désœuvrés qui trouvent refuge dans le blues, une musique qui évoque l’exotisme des rives de Mississippi, plus chatoyantes que celles de la Tamise, et le sentiment viscéral que leur vie passera par un manche de guitare et quelques accords. Keith Richards s'inscrit à la chorale de son école, y trouve sa place, la formation gagne des concours, acquiert sa petite renommée, mais tout s'arrêtera du jour en lendemain. Viré. Richards ne le pardonnera pas à ses profs, à l'institution toute entière, et devient allergique à toute forme d'autorité. Keith Richards connaissait Mick Jagger depuis l’enfance, mais le second habite un quartier plus rupin. Quand ils se recroisent quelques années plus tard, Jagger avec des albums de Chuck Berry sous le bras à la gare de Dartford, c’est le début des Little Blue Boy and the Blue Boys, des reprises rhythm’n’blues dans les pubs (Jimmy Reed, Muddy Waters, Bo Diddley...) la rencontre avec Brian Jones, et surtout de Ian « Stu » Stewart, pianiste, plus âgé, véritable catalyseur de ce qui deviendra les ROLLING STONES, mais évincé par leur premier manager Andew Loog Oldham, car un groupe de six mecs, ça ne pourrait pas fonctionner... Charlie Watts, lui, joue plutôt du jazz, plus classe, plus snob, et il a déjà sa petite renommée dans le quartier. Il finira par rejoindre la petite bande, comme le bassiste Bill Wyman, car il vient avec un bon ampli Vox.

Si les souvenirs du gratteux sont précis, c'est que Keith Richard tient son journal, tous les jours. Par exemple, chaque représentation est décrite, chaque chanson, sur tel accord, sur tel ampli, avec tel micro, la réaction du public, la recette empochée… "jeudi 3 janvier 1963, set d’une heure, très bon, le titre Bo Diddley accueilli avec applaudissements, 612 spectateurs, recette : 2 livres sterlings ". Et parfois, assez souvent même, il laisse à d'autres le soin de raconter les choses, leur cédant la parole d'un : "j'ai demandé à Patti sa version de ces évènements lointains..." opposant ainsi les points de vue. Démarche honnête.


Et c’est parti, les tournées en ouverture de Little Richard, The Everly Brothers, les filles qui hurlent, Jagger qui bouge comme James Brown, l’inévitable comparaison avec les Beatles, « une putain de vérole sur le bas clergé ». Les Fab Four et les Stones étaient potes, et s’arrangeaient même pour ne pas sortir de single en même temps, histoire de mieux se partager le gâteau. Et quand les Stones sont en panne de hits, ce sont les Beatles qui leur refilent « I wanna be your man ». Car les Beatles, eux, composent. Donc le manager Andrew Loog Oldham prend Mick Jagger et Keith Richards entre six yeux, les enferme dans une cuisine, avec comme consigne de n’en ressortir une fois une chanson écrite. Brian Jones, autoproclamé leader du groupe, n’arrivant à rien, c’est donc le tandem Jagger-Richards qui s’y colle ! Richards pond un riff, une suite d’accord, un thème, un début de texte, que Jagger mettra en forme. Là encore, les pages consacrées à l'écriture sont intéressantes, comment ces deux-là se trouvent, se complètent.

Eté 1964, première tournée aux USA, signature chez RCA avec Jack Nitzsche, rencontre avec le saxophoniste texan Bobby Keys, qui deviendra le meilleur pote de beuverie de Richards (des pages magnifiques !), et bien sûr, « Satisfaction » qui lance pour de bon les hostilités. Les pages consacrées à cette période sont passionnantes, découverte des Etats-Unis, des mœurs locales, de la ségrégation, de la méfiance des autochtones face à l'invasion des cheveux longs (forcément des petites tapettes à qui il faut casser la gueule) du terroir bluesy, et initiation à la dope. A la question de Keith Richards : comment faites-vous pour tenir le coup les gars, trois concerts par jour ? Réponse d’un musicien noir de blues : deux pilules, une bleu, une rouge… prend un sachet, et éclate- toi ! Les cinq anglais sont pris dans la spirale du succès, des tournées, et des excès en tous genres. Rapidement Brian Jones n’est plus capable de rien, laissé sur la touche. Jones aime la célébrité, être entouré de flatteurs, et les partouzes. Cela fait un moment que sa guitare n’est plus reliée à la console d’enregistrement… Richards lui pique sa copine Anita Pallenberg, reine de la jet-set et junkie notoire. Keith Richards plonge à son tour, acide, coke, héroïne, pour bâtir un mur entre lui et l’entourage superficiel de parasites. Les albums légendaires voient le jour, AFTERMATH, LET IT BLEED, BEGGARS, STINKY FINGERS, EXIL, et la tournée de 1972, barnum incroyable, dont Keith Richards avoue ne plus trop se souvenir... naissance du rock business. Jagger adore les mondanités, Richards lui, adore la piquouse, hobby qu’il partage avec John Lennon et surtout Gram Parsons, qui lui fait découvrir la country music, et avec qui il passe de merveilleux moments. Parsons décèdera d'overdose...

A la villa Nellcote, à Nice, avec Anita Pallenberg et Graham Parsons
Après les années Mick Taylor (qui avait remplacé le défunt Brian Jones) et dont Keith Richards loue le talent et l'influence, mais qui ne s'est pas vraiment intégré au groupe, viennent les années Ronnie Wood, recruté en secret, pas le dernier pour la déconne, les années de biture et surdoses, arrestations, procès, chasse aux sorcières, zinc privé, bagarres au couteau, coups de flingues, et une foule de scène cocasses, d’aventures incroyables. Le livre s’ouvre sur une scène hallucinante, en 1975, où les deux guitaristes, chargés comme des mules sont arrêtés, alors considérés comme ennemis public n°1, et passent devant un juge bituré à mort, au grand dam des flics locaux ! La dépendance à la drogue commence à peser, surtout quand il faut s’assurer qu’à la descente de chaque avion, un ami bien attentionné soit là avec ce qu’il faut. Keith Richards ne fait aucunement l’apologie de la dope, mais raconte avec sincérité son goût pour ces substances, surtout qu’à cette époque-là, nous confie-t-il, la qualité était excellente. Par contre, qu’on soit un Stones ou un anonyme, le tarif, les déconvenues et les souffrances sont les mêmes. Son fils Marlon, encore gamin, le suit en tournée, et protège son père des indélicats. Ron Wood est adapte aussi, même du crack, pire que tout. Jagger aime sniffer, mais pas plus. C’est lui qui dorénavant gère le groupe, négocie les contrats, oriente les albums vers tout ce qui en fera vendre davantage.

A l’aube des années 80, après moult essais de désintox, dont nul détail ne nous est épargné, Keith Richards est enfin clean. Les pages qu’il consacre alors à Mick Jagger sont très dures. Car en sortant du brouillard, il découvre que Jagger se sert du groupe pour lancer sa carrière solo, et négocie les contrats avec des clauses particulières à sa seule faveur. A se demander s’il ne préférait pas quand Richards était dans les vapes, pour faire ses coups en douce. Jagger passe ses soirées en boite, fréquente le grand monde, il caresse, il séduit, il flatte. Il sait se tenir, lui. Si le disco est à la mode, il faut que les Stones embrayent et suivent le mouvement. Si telle chanson fait un tube, il faut en faire une pareil. Un désaccord profond apparaît entre les deux leaders, qui finiront loges séparées, ne s’adressant quasiment plus la parole. Jagger veut les meilleurs studios, les 48 pistes, réorchestre en douce les bandes, cherche le son à la mode. Exemple avec le disque LOVE YOU LIVE, un double album live, dont le premier disque est géré par Jagger, le second par Richards, s’agissant de la set-list et du mixage. Sur des contrats, Richards découvre avec stupéfaction que dorénavant le groupe s'appelle : Mick Jagger and The Rolling Stones. Jagger a du pot d'être encore en vie ! Même le flegmatique batteur Charlie Watts y va de son coup de poing dans la gueule, envoyant Jagger valser sur un plateau de saumon, il s'en est fallu de peu qu'il ne passe pas par la fenêtre du troisième étage ! Malgré tout, les pages consacrées à Mick Jagger respire la fraternité (plus que l'amitié indéfectible comme avec Keys ou Parsons) et le respect, envers celui qui, au delà du mépris et des trahisons, reste la voix, le visage, et la gestuelle des Stones.


La carrière solo de Jagger est un désastre. Keith Richards se marre. Dissèque l'échec. Qu’est ce qu’il lui met dans la tronche ! Pour parler de lui, en sa présence, en douce, les autres le surnomment Brenda (allusion à une poétesse homonyme Brenda Jagger !). « Elle est chiante Brenda ! Tu as vu hier soir cette vieille salope de Brenda, t’en penses quoi ?... » Alors Keith Richards, qui depuis un moment fraye avec d’autres musiciens, va aussi faire bande à part, depuis la Jamaïque, où il fume des cônes monstrueux, et finit par enregistrer sous le nom de : Les X-PENSIV WINOS. Constatant son échec personnel, Jagger consent à reprendre les enregistrements et les tournées, monumentales, avec un décorum superflu, mais qui rapportent beaucoup. Je les ai vus trois fois en concert, à partir de 1989. Musicalement, c’est tout de même impressionnant. Pour Keith Richards, le plaisir de balancer le riff de « Jumping Jack Flash » avec son pote Charlie au tempo reste intact. Tiens d'ailleurs, le riff de Jumping, c'est celui de Satisfaction, mais à l'envers ! Richards réintègre Bobby Keys au sax, sans prévenir Jagger (qui l'avait viré) qui voit le texan débarquer sur scène sur le chorus de "Brown Sugar". Jagger est devenu Sir Mick Jagger en 2004, ce qui fera bien marrer les autres, surtout qu’il ne s’est pas fait adouber par la reine, mais seulement le fiston, le Prince Charles ! Le bad boy des "Gimmer Twins " emperruqué ! Trop drôle ! Keith Richards est grand père, vit sous les cocotiers, isolé, pénard, à Parrot Cay. Il bibine toujours, mais après une fracture du crane (il glisse d’un arbre aux îles Fidji, avec voulant attacher un hamac avec Ronnie Wood, et non pas en voulant attraper une noix de coco) son médecin lui conseille d’arrêter la coke, pour des raisons de fluidité de sang. Ce qu’il fait.

Le bouquin se termine sur une scène dont nous devrions être nombreux à vouloir en être témoin. A Parrot Cay, quelqu’un frappe à sa porte : Paul McCartney, en vacances, par hasard au même endroit, qui lui dit : Bruce Willis m'a dit que tu habitais là, je me suis dit que je pouvais passer te voir… ben, rentres mon pote, viens t’asseoir… Pendant plusieurs semaines, ils ont bu des coups en parlant de bon vieux temps… J'ai pris en photo le cliché présent dans le livre. Je l'adore !
 

On referme ce livre, en se disant : putain ! Quelle vie ! Ce type est revenu de tout. Toujours vivant. Un cas génétique ! C’est écrit avec une grande sincérité, un naturel désarmant, sans chercher la belle phrase, de l’humour, avec de belles pages sur la musique, le plaisir de composer, de trouver le bon riff, l’osmose qui peut unir deux types pour sortir des chansons pareilles, et des pages difficiles sur la vie de couple qui ne tient pas le coup, les amitiés perdues, la disparition des proches. Il y a de belles pages sur l’amitié qui unissait Jagger et lui, mais surtout sur Charlie Watts. Bill Wyman est assez peu évoqué. Les guitaristes seront intéressés par tout un tas de détails, de décryptage technique, dont l’open tuning, le retrait de la sixième corde, et les rencontres avec Scotty Moore, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, et puis les enregistrements, pose des micro, acoustique, mixage…Il ressort de ce livre, avant tout, le plaisir d’un type à jouer de la guitare, de la musique, du blues, de la country, et qui le fera jusqu’à son dernier souffle. On sent bien que la tournée de stades n’est pas son truc, mais il faut faire avec. Un type qui n’a fait aucune concession au système, persiste à haïr l’autorité, ne comprend pas pourquoi les autorités de tous les pays en ont fait des terroristes à élimer (il faut voir les traquenards montés par la police !). La célébrité a mis Ian Stewart sur la touche, rendu Mick Jagger imbuvable, a tué Brian Jones, et a fait fuir Bill Wyman. Keith Richards veut juste fumer son joint et taper le bœuf, entre deux séance de lecture dans sa bibliothèque. Il fait de mal à personne… il nous ferait même franchement du bien !

Bientôt 68 balais...


En complément, je recommande la lecture de cet ouvrage, uniquement centré sur la tournée de 1972, écrit par un témoin privilégié, Robert Grennfield. Keith Richards avoue de plus avoir tous les détails en tête... et pour cause ! Le groupe était suivi par une horde de photographes, caméramen, journalistes, et même l'écrivain Truman Capote (scène mémorable dans le bouquin de K. Richards !) avec quelques jours chez Hugh Hefner à Chicago (monsieur Playboy et ses Bunnies...). 




LIFE, par Keith Richards et James Fox, chez Robert Laffont, 642 pages

 




Puisque Keith Richards semble tenir "Jumping Jack Flash" en haute estime, ne le contrarions pas. Keith, c'est pour toi ! Quand tu veux tu nous en ponds d'autres de cette  trempe ! Une version live (pour la TV ?) de 1968.

4 commentaires:

  1. Je ne l'ai toujours pas lu, mais avec cette super chronique, je ne vais pas pouvoir tenir longtemps!
    Bravo!
    L'anecdote avec McCartney est superbe!

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  2. Merci Bob, lecture agréable et instructive !

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  3. Keith R, c'est un des deux types (l'autre c'est lemmy motorhead)dont les interviews sont toujours passionnantes, pleines d'humour et d'anecdotes ... faut dire qu'ils ont un peu plus de vécu et de comment dire ... de "bouteille" que calogero (ou radiohead)...
    Donc il me tarde d'apprendre à lire pour acheter son bouquin au riffmeister ...

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  4. Le bouquin ressemble aux Stones: Passionnant au début, génial par la suite ( Mick Taylor, la gratte à 5 cordes...) et laborieux à la fin...
    L'amitié et la zique au dessus de tout le reste...( hormis les femmes et le sexe)...
    Les Rock Stars n'ont pas un métier facile...

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