vendredi 26 août 2011

KEN FOLLETT "LA CHUTE DES GEANTS" Tome 1 (2010) par Luc B.




- Un peu plus à gauche, voilà, doucement… Eh ! Bruno tu vas tout foutre en l’air !
- Ouais bah deux secondes, Luc, c’est pas simple à manier… Vincent, donne du mou…
- Pour ton chat ?
- Mais non, dans la corde !
- Hein, quoi, du mou dans la corde à nœuds ?
- Qu’est ce qu'y dit Philou ?
- Y fait de l'humour, au lieu de nous aider... Bruno, tu peux poser, là, en finesse, gaffe à ma pile de disque.
- Qu’est-ce vous faites ? C’est quoi ce treuil ? Ces casques ? Ces Algeco ? Bruno, qu’est ce que tu fous dans une grue ?
- C’est Luc qui m’a demandé, il n’a pas le permis…
- Vous transportez quoi ?
- Le dernier bouquin de Ken Follett, 3,5 tonnes… P’tain, y pouvait pas attendre l’édition de poche ?!!!



J’ai découvert cet auteur gallois avec LES PILIERS DE LA TERRE, fresque médiévale tout à fait réussie. Ken Follett s’est fait le spécialiste de la saga historique, et son nouvel opus n’échappe pas à la règle. LA CHUTE DES GEANTS a pour cadre la première guerre mondiale.


Cela va être extrêmement délicat de vous raconter l’histoire, vu le nombre de personnages et les rebondissements qui peuplent ce roman. D’ailleurs, le livre s’ouvre par la présentation des personnages, classés par pays, et par famille.


Nous avons les gallois, avec la famille Williams, dont le père et le fils sont mineurs, délégués syndicaux, et travaillent sur la concession d’une famille de nobles anglais, les Fitzherbert, liée aussi par alliance à une famille russe de haute lignée. En Russie, il y a aussi les Pechkov, deux frères orphelins, qui cherchent à gagner les Etats-Unis pour échapper à la misère. Aux USA, donc, la famille Dewar, dont le fils Gus travaille à la maison Blanche, et très épris d’Olga Vialov, fille d’émigrés russes, dont le patriarche appartient à la mafia. Enfin, les allemands, avec les Von Ulrich, le père Otto, diplomate ultra conservateur, son fils Walter, attaché militaire. Walter est ami de Gus Dewar, et de Fitzherbert, et amoureux de sa sœur, dont la domestique est Ethel Williams, la fille ainée du syndicaliste gallois… etc… sans compter une petite centaine de personnages secondaires…



Mineurs du pays de Galles
Je ne vous cacherais pas que les premiers chapitres donnent un peu le tournis. Tous ces personnages vont évidemment se croiser, s’aimer, se trahir, s’épouser, se cocufier, se poursuivre, se battre, se venger, et s’entretuer. Et là, je salue le savoir-faire de Ken Follett, car il a réussi à tisser une toile à la fois complexe, mais d’une parfaite logique, dans la destinée de ses héros. Même si tout cela paraît, comme dire... un peu téléphoné, que ces personnages se retrouvent, comme par hasard, au milieu d'une tranchée à Verdun, dans le hall d'un hôtel berlinois, ou dans la visée d'un fusil à lunettes. L’action débute en 1911, chaque famille à droit à son petit chapitre, on pose les bases. Puis la guerre arrive, est tout est chamboulé. Les uns sont engagés de force, d’autres désertent, changent de pays, les nobles sont nommés officiers, les amours se font clandestines, entre maîtres et domestiques, entre allemands et anglais, entre tenant des idéaux socialistes et conservateurs de tout poils. Sur son échiquier, l’auteur bouge ses pions, avance de deux cases, recule. Certaines destinées sont plus intéressantes que d’autres, comme celle des frères Pechkov, dont l’un atterrira dans la mine du pays de Galles comme briseur de grève, puis en Amérique, s’élevant dans la hiérarchie mafieuse, alors que l’autre rejoindra les comités de soviet de Trotski. Là encore, ces ficelles un peu grosses peuvent paraître édifiantes, mais cela à le mérite d'être efficace. Autres personnages tout à fait réussis, Maud, la sœur du comte Fitzherbert, féministe, socialiste, pacifiste, et sa domestique Ethel, élevée au moule du syndicalisme par son père mineur, et promue à un bel avenir.


Les tranchées de Verdun
Le conflit brouille les cartes. Sur le plan politique, diplomatique, et surtout social. Les hommes partis à la guerre, les femmes prennent leurs places à l’usine. Emancipation, campagne pour le droit de vote, le droit de se présenter à la députation. Ken Follett rend ces pages très intéressantes, comme tout le pan russe de l’histoire, avec la révolution bolchévique, vécue de l’intérieur, passionnante, décryptant les rouages, décrivant à merveille l’anarchie, le chaos qui régna avant que Lénine n’instaure discipline et terreur. Et surtout, Ken Follett traduit merveilleusement les espoirs de liberté, qui nourrissaient cette révolution. Autre face à face pertinent, entre Fiztherbert, engagé comme capitaine, qui retrouve le jeune Billy Williams dans son régiment, en France. Les deux hommes ont un passif lourd, via la sœur de Billy, qui a gardé l’enfant illégitime que le comte lui a fait entre deux portes. Là encore, via ce personnage, Ken Follett décrit très bien la chute de la noblesse, le changement des rapports de force entre classes sociales. L’auteur n’oublie pas la romance, la passion, un peu simplette mais sans mièvrerie, avec Maud l’anglaise, contrainte de cacher son idylle avec Walter l’allemand, celui-ci espérant une paix prochaine pour retrouver la femme qu’il aime, au grand dam de son père Otto, persuadée que l’Allemagne mettra l’Europe à ses genoux.

Émeutes à Petrograd, violemment réprimandées, juillet 1917






A mon sens, LA CHUTE DES GEANTS souffre de longueurs dans la période qui précède le conflit, de très longues pages sur la diplomatie, fort bien renseignées, certes, mais redondantes, et qui laissent les personnages de côté. C’est la limite de ce livre, qui parfois hésite entre raconter l’Histoire, via des personnages, où raconter les personnages, ancrés dans une Histoire. Nuance. Le rythme s’accélère avec les premières batailles, et là, le travail de documentation de Ken Follett fait mouche. Conditions de vie des soldats épouvantables, erreurs de stratégie, incompétence des commandements, et encore une fois les coups à trois bandes du jeu diplomatique, et de l’espionnage. Evidement, beaucoup de personnages réels sont mêlés à l’histoire, chef d’état, politiques, militaires. L’auteur emporte ses héros dans la tourmente, dresse un portrait clair de la situation, des enjeux, de la révolution bolchévique, des tractations des allemands pour éliminer ce front de l’est, empêcher les USA à entrer dans le conflit, manipuler les japonais, les mexicains, les espoirs anglais dans la contre-révolution des Blancs, pour endiguer la vague Rouge… L’action se termine en 1923, avec une série d’oppositions, de chocs frontaux entre les personnages, déplacés sur l’échiquier social et psychologique, et avec une Europe défigurée, une Allemagne humiliée, où déjà se propagent des relents d’antisémitisme.


Le style littéraire de Follett reste assez académique, de beaux passages, mais rien de flamboyant. On est loin du souffle et du talent d’un Dennis Lehane et son UN PAYS AU L’AUBE, fresque bostonienne époustouflante. Ken Follett reste un bon conteur, doté d’une écriture solide, descriptive, et parvient tout de même à nous captiver, parfois, quand il le faut.


Deux autres tomes sont à venir, et on sent déjà – habilement - les prémices de ce qui sera la suite, l’arrivée de Staline, la montée du nazisme, la prohibition aux USA, le combat féministe, de nombreuses portes s’entrouvrent pour une suite passionnante. A condition que Ken Follett resserre tout de même son récit, coupe dans la matière, ne laisse pas ses personnages sur le bord de la route, équilibre l’intérêt qu’il leur porte. LA CHUTE DES GEANTS est une lecture très agréable, le livre brasse de grands thèmes, met en avant des idéaux (à mon sens) tout à fait respectables, nous fait réviser notre Histoire, et remet fort bien en perspective les tenants et aboutissants de ce conflit mondial, d’une rare monstruosité.
LA CHUTE DES GEANTS. Tome 1 "le siècle", de Ken Follet, 998 pages, aux éditions Robert Laffont. 



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