lundi 3 octobre 2011

Stevie Ray VAUGHAN "Texas Flood" - 1983 - (Bruno)

3 octobre


       En 1983, tout le monde peut admirer le clip vidéo  où le Thin White Duke exécute un superbe solo de guitare, avec des gants blancs (!? trop fort. Il craint de s'abîmer les doigts ou quoi ?), sur le méga-hit Let's Dance. Or, ce plan de guitare, comme la plupart de ceux de l'album du même nom ne sont pas de lui, mais d'un illustre inconnu texan. Un texan qui, bien que reconnu par tous ses pairs de son état, bourlinguait depuis pas mal d'années sans jamais réussir à enregistrer un disque, à l'exception de trois 45 tours avec Paul Ray and the Cobras.

       Après des années de galère et de vaches maigres, tout commence à s'accélérer en 1982. Ce sont les Stones qui mettent le feu à la mèche en invitant Stevie Ray Vaughan et son indéboulonnable section rythmique, Chris Layton et Tommy Shannon, à venir jouer à Manhattan dans un club huppé devant un public sélectionné, du beau monde. Il y a deux thèses quant au découvreur(s) Stonien(s). L'une serait que Keith Richards et Mick Jagger qui les avaient vu jouer à Dallas ; l'autre que Charlie Watts aurait rapporté une cassette vidéo d'une prestation du groupe. Qu'importe. Après ce soir-là, on raconte que Ronnie Wood pensa à raccrocher sa guitare. Le New-York Times et Rolling Stones font un article élogieux. On parle de contrat par le label des Stones. Le tout crée un véritable buzz, qui arrive à l'oreille de Jerry Wexler (un des pontes avec les frères Ertegun d'Atlantic. Il a participé à la carrière de Ray Charles, Aretha Franklin, Solomon Burke, Wilson Pickett). Il se déplace à Austin pour vérifier de visu les rumeurs. Totalement enthousiasmé par le trio, Wexler contacte Claude Nobs afin qu'il le programme pour la journée Blues du festival de Montreux, celle du 17 juillet 82. C'est une première car jusqu'alors, personne ne s'est présenté au festival sans avoir jamais sorti de disques. C'est un triomphe. La presse unanime encense la prestation du trio. 
 
entre Bowie et Nile Rodgers

      C'est là que débute l'expérience David Bowie. Ce dernier, présent dans le public, est subjugué par le guitariste. Il souhaite l'embaucher pour sa tournée et son prochain disque (Let's Dance, donc). L'enregistrement se fait, mais pas la tournée. Bien que Stevie propose à ses comparses de les rémunérer durant son absence, et de repartir ensemble à la fin du périple, il se ravise peu de temps avant la tournée de Bowie (le Serious Moonlight Tour). Il considère qu'il n'est pas honnête de lâcher, même temporairement, ses collègues de galère. D'autant plus que le staff de Bowie refuse que son épouse et Double Trouble l'accompagne. Et surtout, pas question de parler de Chris et Tommy à la presse. Au Texas, cette décision rejaillit positivement sur sa réputation. On parle aussi de discutions relatives au cachet. De son côté, Bowie, bien qu'il soit dans l'obligation de trouver rapidement un remplacement - se sera Earl Slick-, ne tarit pas d'éloge envers "le meilleur styliste de City-Blues qu'il lui ait été donné d'entendre depuis des années", le "Jimi Hendrix blanc".


      Billy Gibbons (ZZ-Top) en rajoute une couche en racontant qu'"il y a au Texas un guitariste qui va mettre tout le monde d'accord".
Jackson Browne, présent à Montreux et qui tapa le bœuf avec le trio lors d'un concert sur la scène du Casino, leur propose de disposer de son studio. L'opportunité de faire une maquette qui arrive par la suite sur le bureau de John Hammond (père). L'homme qui découvrit, et/ou signa, voire produisit des artistes parmis les plus célèbres des USA (Bob Dylan, Count Basie, Leonard Cohen, Gearge Benson, Billie Holliday, Charlie Christian, Springsteen). Là aussi, deux thèses quant au premier contact : il aurait été présent à la prestation du festival de Montreux, ou encore ce serait son fils, John Hammond Jr, qui lui aurait fait écouter un enregistrement d'un concert d'avril 1980 à Austin. Stevie Ray Vaughan & Double Trouble sont signés par Epic et reçoivent une avance de 65 000 $. Rien de mirobolant pour une boîte de cette envergure, mais un réel bol d'oxygène pour le trio.


       Il suffit de trois jours pour enregistrer Texas Flood ; rien d'étonnant car le groupe maîtrise parfaitement leurs compositions et leur sonorité quelques soient les scènes et les conditions. D'ailleurs c'est le trio, aidé de Richard Mullen, qui produit le disque. Ils savent où il faut placer leurs micros pour capter et restituer fidèlement leur son. Le label, rassuré par Hammond qui supervise, a l'intelligence de ne pas y fourrer son nez et laisse toute latitude au groupe. 

Résultat, Texas Flood est une véritable déferlante de Texas Blues emportant tout sur son passage. Non pas un coup d'essai réussi, même pas un formidable espoir, mais carrément un coup de maître.
SVR & Double Trouble délivrent un Blues imprégné de l'héritage des icônes du Chicago-Blues, avec une forte proportion d'Albert King, de Buddy Guy d'Hubert Sumin' et d'Otis Rush, du Texas-Blues de Freddie King, et de Jimi Hendrix. Le tout avec une bonne dose de Rock (chose qui déplaira à d’indécrottables puristes). 

"Les enregistrements d'Albert King, Albert Collins et Otis Rush sont comme des livres. A chaque fois que vous les lisez, vous y découvrez quelque chose de nouveau. J'ai tout appris en écoutant les grands bluesmen" Stevie Ray Vaughan.

     Et ce disque est également un livre dédié aux différents aspects du Blues. Des échevelés comme le titre d'ouverture déboulant à toute ber-zingue. Un blues-rock nerveux, fluide et rapide qui peut rappeler Alvin Lee à la première écoute. Calé sur une section rythmique indéboulonnable, Stevie exécute des phrases d'un schéma simple mais avec une vélocité, une précision et une passion qui lui confèrent une force irrésistible. Plus rapide encore le shuffle instrumental Rude Mood, entre Dick Dale et Lonnie Marck (autre grosse influence).
Des chicago-blues appuyés, plus lourds - non aucunement Heavy ou Hard, ni même comparable aux ruffians du British-blues -, au tempo modéré, ponctués d'appogiatures et de gimmicks certes éculés mais terriblement efficaces avec Pride & Joy et la reprise de Tell Me de Chester Burnett.


   Des blues lents chargés d'émotions 
avec Texas Flood et Dirty Pool, où ils démontrent leur énorme potentiel dans un registre où de nombreux blancs-becs se cassent les dents. Des slow-blues tout en retenue et contenance. Stevie triture ses notes avec des bends assassins et soutenus, dans le genre d'un Albert King sous perfusion de caféine. Chaque note est travaillée et habitée. Comment peut-on malaxer autant des cordes d'un tel calibre (13-56 !) ? Cela relève de l'exploit sportif (a). Mais le résultat est là : un son plein, énorme, ne perdant aucune nuance du jeu, malgré un son crunchy, suffisamment sali pour ne pas sonner Blues-FM (terme qui deviendra bientôt très usité à cause d'une production à venir trop policée, voire aseptisée). 
Et aussi, il y a cette voix qui est, sans n'avoir rien d'exceptionnel, (on est loin du coffre des trois King ou de Buddy Guy par exemple), totalement en adéquation. Une voix, légèrement enfumée, à peine éraillée, imperceptiblement nasillarde, immédiatement reconnaissable, ne faisant pas de concession. Stevie ne chante, ni ne joue de la guitare, avec sa tête mais avec le cœur. C'est cela qui, peut être même inconsciemment, car il ne s'agit point d'un travail intellectuel, a séduit tant de gens, pas nécessairement amateur de blues d'ailleurs. Stevie est généreux et sincère, dans la vie comme sur scène, et cela transparaît dans sa musique. Il n'a jamais triché.

   Et puis, il y a Lenny.... un instrumental jazz-bluesy d'une rare élégance et finesse. Jusqu'à présent, il était rare, voire exceptionnel, de trouver ce genre d'exercice dans le Blues, à l'exception de Roy Buchanan (qui n'était pas un puriste). Dans ce secteur, en général, l'instrumental est réservé au titre enlevé, rapide, nerveux, où en fait, il est difficile de chanter. Stevie, avec sérénité et confiance, grave un titre qui nous fait croire au paradis (et il y en aura d'autres). Cette composition raffinée sort très largement du cadre du Blues, en exsudant à grosse gouttes des influences jazz, dont celles de Wes Montgomery et de Kenny Burrell, plus le génie d'Hendrix tel que dévoilé sur Little Wing. Plus l'âme de SRV. 


     Hendrix est une idole pour Stevie. Un sujet d'adoration et de mystère qu'il tente de percer.  Pour se faire, il fait placer un vibrato de gaucher sur la Number One (la vieille Strato de 63 élimée) pour retrouver la technique et forcément le positionnement particulier de la main. Plus tard, il jouera sur des Strato de gaucher (Jimi jouait sur des instruments de droitiers - à l'exception de sa Flying V psychée) pour avoir le diapason inversé afin de tenter d'avoir certaines sonorités.

     Lenny
est le nom d'une Stratocaster de 63 que lui a offerte son épouse, Lenora, pour l'anniversaire de ses 26 ans. Elle a dû cotiser avec l'aide d'amis pour pouvoir acheter cette guitare. Elle sera vendue 623 500 $ aux enchères, le 23 juin 2004. Il existe aujourd'hui des répliques construites par le Custom Shop Fender.


N'oublions pas cette bonne reprise de Mary Had a Little Lamb de Buddy Guy. Plus Chicago-blues West-Coast aux intonations funky.
Cependant, il y a un titre qui pourrait en surprendre plus d'un. En effet, il peut paraître surprenant de voir que Testify soit une reprise des Isley Brothers parmi ces cartouches de Blues torrides. La raison, est simple : Jimi Hendrix jouait sur ce titre (sur l'album "In the beginning..."). Vouaille ! Et Stevie a fait le ménage en ne gardant que la partie instrumentale. Sacré Stevie.

     Comme d'autres grands musiciens, Stevie marque à jamais le paysage musical, et ce, dès son 1er album. Principalement du Blues évidemment, mais également des courants musicaux proches. Stevie Ray Vaughan est passé de l'ombre à la lumière en un seul disque. Une lumière trop violente, arrivé trop brutalement générant ainsi une pression trop forte, qui faillit brûler à jamais les ailes de ce surdoué.


     L'importance du duo rythmique est capitale. Chris Layton et Tommy Shannon sont comme deux jumeaux se comprenant d'instinct, leur conférant ainsi une force et une assise absolues. Dès lors, Double Trouble, acquit une telle réputation que de nombreux artistes feront des pieds et des mains pour avoir l'insigne honneur d'avoir le patronyme du duo inscrit dans les crédits de leur album, même s'il ne participe qu'à un ou deux titres. L'appellation "Double Trouble" deviendra un gage de qualité.

Tommy Shannon est l'aîné (18/04/1946) avec une carrière professionnelle qui débuta en 68 avec Johnny Winter. Il joua aussi dans les 70's avec Van Wilks (The Fools) et Rocky Hill (le frère de Dusty), avant de voir Stevie et Chris dans un club, et d'insister pour jouer avec eux.

     Le disque sort au moment où le Blues est plutôt moribond. Texas Flood crée un engouement qui permet de relancer le genre des deux côtés de l'Atlantique. De nouveaux émules et disciples émergent, et des labels spécialisés comme Black Top, Rounder, et même Alligator (qui avait refusé d'enregistrer SVR sous prétexte qu'il n'était qu'un clone d'Albert King) profitèrent de cette onde de choc pour se développer

     Stevie Ray Vaughan est né le 3 octobre 1954. Il décède dans un stupide accident d'hélicoptère le 27 août 1990. 
En 1991, le gouverneur du Texas, Ann Richards, proclame le 3 octobre, Journée de Stevie Ray Vaughan. En 1994, une statue est érigée à Austin, à l'Auditorium Shores.

  1. Love Struck Baby - 2:19
  2. Pride And Joy - 3:39
  3. Texas Flood - 5:21 (Larry Davis, Joseph W. Scott)
  4. Tell Me - 2:48 (Chester A. Burnett)
  5. Testifiy - 3:20 (Isley Brothers)
  6. Rude Mood - 4:36
  7. Mary Had a Little Lamb - 2:46 (Buddy Guy)
  8. Dirty Pool - 4:58 (Doyle Bramhall, SRV)
  9. I'm Cryin' - 3:51
  10. Lenny - 5:00

(a) On raconte que Stevie mettait de la Superglue sur l'avant-bras pour y placer le bout de ses doigts meurtris, récupérant ainsi une pellicule d'épiderme. Info ou intox ? A savoir que le produit était utilisé lors de la guerre du Viêt-Nam pour refermer dans l'urgence les plaies des soldats.

Le 1er clip :



En 1982, à Montreux, AVANT l'enregistrement du 1er album.


Les glaciers fondent plus vite que les prévisions les plus pessimistes : en voilà une des causes. Vous avez déconné les gars !

10 commentaires:

  1. j adore tout simplement Do

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  2. Big Bad Pete3/10/11 11:02

    SRV jouait avec ses grattes accordées 1/2 en dessous de la normale. Mais du 13-56, ça reste un tirant de câble de téléphérique... Il devait avoir des doigts en bois, le gars !
    Il avait aussi (légende urbaine ?) une manière bien à lui de se refaire les mimines. Il mettait un peu de super-glue au bout des doigts de la main gauche, les collait sur son avant-bras droit, attendait les 10s fatidiques, et pis arrachait le tout !!! Ca lui faisait des nouvelles peaux... Aye, caramba !

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  3. Tout à fait BBP.
    Les frettes de ses Strato ne tenant pas le choc, il dût les faire modifier en faisant placer des frettes plus robustes. Il aurait même essayé du 0,70 en mi grave !?!
    Toutefois, sous l'assistance de son manager, il passa un peu plus à tard à un tirant relativement plus léger afin de préserver ses mimines.
    Par contre, sa Strato "Lenny", réservée aux compositions plus calmes, avait un tirant inférieur.

    Oui, oui le coup de la SuperGlue est relaté dans l'annexe "(a)" - tout en bas -.
    Il me semble bien que l'on en avait déjà parler ensemble non ?

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  4. Oups, l'ignard arrive après les "pros"...
    Il n’est pas de bon ton de s’auto-congratuler entre Deblocnoteurs sur FB ou les com… je fais une exception !

    Comme chaque lundi, arrivée au bureau grognon, maussade, ronchon… et puis j’ai lu ton article sur Stevie Ray Vaughan. Conséquence identique à un bon café surtout après écoute des vidéos.
    Le Cd est déjà dans la panier.

    Ton article se lit comme une nouvelle. Et cela me rassure, car je suis en train de finir un long article "fouillé" sur Schubert, et malgré un « chapitrage » détaillé, j'avais la peur au ventre face à l'ampleur !
    Et bien je n’ai plus peur du tout…

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  5. Excellent Post !
    L'essentiel est là !

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  6. Petite remarque la première prestation de SRV Et Double Trouble au Festival de Montreux n'a pas du tout été un succès car ils y ont été copieusement sifflés. Il faut dire qu'ils étaient programmé dans une soirée blues acoustique d'ou le malentendu, ce n'est que lors de leur deuxième apparition au MJF qu'ils seront accueilli avec un triomphe ;o)

    Quand aux cordes de SRV il lui arrivait de jouer avec du tirant allant jusqu'au 060 pour le Mi grave de quoi en effet s'arracher la pulpe des doigts même accordé en Mib ;o)

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  7. Sincèrement touché, Claude & Taz.

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  8. Tiens ? Vraiment Jipes ?
    Il est vrai que l'on entend des grincheux siffler et même huer (je dois avouer que je l'avais occulté) sur les vidéos de Montreux de 82, mais pas que ; d'autres applaudissent... et tous écoutent lors de la prestation. Mais bon, je n'y étais pas, mais c'est pourtant ce que j'ai toujours lu.
    Quant à la soirée acoustique, je suis perplexe. Il me semble qu'il avait été programmé pour la soirée Blues Explosion à laquelle participaient Koko Taylor, JB Hutto et Luther Johnson. Pas vraiment acoustique tout ça, mais certainement bien moins rock que SRV.

    Certains ont avancé qu'il se serait même essayé au 0.70 (!?!). 0.60 me semble plus plausible.

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  9. Sympa les vidéos Jipes. J'vais étudier ça.
    Les doubles-stop j'adore et j'en abuse.

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  10. Pris sur Wiki mais lu à plein de reprises y compris sur Guitar Player il y a longtemps

    "The lineup featured primarily acoustic acts, while Vaughan and Double Trouble went on stage highly amplified and several audience members started to boo."

    Merci du compliment amuses toi bien avec les vidéos j'espère que ca t'apportera :o)

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