jeudi 17 novembre 2011

MAHLER – KLEMPERER : "The Ultimate Legacy" par Claude Toon

Symphonies 2, 4, 7, 9 et le "Chant de la Terre" : un coffret pour mon île déserte…

Un legs sans équivalent, attendu depuis 20 ans !

Ce coffret à prix économique, paru en octobre, réunit les enregistrements Mahlériens d'Otto Klemperer gravés en studio avec le New Philharmonia dans les années 1960-70. C'est inespéré car à ce jour, seules les symphonies 2 et 9 et le Chant de la Terre avaient bénéficié d'une réédition dans la collection "Great recording of the century" d'EMI. La 4ème pouvait se trouver dans une collection anthologique de 1999 consacrée au chef légendaire au gré du marché international.
Trouver la 7ème tenait de la recherche du Graal. Beaucoup de mélomanes qui ne connaissaient pas cet enregistrement, devaient être surpris par les prix pour le moins élevés (100-600€) des exemplaires d'occasion.  Pourquoi un tel tarif pour ce double album qui n'avait jamais été réédité depuis 1992? J'avais trouvé les CDs en 2009 à un prix décent après avoir déniché les vinyles en 2008 (à Leipzig). En fait, je cherchais depuis 1970, année où j'avais entendu, subjugué, le premier mouvement à la "radiophonie". Passion, quand tu nous tiens! Depuis 40 ans aucune interprétation ne me permettait de revivre une émotion comparable. A priori je n'étais pas le seul…
OTTO KLEMPERER (1885-1973) ne jouait jamais les symphonies qu'il "ne sentait pas" : 1, 3, 5, 6. Peu de chefs sont aussi scrupuleux et préférent tenter l'éternelle carte de "l'intégrale" qui présente inévitablement des points faibles. Ici nous touchons l'osmose absolue entre une œuvre et un musicien, le testament d'une vie au service d'un compositeur qui fut aussi son professeur.
GUSTAV MAHLER : Lire sa biographie dans la chronique Gustav Mahler et Blanche Neige. Gustav Klimt dont un tableau illustre chaque chapitre était un ami de Mahler et partageait les mêmes préoccupations philosophiques et artistiques.


2ème symphonie "Résurrection" (1963)

Klemperer qui a connu Mahler et Bruno Walter (autre élève et maestro qui avait créé le Chant de la Terre) a déjà enregistré la symphonie N°4 l'année précédente. Comme directeur officiel du Philharmonia, il forge depuis des années cet orchestre, créé et dédié aux enregistrements de studio, depuis l'avènement du microsillon puis de la stéréophonie, à un style clair, incisif, à un équilibre perfectionniste.
Dans l'immense architecture de cet oratorio-symphonie composée entre 1888-1894, Mahler établit une symbiose entre le souvenir des joies et peines terrestres, du plaisir de vivre, des bruits de la nature et de l'angoisse existentielle. Il confronte ainsi la nostalgie d'un monde appelé à disparaitre, à l'espoir d'une résurrection. Le vieux maître interprète en majesté au sens chrétien du terme. Klemperer souligne dès l'allegro maestoso toutes les articulations inquiètes et martiales de la partition. Les tempos sont d'une régularité et d'une pertinence totales, plus retenus que dans son interprétation (mono) avec le Concertgbouw d'Amsterdam et Katleen Ferrier.
L'andante plutôt dansant se veut nostalgique mais gracieux. Klemperer apporte une tendresse qui sera peu égalée ultérieurement, démentant par là-même sa réputation de chef marmoréen et minéral. Dans le scherzo, le phrasé se fait, certes sarcastique, mais le dialogue des bois adoucit cette impression de grotesque par leurs timbres enchanteurs. La prise de son, analytique, répond aux exigences de précision du maestro qui conçoit ce passage comme un concerto pour orchestre en miniature. L'ensemble reste puissant et rythmé. La contralto Hilde Rössl-Majdan (1921-2010), chante avec une tessiture de mezzo flirtant avec le contralto. Sa voix baigne dans une sublime nuée de cordes et de cuivres assourdis (vidéo 2). La cohérence et le torrent limpide et violent, dans les premières mesures du long final avec Chœur, annoncent un de ses moments magiques de la musique enregistrée. La voix lumineuse d'Elisabeth Schwarzkopf (1915-2006) "se libère" avec aisance au sein de l'énergie orchestrale déployée, un flot musical puissant mais qui s'écoule avec évidence.
4ème symphonie (1962)

L'œuvre composée en 1899 étonne par sa fraîcheur juvénile. Le tintement des clochettes dans l'introduction évoque un traîneau de conte pour enfant et, dans le second mouvement, l'usage d'un violon désaccordé ramène à la rusticité d'une danse villageoise.
Attendait-on le chef grave et sévère dans cette symphonie à l'orchestration allégée et s'inspirant largement de l'univers enfantin du Knaben Wunderhorn (le corps merveilleux de l'enfant) ? Eh bien, Klemperer signe une version merveilleuse, même si nombre d'enregistrements ultérieurs ont su apporter d'autres visions tout aussi intimes. La finesse du jeu collectif du Philharmonia est au sommet de sa plasticité. Tout est élégance, un phrasé à la fois nocturne et chaleureux dans l'œuvre la plus sereine du maître viennois. Elisabeth Schwarzkopf use d'une voix angélique pour décrire ce paradis enfantin du lieder final. C'est un peu lyrique, mais tellement irréprochable. Une interprétation qui ne prend aucune ride.
7ème symphonie (1969)

Dans l'histoire du disque, on trouve des interprétations hors norme qui posent question. L'étrangeté de l'interprétation d'Otto klemperer qui s'étend sur 2 Cds explique-t-elle tout ? Lorsque le commandeur octogénaire enregistre en fin de vie cette œuvre, il surprend avec des tempos incroyablement étirés puisque la durée de la symphonie atteint 100 minutes là où les chefs l'exécutent en général en 75 minutes !? On peut donc s'attendre à une conception cyclopéenne, lourde et ennuyeuse. Curieusement il n'en est rien, la lenteur devient ballade nocturne. De fait, la complexité inouïe du discours musical se clarifie, s'aère, trouve sa logique. Souvent on reproche à cet opus une tendance à la cacophonie, un manque de cohésion, et c'est là que la magie Klemperer opère.
Dès le premier mouvement, chaque évènement sonore de cette fresque nocturne et onirique reprend sa place, les subtilités de l'orchestration sont souvent escamotées au disque, y compris par les phalanges les plus habiles guidées par les meilleurs chefs.
Dans les deux Nachtmusik, les instruments deviennent concertants, la musique rêve de pupitre en pupitre. Mahler dans "ce chant de la nuit" souhaitait-il nous donner ce sentiment de confrontation entre des images disparates propres à l'onirisme? Guitare et mandoline caracolent doucement mais avec précision dans la seconde Nachtmusik. On ne les entend que rarement habituellement. La musique s'élève en volutes. Les mouvements extrêmes et le scherzo médian (vidéo 1) ne revêtent aucune brutalité.
Le dernier mouvement, très rebutant quand précipité, devient fête villageoise, une idée ou une variation en entrainant une autre dans une danse où chaque enchainement subtilement abordé rend, par là même, cette fantaisie cohérente et jubilatoire.

9ème symphonie (1967)
Composée en 1909-1910, l'ultime symphonie achevée résume tout le génie et l'inspiration de plus en plus pathétique de Mahler. Deux immenses adagios encadrent deux mouvements rapides dont l'ambiance sarcastique a fait songer à une danse macabre, un défi ironique face à notre mortelle destinée.
Les sombres pensées qui hantent Mahler en cette année 1909 se dégagent dès les premières mesures où chaque motif élémentaire s'extrait en s'étirant du silence donc du néant. Le ton est donné pour la vision que le chef aura de l'univers grinçant et morbide de l'immense symphonie. Les tempos sont un peu retenus surtout dans les deux mouvements centraux sans nuire à leur style ironique et cocasse.
Comme toujours avec Klemperer, tous les détails de l'orchestration sont mis en avant. L'équilibre entre les pupitres reste souverain. A l'instar de sa conception idiomatique de la septième, l'esprit s'égare entre les souvenirs terrestres et l'interrogation anxieuse sur l'écoulement inexorable de la vie. Klemperer transcende les notes virtuoses pour atteindre la pensée angoissée et emplie d'antagonismes de Mahler. Les danses centrales sont macabres mais énergiques. Tout est grandeur mais sans grandiloquence.
Le Chant de la Terre (1967)

Cette symphonie composée de 6 lieder pour Ténor et Alto (ou baryton) se verra analysée en son temps. Les textes s'inspirent de poèmes de Li Bai, Meng Haoran et Wang Wei, poètes chinois illustres du IXème siècle. La musique utilise le mode pentatonique oriental.
Encore un enregistrement légendaire, concurrent direct de celui de Bruno Walter à Vienne avec Katleen FerrierJulius et Patzak. Plus qu'à une opposition conceptuelle, nous sommes face à une complémentarité essentielle de l'histoire du disque. La plus-value sonore est sans appel pour cette gravure. Christa Ludwig (née en 1928) distille une émotion sans artifice. Fritz Wunderlich (1930-1966) ne serait-il pas le ténor le plus vaillant et sans vulgarité (premier lied) de ce monument ? Quant au Philharmonia, que répètera-t-on qui n'est déjà été écrit par moi ou par d'autres. L'orchestre sonne dru mais avec une humanité qui transcende la complexité mais subtile  orchestration. Aucun pathos, les voix s'élèvent dans un espace sonore d'une transparence riche et secrète. Magnifique. Mahler utilise à la fois la tonalité occidentale et le mode pentatonique oriental.  L'orchestre n'est que dentelle de bois, de percussions cristallines, des "sonorités-émotions" qui vont droit au cœur. Commentaire  volontairement bref, les vidéos 3 et 4 vont parleront bien plus...

Une réédition plus que justifiée (3 € le CD) pour ce parcours sans faute, tant pour compléter une discographie, que découvrir un monde enchanteur et métaphysique. Indispensable.
Impossible de ne pas finir en musique. Par bonheur, de nombreux extraits de ces enregistrements sont disponibles sur le Web, et plutôt bien reportés (les prises de son du Philharmonia des années 60-70 sont des références techniques). Cela dit, comme je dis toujours, seuls les CDs peuvent totalement transcrire la magie de ces joyaux.
Vidéos
1 - Le féérique scherzo de la symphonie N° 7                                             2 - 2ème symphonie (mouvement N° 3 "Urlicht") avec Hilde Rössl-Majdan.
XXX

3 - L'adagio conclusif de la 9ème symphonie, et 4 - à droite, Le 6ème Lied "L'adieu", un des enregistrements "classique" les plus essentiels de l'histoire du disque. Les tonalités occidentales et orientales se rencontrent… le mot "bewig" (éternellement) est répété 5 fois à la fin, cela s'applique à ces disques



+

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire