dimanche 13 novembre 2011

RETROSPECTIVE WYNTON KELLY , PART I, par Freddiejazz


  
Nous allons nous entretenir d’un pianiste que j'avais découvert et fort apprécié à l'aube de mes vingt ans, avec cet album justement. L'effet KIND OF BLUE… Son nom ne m’avait pas échappé. Certes, il ne jouait que dans un morceau (Bill Evans se taillant le reste de la part du gâteau). Wynton Kelly avait participé à cette session historique, notamment sur Freddie Freeloader


Natif de la Jamaïque (Wynton est né au lendemain de la crise de 29, et ses parents quitteront la Jamaïque pour s’installer à New-York), Wynton Kelly joue très tôt du piano et montre des dispositions naturelles pour cet instrument. Faut dire que dans la famille, y a pas mal de musiciens (la mère chante à l’église baptiste du coin) et son père écoute du Duke Ellington. Très vite, alors qu’il n’est qu’un adolescent, il monte sur scène, et commence sa carrière en jouant du R'n B, notamment aux côtés du vétéran Hal Singer (celui-ci est toujours vivant…), puis sera vite repéré par des musiciens comme Dexter Gordon qui voient en lui un pianiste génial,  et intégré dans l'orchestre de Dinah Washington avant de faire les choux gras de l’écurie Blue Note. On connaît la suite : Sonny Rollins, Miles Davis, Wes Montgomery, Hank Mobley, Joe Henderson... 

KELLY BLUE (1959)

Il nous offre ici un disque teinté de blues et de swing. C'est peut-être là son meilleur album en leadeur, celui qu'il faut se procurer tout affaire cessante si l'on ne connaît pas encore le pianiste. En effet, sa trajectoire ascendante trouve son aboutissement avec cet album qui, à l'heure actuelle, reste encore son album le plus vendu, ou en tout cas le plus connu.

Kelly utilise un répertoire éclectique tout au long de ce set constitué de ses propres compositions ("Kelly Blue" et "Keep It Moving" tout deux arrangés de main de maître, ou encore le très churchy "Old Clothes" et de standards (merveilleuse interprétation de "On Green Dolphin Street" et de "Willow Weep For Me", mais aussi cette version très sensible de "Softly As In A Morning Sunrise", l'une des plus belles ballades bluesy jamais enregistrées, débutant sur la contrebasse soyeuse de Paul Chambers). L'impeccable accompagnement est bien sûr distillé par une rythmique bien huilé (LA fameuse rythmique composée de Mr P.C et de Jimmy Cobb et que tout le monde essayait de s'arracher à l'époque, comme en témoignent les enregistrements avec Wes Montgomery, George Coleman ou encore Joe Henderson... et gare si Miles n'était pas averti...).

Nat Adderley
Plusieurs configurations composent cette galette : le trio essentiellement, mais aussi le sextette dans lequel sont conviés Benny Golson (sax ténor), Bobby Jaspar (flûte) et Nat Adderley (cornet). D'ailleurs, celui-ci offre dès la première plage un remarquable solo que Miles n'aurait pas boudé. Sonorités ciselées, luminosité du discours. Pour le reste, c'est bien sûr le swing qui domine ces plages, et surtout une bande d'amis réunis avant tout pour le plaisir: La brillante alchimie entre les musiciens est à la base du succès de titres comme "Kelly Blue" et surtout "Keep it Moving" au cours duquel Benny Golson donne un solo velouté d'une beauté inouïe. Bref, un grand disque que l'on ne manquera pas d'écouter et réécouter.




KELLY GREAT (1959)

Désolé d'être aussi vif et péremptoire, mais faut bien le dire : KELLY GREAT a tout du produit marketing, de la session à laquelle les musiciens n'ont pas cru... Enregistré le 12 avril 1959, soit quelques semaines après la session de "Kind Of Blue", c'est en fait un flop à la fois commercial et critique. Pire une déception rédhibitoire. KELLY GREAT avait tout de la méga session. Un groupe de rêve, un quintette dont on pouvait attendre beaucoup (visez un peu : Wayne Shorter au sax ténor, Lee Morgan à la trompette, et enfin la rythmique composée de Kelly, Paul Chambers et Philly Joe Jones...

Kelly Wynyon utilise ici un répertoire essentiellement funky et R'n'B. J'ai même du mal à reconnaître Philly Joe Jones dans ce contexte. Dès le première thème, "Wrinkles", c'est lourdingue (Philly Joe Jones cogne trop fort, ou est-ce l'ingé du son qui a mal fait ses réglages ???). Le thème suivant, "Mama G", une composition du pianiste, est déjà bien au dessus de la première pièce, et s'oriente de façon convaincante vers le hardbop. Malheureusement, ça ne casse pas des briques non plus. Après ce début un peu flasque et surfait, l'on pourrait penser que la session allait gagner en originalité en nous gratifiant de quelques idées ingénieuses. Après tout, on ne juge pas un album sur un ou deux morceaux seulement. Dommage, parce que force est constater que l'on côtoie aussi le pire... En effet, avec "June Night" thème de cabaret, pour culs coincés et papys asthmatiques tirant un peu sur la pipe, ça pèche au niveau de l'inspiration... Un peu surprenant quand on connaît le talent de ces musiciens... mais grâce à Wayne Shorter, le seul à y croire, ou en tout à donner le maximum, la session gagne parfois en clarté et même en idées lumineuses, notamment dans quelques soli bien pensés… 

Philly Joe Jones
Alors, bien sur, il existe des éclats, ou quelques éclairs au chocolat (les soli de Shorter sur "Mama G", ou encore sur "What Know" dans lequel il se révèle ingénieux dans ses improvisations...) mais c’est hélas bien trop peu pour faire de ce disque un enregistrement inoubliable. Kelly s'ennuie et semble ne pas trop y croire. Il fait seulement son boulot… Même sur la ballade "Sidney"  (magnifique thématique au demeurant), Kelly ne convainc pas du tout.. Si l’ensemble laisse à penser que tout ça est bien exécuté, l’on ne cherchera rien de transcendant là dedans et encore moins la session historique (elle fut produite par Vee Jay à l’origine). En outre un minutage limité à 35 minutes... On l'aura compris, malgré le ton péremptoire de cette chronique, ce disque ne ravira que les collectionneurs, les fans de Kelly et de Lee Morgan ou encore les curieux, de celles et ceux qui veulent découvrir les débuts discographiques de Wayne Shorter... 


KELLY AT MIDNITE (1960)


Attention, ce disque ne contient que cinq thèmes et ne dure que 33 minutes. Et pourtant, l’on tient là l’un des tout meilleurs disques du pianiste. Un disque qui dit tout sur son talent. Bref, une petite perle. Avec Paul Chambers à la contrebasse et Jimmy Cobb à la batterie, nous sommes en présence du plus régulier des triangles de Wynton Kelly. A noter qu’au cours de cette session d’avril 1960, Philly Joe Jones est invité à remplacer le batteur légendaire de Miles (cf. Kind of Blue). Malgré sa très courte durée, cet enregistrement est de premier choix, tant par la qualité des musiciens que celle du répertoire. D’une précision harmonique et d’une diversité rythmique inouïe, Kelly At Midnite comblera de bonheur bon nombre d’entre vous.

La session n’a aucune prétention (au départ, elle a été enregistrée comme un jam session), et c’est justement là sa grande réussite. Décontraction, swing, bonne humeur, un zest de nostalgie, tous les ingrédients du jazz sont là. Débutant sur un morceau à la fois bluesy et swinguant ("Temperance"), chaque seconde de musique regorge de feeling et d'inventivité, et le répertoire est vraiment alléchant. Alors forcément, on est vraiment en territoire connu : le swing et un hardbop de bon aloi. Mais ici, Kelly n’essaie pas de faire de remplissage (on lui a souvent reproché, à raison, de ne pas laisser respirer ses musiciens). Ici, c’est tout le contraire. L’on songe même parfois au trio dAhmad Jamal, celui avec Vernell Fournier et Israel Crosby. C’est dire !
Paul Chambers

Avec le thème suivant ("Weird Lullaby"), on baigne en pleine atmosphère nocturne, celle d’un bon vieux club de jazz enfumé… Nostalgique et rêveuse, cette ballade est d’un charme fou. Les accords de Kelly sont d’une tendresse infinie. L’art de raconter une histoire, celle d’une séparation (qui est ce papillon bizarre?). L’une des plus belles ballades jamais enregistrées.

Encore une fois, il est impressionnant de constater que Kelly a toujours quelque chose de neuf à proposer et tire des trésors musicaux de chaque instant, en un feu d'artifice quasi-permanent. Et si un aspect bluesy irrigue l'ensemble de son œuvre, ici, c’est plutôt un jazz bien calibré, un jeu épanoui ("On Stage"), mêlant les qualités d’un Oscar Peterson ("Skatin’") à celles d’un Bill Evans ("Weird Lullaby") ou encore d’un Ahmad Jamal ("Pot Luck"). Les musiciens ne m’ont jamais paru aussi libres qu’au cours de cette session (écouter Philly Joe Jones sur "On Stage", et son jeu carrément roboratif, cette façon si singulière de ponctuer sur la caisse claire, tandis que notre pianiste offre l’un de ses plus beaux soli). A ne pas manquer.




"Softly, as in a morning sunrise", sur l'album "Kelly Blue":

1 commentaire:

  1. Shuffle master13/11/11 18:33

    Comme tout le monde, j'ai juste le premier...Les pochettes type Kelly Great (fond jaune orangé,typographie...il y en a eu des wagons comme ça)m'intriguaient quand j'étais gamin.

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