samedi 19 novembre 2011

RETROSPECTIVE WYNTON KELLY , PART II, par Freddiejazz

Wynton Kelly : Un accompagnateur hors pair.

Suite de la rétrospective Wynton Kelly, dont la première partie est à lire ici :
Wynton Kelly, 1ere partie



De Wynton Kelly, la postérité retiendra surtout l’accompagnateur hors pair qu’il fut aux côtés des plus grands musiciens de l’époque. Un gars bourré de talent, capable lorsqu’il est inspiré (mais ne l’a-t-il jamais été ?) de vous aligner des gammes et accélérer le tempo pour relancer la machine à swing. Dans le traitement des ballades, il faisait toujours preuve de sensibilité, donnant un jeu économe. A n’en pas douter, sa présence était réelle.

ART FARMER "Early Art" (4/6)
 
Dans ce disque qui présente les débuts du bugliste Art Farmer, l’un des plus romantiques sur la planète jazz (cf. le Jazztet avec Benny Golson…). Dans cette galette, l’on a droit à deux sessions, l'une en quartette, l'autre en quintette. L'intérêt pour nous, même si la session avec Sonny Rollins n’est pas négligeable (mais le pianiste n’est pas Kelly), c'est celle du 9 novembre 1954… la deuxième donc. Wynton Kelly n'a pas 25 ans, et se trouve déjà propulsé dans un petit combo fort sympathique (le quartette). Aux côtés du leadeur, il donne un soutien efficace, parfois modeste, mais quand il prend ses solis, il reste tout à fait convaincant. On ne le dira jamais assez, mais Wynton Kelly était plus à l'aise comme accompagnateur que comme leadeur. En voici une démonstration parfaite, même si la session ne reste pas inoubliable. La rythmique composée d'Addison Farmer à la contrebasse et de Herbie Lovelle à la batterie est bien huilée. On baigne en plein hardbop aux mélodies bien identifiables.

Les cinq premières pièces de la première session sont en quintette comme je le rappelais plus haut, et nous offrent de bons moments. Au cours de la deuxième session, on sent le piano de Kelly plus ferme, plus soucieux du sens de l'espace. L'absence de sax ténor donne toute la liberté à Farmer de développer ses idées. Le piano de Kelly se fait timide et n'a pas encore l'autorité qu'il développera aux côtés de Miles. La contrebasse d'Addison Farmer est assez plan plan sur des thèmes comme "I've Never Been In Love Before", mais ça fonctionne.

L'intro de Kelly sur "I'll Walk Alone" est de toute beauté, en staccato. Il s'agit d'une ballade doucereuse, et le bugle de Farmer sur un tel écrin prend alors toute sa splendeur, sa précision. Lumineux. Avec "Gone with The Wind", sur un tempo endiablé, mais contenu, l'on est dans du hard bop de bon aloi. Le solo de Kelly distille de belles notes, l'ensemble peut alors swinguer de plus belle. Puis vient "Alone Together", superbe ballade, là encore, le bugle de Farmer est d'une beauté à faire rougir les plus effarouchées. Qui ne succomberait pas à pareille version? Comment ne pas frissonner au cours du solo de Kelly? Quant au dernier thème, "Pre Amp", le tempo est ultra rapide et relève de la technique. Kelly s'y montre une fois de plus ingénieux.

INTROCUCING JOHNNY GRIFFIN

Le pianiste vient de quitter l'orchestre de Dinah Washington et signe en avril 1956 aux côtés du jeune Johnny Griffin (1928-2008) une session complètement folle. Très hardbop dans l'esprit, Introducing marque les vrais débuts du jeune saxophoniste. Mais ce qui frappe à l’écoute de cet opus, c'est un sentiment de liberté inouï, un jeu varié entre morceaux péchus et ballades romantiques. Nos quatre jeunes gens (dans la configuration du quartette tout acoustique – sax ténor/piano/contrebasse/batterie) sont nourris du même feu. Et même si la session n'est pas historique en soi, elle l'est de par cette voix singulière que l'on entend dans le sax ténor de ce celui qu’on surnommait alors Little Johnny.

Ainsi, le label Blue Note ne tarde pas à remarquer tout une clique de jeunes talents. Le pianiste qui n'était pas un inconnu (quelques années plus tôt, il avait été choisi pour enregistrer aux côtés de J.J. Johnson...), signe ici ses premiers véritables enregistrements pour le label d'Alfred Lion et de Francis Wolf. Wynton a alors 25 ans et semble alors en pleine possession de ses moyens. Griffin n'est pas en reste. Dès le premier thème "Mil Dew", c'est une cadence folle, très bop, et gare à ceux qui ne suivraient pas.

Le quartette constitué de jeune loups à qui on ne la fait pas démarre en trombe avec une prise de risque phénoménale. Pour marquer les esprits, fallait porter un grand coup. C'est plutôt réussi, grâce à Wynton bien sûr, mais surtout grâce à cette merveilleuse rythmique composée de Max Roach et de Curly Russell (ancien contrebassiste de Parker mais aussi de Gilmore, Clifford Jordan - souvenez vous de la session "Blowin' in from Chicago"). D'ailleurs, de Chicago, il en est question. Il suffit d'écouter les thèmes suivants, comme ce merveilleux "Chicago Calling", d'une ténacité et d’une férocité étonnantes. L'on notera aussi une thématique frisant le sublime, notamment dans des ballades telles que « These Foolish Things » (un chef-d'oeuvre absolu en termes d’interprétation et de sensibilité). Aucun doute là-dessus, nous sommes en présence d’un disque majeur dans la discographie du "petit ténor" (terme qui ne rendait pas toujours justice à Griffin, qui sera vite éclipsé par Sonny Rollins et John Coltrane). Enfin, "Introducing" est aussi l’une des meilleures preuves du talent de Wynton.

SONNY ROLLINS Volume 1 
 
Une session de toute beauté, très bop dans l'esprit et qui met en valeur les sonorités rêches et voluptueuses de ce brillant saxophoniste qu'est Sonny Rollins. La session date du 16 décembre 1956 et Rollins vient de quitter le label Prestige pour lequel il avait enregistré une série de disques flamboyants, voire historiques (« Saxophone Colossus » notamment). Fraîchement débarqué sur le label Blue Note, Rollins va livrer une série de disques assez intéressants, pas toujours dignes d'intérêt (hors mis le volume 2, et surtout le "Live au Village Vanguard"). Ici, la configuration est celle du quintette tout acoustique, formation alors en vogue et portée à un niveau inégalée par le quintette de Clifford Brown/Max Roach. Avec Donald Byrd à la trompette, l'on est d'ailleurs un peu dans cet esprit. La session n'est pas des plus remarquables mais possède des moments inoubliables. Sonny et Donald Byrd sont donc les soufflants, Wynton Kelly est au piano, Geme Ramey est à la contrebasse et Max Roach à la batterie.

Le répertoire est essentiellement constitué de compositions originales, au nombre de cinq. Dès le premier thème "Decision", le clin d'oeil au label d'Alfred Lion et Francis Wolf est flagrant. Thématique très identifiable, légèrement funky, un groove de bon aloi et puis une sonorité chaude au sax ténor. La pièce suivante "Bluesnote" confirme la nouvelle trajectoire, qui semble, faut bien le dire, un peu routinier pour notre colosse. Qu'a-t-il à prouver ? Pas grand chose. En 1956, il est déjà considéré comme le « passeur », le plus brillant des sax ténors. Coltrane n'a pas encore l'aura au sein du collectif de Miles, et Stan Getz est encore considéré comme un « gentil toutou ». Quant à Lester Young, sa santé déclinant, il est presque sur la touche à cette époque. Et Coleman Hawkins, toujours vénéré, se sent dépassé par toute cette jeune clique qui annonce un jazz plus moderne.

Avec "How are Things in Glocca Morra", la thématique est assez simpliste, mais la sauce prend. Parfois, il n'en faut pas davantage pour faire swinguer papys et mamies. Après l'introduction du thème, Rollins improvise pour notre plus grand plaisir. Le style de Kelly est déjà bien en place. Un côté churchy non négligeable et puis surtout une marque de fabrique bien à lui : des notes bien senties, triolets, chausses-trappe à n'en plus finir, un swing ravageur. C'en est presque rageant, tant Kelly fait preuve de facilité. Mais soyons bien clairs, son jeu n'a jamais rien de gratuit. Sur un tempo endiablé, Rollins est impressionnant sur "Plain Jane" (peut être bien le morceau que je préfère de cette session). Techniquement, c'est parfait. L'école de Monk, forcément (décalage, atonalités, virages pris à deux cent à l'heure). Cette quatrième pièce est vraiment un chef-d'oeuvre. Enfin, avec "Sonnysphere", bel hommage du trompettiste au saxophoniste, nous sommes en présence d'une des plus belles ballades du catalogue Blue Note. Langoureuse et sensuelle, très proche du chant et du murmure, l’on est presque en présence d’une berceuse.


à suivre...



ET on écoute "My foolish things" tiré de l'album de Johnny Griffin :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire