lundi 26 décembre 2011

LA VIE EST BELLE de Franck Capra (1946) par Luc B.


Capra et Stewart
A l’instar du MAGICIEN D’OZ ( suivez le lien... c'était y'a 1 an ! ) ce film, que son réalisateur Franck Capra considérait comme son meilleur, est aussi un classique des soirées de Noël chez nos amis ricains. Découvert dans les salles pouilleuses du Quartier latin à Paris, revu il y a un bail à la télé, c’est avec une certaine appréhension que j’ai remis le DVD dans le lecteur pour écrire les lignes qui suivent. Le film est-il conforme aux souvenirs que j’en avais ? Suspens… J’ouvre l’enveloppe… eh oui : ce dernier visionnage surpasse tout ce que j’avais espéré ! LA VIE EST BELLE a gardé intact son impact émotionnel, la mise en scène de Capra n’a pas pris une ride. Un petit mot sur ce réalisateur, auteur d’ARSENIC ET VIELLES DENTELLES (vous connaissez un film plus drôle que celui-là ?), ou VOUS NE L’EMPORTEREZ PAS AVEC VOUS, qui très tôt prit son indépendance financière face aux studios hollywoodiens, et qui avait commencé comme scénariste et gagman chez Mack Sennett ou Harry Langdon. C’est dire s’il a le sens du rythme, du récit, du timing. Aucun maniérisme avec sa caméra, mais de la fluidité, des plans longs, larges, permettant aux acteurs de bouger, de jouer, de vivre devant l’objectif. Je conseille d’ailleurs ses mémoires « Hollywood Story » qui étaient sorties chez Ramsay Pockett, un bouquin passionnant.

Y’en a qui ne connaissent pas LA VIE EST BELLE ? (ne pas confondre avec le film homonyme de Roberto Benigni…). Alors, en quelques mots, l’action commence ainsi : dans la voie lactée, des anges discutent entre eux à propos d’un certain George Bailey, qui s’apprête à commettre l’irréparable : se jeter à l’eau, le soir de Noël. Comment ce bon père de famille aimé de tous a-t-il pu en arriver là ? L’ange Clarence est désigné pour intervenir, et s’inquiète auprès de ses supérieurs : « aurais-je droit à mes ailes, j’attends depuis 200 ans, et je suis la risée du Paradis !? ». Oui Clarence, tu y gagneras tes ailes, mais avant, petit flash-back… (en fait, très long flash-back)…  Le petit George Bailey rêve d’aventures et de voyages, mais à chaque fois il doit remettre à plus tard ses projets. La crise de 1929 fait rage, son papa se démène à la tête d’une société de crédit, contre l’odieux Henry Potter, banquier sans scrupule et maître tout puissant de la ville, Bedford Falls. Le père Bailey y laissera la santé, et George est contraint de reprendre l’affaire. Il se marie aussi, et aura des enfants. Unanimement respecté de tous, George tient tête à Potter pour aider les plus démunis, résiste à toutes ses provocations. Mais le sort s’acharne…

Assis au bureau : Lionel Barrymore
Voilà bien un sujet digne de Franck Capra, dont on connait la fibre démocrate et généreuse. Souvenez-vous du rooseveltien MONSIEUR SMITH AU SENAT.  Et ce qui frappe à revoir ce film aujourd’hui, ce sont les parallèles avec la situation actuelle qui touche les américains (mais pas qu’eux…). Crédit, endettement, dérive du capitalisme financier. La charge de Capra est lourde. Face au personnage de Potter, Franck Capra oppose donc George Bailey, le type même de l’américain moyen, même pas un héros de guerre puisqu’en 1942, handicapé d’une oreille, il ne pourra s’engager. C’est un type bien, c’est tout, un type simple, comme ce film, dont Capra disait qu’il ne s’adressait pas « aux intellos, aux critiques blasés de cinéma, mais aux gens fatigués, abattus, un film pour les alcoolos, les drogués, les prostitués, les prisonniers, un film pour dire qu’aucun homme n’est un raté ». Et c’est vrai que ce film est un concentré d’espoir et de générosité, qui jamais ne sombre dans la niaiserie ou le sentimentalisme. Le scénario évite les chausse-trappes inhérentes au genre, et le metteur en scène avance son récit avec un tel rythme, une telle maestria dans la narration, que l’on n’a pas le temps de s’attarder !

Ce film regorge de scènes admirables, drôles, comme cette gamine qui souffle dans l’oreille sourde du petit George « Je t’aimerais jusqu’à la mort ». Et 20 ans plus tard… ils se retrouveront, à l’occasion d’un concours de charleston endiablé, le sol s’ouvrant au-dessus d’une piscine ! (Comme dans THE PARTY de Black Edwards). Trempés, en peignoir, Mary et George rentrent de nuit, scène magnifique de poésie et de drôlerie, où chacun rêve d’avenir glorieux, fera un vœu devant une vieille bicoque délabrée. Il y a aussi la scène du repas, avec George, son frère, ses parents, la bonne, filmée dans une frénésie de bonne humeur, d’entrée et sortie de champs vaudevillesques. Pourquoi cette scène fonctionne-t-elle aussi bien, comment nous renvoie-t-elle tant de respect, de complicité, de tendresse ? Je suis scié à chaque fois ! Plus tard, une scène très tendre entre George et sa mère, qu’il embrasse sur la bouche. Il faut s’en souvenir de cette scène, car à la fin, on retrouvera le personnage de la mère dans un contexte plus noir, et le contraste sera saisissant.

Capra nous présente une galerie de personnages pittoresques et truculents, forts en gueule, comme l’oncle Billy (joué par Thomas Mitchell), ou le flic joué par Ward Bond (souvent vu chez John Ford). Évidemment, le monstre du film, c’est le banquier Henry Potter, véritable salopard en chaise roulante, à qui l’immense Lionel Barrymore prête toute sa veulerie. Potter a lutté contre le père Bailey, sans avoir pu le chasser et racheter sa société, il s’attaquera encore plus férocement au fils. Potter utilise des moyens financiers pour couler Bailey, mais celui-ci va déjouer le piège, et payer de sa poche, pour garder ses clients. Potter utilisera alors la psychologie, lors d’un face à face, où il sera à deux doigts de retourner son adversaire. L’erreur de Potter sera de tendre la main à George, qui va la serrer, une main moite, flasque, une main de menteur… Potter essaiera donc l’escroquerie, utilisant un incident en sa faveur, en faisant une véritable bombe à retardement. L’ignominie et le cynisme du personnage semble sans limite. Capra pousse très loin, et il lui faut, par souci d’équilibre, garder cette intensité. Les scènes qui suivront devront être aussi fortes : l'oncle Billy, dévasté, à quatre pattes dans son bureau (remarquez la composition du cadre, la lumière contrastée, une esthétique de Film Noir, qui semble emprisonner le personnage), George sanglotant et serrant son gamin sur les genoux, et les nerfs qui craquent, la violence soudaine, puis les excuses marmonnées d'une voix usée. Capra est aussi à l’aise dans les scènes comiques, les dialogues drolatiques (« j’avais économisé pour mon divorce au cas où je me marierai » dit la bonne !) que dans le drame le plus sombre. Et bien sûr, à chaque fois, il offre à son interprète une partition de choix.
C’est James Stewart qui joue le rôle de George Bailey. Qui d’autre aurait pu ? Le comédien a incarné ce type de héros magnifique avant guerre (ensuite, il s'est tourné vers des productions plus sombres, souhaitant casser cette image d’idole des foules). La modernité de son jeu me laisse pantois, que ce soit chez Capra, Hitchcock, ou Anthony Mann. Il est absolument éblouissant de naturel, cette diction bien à lui, sa gestuelle, sa silhouette, mais aussi, sur la fin, ces regards terribles, sombres et désespérés. Une fois de plus, Franck Capra lui offre un personnage humaniste, quasi gauchiste, alors que Stewart, on le sait, était plutôt ultra-conservateur. Une chose les réunissait pourtant : la guerre. Et il ne faut pas oublier que Capra et Stewart revenaient de la guerre, en 1945, quand ils s’attèlent au projet. Stewart fut colonel de l’aviation, Capra produisant une série « Pourquoi nous combattons ». D’où une scène aux relents patriotiques exacerbés, lorsque le frère de George est décoré comme héros de guerre, qui aujourd’hui peut paraître osée, mais qu’il faut replacer dans son contexte.

On attend bien sûr l’arrivée de l’ange Clarence, et je ne raconterais pas les circonstances ni ce qui suit. L’idée est trop belle. J’avoue que je l’avais oubliée, j’ai mis un temps à piger le truc… Mais remarquez bien la scène où George et Clarence sèchent leurs vêtements. Une corde à linge sépare l’écran en deux, en diagonal. George en bas, Clarence en haut. Et durant toute la scène, quel que soit la valeur du plan, les deux personnages ne seront jamais associés visuellement, sans cette séparation, l’un venant du ciel, l’autre étant terrien. Il faudra attendre qu’ils s’accordent, se comprennent, s’acceptent, pour que Capra les réunisse enfin sans l’artifice de cette corde. La fin du film est évidement un sommet de mélodrame, un hymne à la famille, à l’amitié, au partage, à l’amour, mais encore une fois, après tout ce qu’on a vu, vécu, entendu, rien ne semble déplacé, ou exagéré. LA VIE EST BELLE est un enchantement de tous les instants, une réussite totale, qui pourtant n’avait pas remporté les suffrages à sa sortie. C’est drôle, amer, truculent, et c’est surtout indispensable ! LA VIE EST BELLE fait partie de ces films dont on ne se lasse pas, parce qu’ils sont bien faits, et parce qu’ils ont du sens. C'est tout simplement un des plus beaux films du monde. J’envie ceux qui le découvriront pour la première fois…

Cette bande annonce est visiblement récente, agrémentée d'une musique contemporaine. Très difficile de trouver les bons extraits, qui n'en disent pas trop, qui ne sont pas colorisés, ou recadrés, ou bidouillés par des fans qui ont filmé leur propre télé !








LA VIE EST BELLE (1946)
Réal et prod : Franck Capra, pour la RKO
Scénar : Frances Goodrich, Franck Capra, Albert Hackett
avec : James Stewart, Donna Reed, Lionel Barrymore, Thomas Mitchell, Gloria Graham, Ward Bond...

Noir et blanc  -  2h10  -  format 1:37



2 commentaires:

  1. Capra, il écrit des contes de fée avec une caméra (Mr Smith au Sénat, l'extravagant Mr Deeds, New York Miami, et celui-là, son chef-d'oeuvre)...

    Bonne fin d'année à toi Luc, et aux autres du Déblocnot ...

    RépondreSupprimer
  2. Merci à toi, Lester, je fais passer le mot aux autres !

    RépondreSupprimer