vendredi 13 janvier 2012

APOCALYSPE NOW - LE JOURNAL de Eleanor Coppola (2011) par Luc B.


Francis et Eleonor
Le 20 mars 1976 : premier jour de tournage d’APOCALYSPE NOW, aux Philippines. Eleanor Coppola est présente, ainsi que ses trois enfants, dans la belle maison que la famille du metteur en scène loue à Manille. Eleanor prendra des notes quotidiennes, prendra des photos, mais aussi réalisera un making-of de ce qui deviendra la grande oeuvre de son mari Francis Ford Coppola. Ce tournage pharaonique a fait couler beaucoup d’encre, les anecdotes les plus croustillantes circulent à son sujet. Si vous lisez ce livre pour en savoir plus, vous serez déçu, sans doute comme je l’ai été au début. Car il ne s’agit pas ici de raconter par le menu le tournage au sens technique du terme. Il ne s'agit pas non plus de raconter les caprices de stars, qui couchent avec qui. Il n'est pas question une seule fois de drogue, de délires paranoïaques sous LSD, même à propos de l'acteur Dennis Hopper, pourtant cramé par la dope dans ces années-là. La seule scène d'ivresse qui est mentionnée, est celle du comédien Marty Sheen, mais pour les besoins du rôle. Eleanor Coppola n'a-t-elle pas été témoin de ces excès, ou a-t-elle choisi de les ignorer, pour se concentrer sur son propos ? Je pencherais pour la seconde solution. Le portrait qui se dessine d'elle au fil des pages en fait une femme pudique et réservée, soucieuse de préserver chacun... Pas de règlement de compte ici, d'ailleurs, le couple est encore uni après 50 ans de vie commune.

Ce bouquin est avant tout un journal, un journal intime, d’une femme qui tente de suivre et de comprendre la démarche de son mari, d’en percer les secrets. Elle raconte le quotidien, à commencer par la chaleur étouffante qui règne, les moustiques, l’humidité, les journées sous des trombes d’eau, quand ce n’est pas un typhon qui s’abat sur la région, dévastant les décors. Ces scènes sont assez impressionnantes, car la grande majorité des transports se faisaient en hélicoptère, pour se rendre sur le plateau de tournage. Lorsque la tempête fait rage, impossible de décoller, et c’est huit heures de camion qui sont nécessaires pour aller au boulot, à travers une jungle boueuse et secouée par les vents. Les conditions climatiques ont tout de suite ruiné le projet, dans tous les sens du terme. Le plan de travail a dû être adapté, mais surtout, cela a eu un impact direct sur le coût du film. Au départ, Francis Coppola avait réuni 13 millions de dollars, en vendant par avance les droits à l’étranger. Il garde ainsi son indépendance vis-à-vis des studios.  Rappelons que dans les années 70, le « Nouvel Hollywood » connait son âge d’or, une période où les cinéastes, mais aussi les acteurs, deviennent propriétaires de leur création, en produisant ou achetant les droits. EASY RIDER de Dennis Hopper a changé la donne en 1968, un équivalent de notre Nouvelle Vague européenne. Spielberg et Georges Lucas sont les rois du box-office. Coppola vient de réaliser les deux premiers épisodes du PARRAIN, il a déjà obtenu une Palme d'Or pour CONVERSATIONS SECRETES, sa renommée est immense, on lui concède tout, y compris de le laisser partir aux Philippines, s’embourber dans les problèmes. Coppola est indépendant oui, mais aussi responsable. Tout dépassement de budget sera pour sa poche… Et le film coutera le double que prévu…

Eleanor Coppola raconte donc la construction des décors, le fameux pont en bois, les répétitions avec les hélicoptères de l’armée philippines prêtés par Marcos, et avec sa petite équipe composée de Doug Ryan et Larry Carney, elle tente de fixer sur pellicule les exploits de la grande équipe. Cela ne va pas sans mal, il faut apprivoiser la caméra, être présente au bon moment, pouvoir se faire discrète, ou ne pas oublier de charger l’appareil ! Il faut surtout un point de vue pour relater ce tournage, et au bout de plusieurs semaines, elle doute sur le bien-fondé de son projet. Francis Coppola la soutient, bien sûr, il est à l’origine de l’idée, mais rapidement, trop occupé, elle doit se débrouiller seule. Elle ne veut pas être la femme de... mais avoir son propre regard sur les évènements. Eleanor Coppola ne veut pas gêner, ne veut pas de passe-droit. Elle parle souvent du sentiment d’être la femme d’un homme célèbre, de la gêne que cela occasionne parfois. Elle n’est pas présente tous les jours sur le tournage, car elle doit aussi s’occuper de ses enfants. De longues pages racontent la vie là-bas, les petites choses, les courses, les repas, les jeux. Des passages un peu répétitifs au mon goût, mais qui traduisent le climat psychologique, la solitude, l’éloignement. Francis Ford Coppola est souvent absent, et son humeur est de plus en plus massacrante. Les soucis de santé arrivent, amaigrissement, manque de vitamine, déshydratation, et le petit médecin local ne rassure personne. Mais l’idée qui revient le plus souvent est sans doute : Francis cherche encore la fin de son film. Le scénario de John Milius définit un cadre pour l’intrigue, mais Coppola cherche ailleurs, plus loin, s’aperçoit que le film a des résonances directes sur sa vie, ses relations avec son père, le compositeur Carmine Coppola (qui collabora à la musique du film). Coppola se noie sous le travail, enregistre des kilomètres de pellicules, mais sans savoir ce qu’il va en faire, aux grands dam des studios, qui sans cesse cherchent à reprendre un minimum de contrôle, pour sauver l’entreprise du désastre.

Avec les difficultés financières, techniques, climatiques, vient la dépression, et même la violence. On commence à croire que Coppola devient aussi fou et tyrannique que le personnage du colonel Kurtz, interprété par Marlon Brando. En voilà un qui aura aussi causé des difficultés, retardant son arrivée toujours un peu plus, et débarquant finalement, mais obèse. Coppola est terrifié : il n’a rien à lui donner à tourner. Coppola discutera longtemps avec lui, et de ces longues séances d’improvisation naitront les scènes que l’on connait, entre les personnages de Kurtz et Willard. Mais cela, Eleanor n’en dira pas tellement plus. C’est parfois frustrant, lorsqu’elle explique par exemple que c’est le dernier jour de tournage de Brando, qu’il reste huit heures avant qu’il ne reparte et une scène importante à faire… et qu’elle enchaine sur la salade de papayes qu’elle prépare, trois jours plus tard, avec sa fille Sofia. Hé ! Quid de Brando ?  C’est ça qui nous intéresse, nous ! !

Mais comme je le disais au départ, il s’agit moins d’un making-of que d’une femme qui livre ses impressions, sa vie, son intimité. Elle a 40 ans, est très amaigrie (40 kilos) épuisée, et voit son mari lui échapper. Elle apprendra plus tard que son mari avait une maîtresse, qui aura le privilège de voir un pré-montage du film avant elle ! Le couple est au bord du divorce. Eleanor aime son mari, l’admire, mais en même temps est consciente qu’en se consumant ainsi, il détruira tous les gens autour de lui. L’acteur Martin Sheen fera un infarctus. Eleanor Coppola décrit bien un des paradoxes de cette production. L’équipe est noyée sous les dettes, mais vit comme des pachas. Les anniversaires sont souhaités de manière somptueuse, gargantuesque, l’équipe italienne du directeur photo Vittorio Storaro se fait livrer des montagnes de pâtes et sauce tomate, qu’on fait venir en avion… Pour les séquences de la plantation française, ce sont des milliers de dollars qui seront dépensés pour habiller le décor, le rendre vrai, avec des bibelots précieux, des matériaux véritables. Cette longue séquence sera pourtant coupée au montage.  Eleanor cite parfois des paroles de figurants ou techniciens, chuchotées, sur l’indécence de certaines situations. Coppola veut du réel (les indiens vus dans le film seront donc une vraie tribu, rémunérée à la journée), du grandiose, la plus grosse explosion de napalm jamais produite (même sur un conflit réel). Il veut des crépitements de balles tirées à la mitraillette par les centaines de figurants. Le responsable des effets spéciaux confiera à Eleanor qu’une seule cartouche coute trois dollars… La femme de Coppola voit son mari se rapprocher du gouffre, et continuer d’avancer, de s’y précipiter, dans une sorte de course suicidaire. Tout en reconnaissant le génie de l’homme, ses idées, son courage, sa ténacité, sa force de travail.

Dans une seconde partie, le récit se poursuit à San Francisco, en 1978, pour la phase de montage, là encore douloureuse. le couple, encore marqué par l'expérience des Philippines, reprend un peu de force. Ils sont chez eux, les enfants reprennent leur cycle scolaire normal. Francis Coppola tente plusieurs versions, cherche encore à agencer son histoire, lui donner un sens, tente de modifier la fin avec le matériau filmé qu’il a sous la main. Si cela ne suffit pas, on tourne de nouvelle scène, en faisant venir des morceaux de décors des Philippines, et les accessoires sont rapatriés directement à la propriété des Coppola à Napa, Californie. Les avocats de United Artists semblent être plus confiants, les extraits qu’ils peuvent voir plaisent, même si rien n’est encore définitif. On sait que le film sera sélectionné au Festival de Cannes en 1979, et projeté sans générique, dans une version rapidement raccordée. APOCALYSPE NOW recevra la Palme d’Or, remplira les salles de cinéma, ce qui sortira Coppola du pétrin, pour un temps seulement, car son film suivant COUP DE CŒUR sera un échec cuisant. Eleanor Coppola, de son côté publie son journal, et tente de travailler au montage de son propre film, mais ne parvient pas  à trouver un angle, un point de vue qui la satisfasse. Elle a face à elle un ogre génial, qu’elle admire, qu’elle a vu au travail, mais elle, n’y arrive pas. Extrêmement marquée par cette aventure, elle laissera finalement son matériau à deux étudiants en cinéma, Fax Bahr et George Hickenlooper, qui réaliseront un documentaire en 1990 intitulé « Aux cœurs des ténèbres » et qui utiliseront une partie des images filmées par Eleanor Coppola.

Un bouquin intéressant, faute d’être passionnant. L’écriture y est aussi sans doute pour quelque chose. Ce n’est pas la forme du journal qui est en cause, mais le style est assez banal, on est loin de la poésie de Patti Smith dans JUST KIDS   à découvrir en cliquant ici  . Il faut aussi se faire à l’esprit qu’elle n’est pas là pour parler de cinéma, mais surtout d’elle-même, de sa vie, de cette parenthèse infernale, de ses déconvenues. Plusieurs passages sont donc assez frustrants, comme s’il elle se désintéressait de certains aspects de la production, qui évidemment, m’auraient, moi, totalement enthousiasmés ! Ce journal de bord est son voyage à elle aux cœurs des ténèbres.



Et comme le monde est bien fait, et le Déblocnot en particulier, retrouvez l'article consacré au film de Coppola, en suivant ce lien : APOCALYPSE NOW

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