dimanche 29 janvier 2012

MARC TRILLARD "DE SABRES ET DE FEU" (2006) par Luc B.




Marc Trillard
Avec DE SABRES ET DE FEU, Marc Trillard poursuit son évocation du voyage et du déracinement. Nous avions déjà évoqué cet auteur (lien : cliquez ici ) avec ELDORADO 51 (une famille française abandonne sa station-service et s’exile au Paraguay pour vivre de l’élevage) et CAMPAGNE DERNIERE (un médecin s’envole pour une île africaine et prend la tête d’une rébellion contre le nouveau préfet), et les thèmes développés dans ce roman ne sont pas éloignés des précédents. Cette fois Marc Trillard pose son regard sur les gens du voyage, les tziganes.
L’action se déroule dans le sud de la France, à Ginestous, à l’été 2003. En pleine canicule, cette petite commune voit débarquer des familles entières de roms, venus saluer une dernière fois le patriarche, Enrique, qui se meurt dans sa roulotte. L’agent municipal chargé du terrain, Bartholomé, s’est fait accepter par ces nomades, en se faisant discret, aimable, en essayant de les comprendre, en se refusant de les juger. L’arrivée d’Augustin, personnage charismatique, et de sa fille Antucha, va définitivement faire basculer Bartholomé, qui prendra parti pour ce peuple d’insoumis, contre la volonté du maire, qui cherche à s’en débarrasser…


Dans les romans pré-cités, Marc Trillard nous emmenait en voyage, à des milliers de kilomètres, dans des contrées arides, et confrontaient des exilés aux éléments naturels et sauvages. Le voyage, ici, n’est qu’une lande de béton, où s’entassent les familles de Tziganes, avant qu’on les reloge manu-militari dans du pré-fabriqué. C’est en faisant le portrait des uns et des autres que le romancier nous fera parcourir l’Europe, sur les traces de ces peuples itinérants. Le soir à la veillée, chacun y va de son histoire, de ses souvenirs, et notamment Augustin, le fakir, le cracheur de feu, l’avaleur de sabres, qui fascine son entourage par ses récits, lui qui n’a jamais cessé de bouger, de faire vivre cette tradition du voyage, quand beaucoup avaient mis leurs caravanes sur calles. Au centre de ce camp, Bartholomé, dit « Barto », le gadjo, brave fonctionnaire, qui travaille dans son algeco, et rentre de plus en plus tard chez lui, au grand dam de sa femme, qui se demande bien ce que son mari trouve à ces gens-là. Barto fait consciencieusement son travail, s’est fait accepter, est invité à boire, à manger, et vient écouter pour la millième fois les histoires du vieil Enrique qui se meurt. Il essaie aussi de faire tampon entre les tziganes et la municipalité. Car le maire ne souhaite pas voir débarquer ces familles venues de nulle part, qui polluent, effraient, gênent, contrecarrent ses plans d’urbanisme. Et alors que l’on vient de loin rendre hommage au doyen, les brigades de CRS commencent à encercler le camp. Barto a une autre raison de prendre fait et cause pour les tziganes. Antucha, fille d’Augustin, tout juste 18 ans, dont la beauté et l’état sauvage l’ensorcelle. Il se voit déjà partir avec elle, tout lâcher, tout abandonner, tout laisser derrière lui, certain qu’avec le temps elle acceptera ce français à ses côtés, et même, qu’elle l’aimera. Elle lui tourne la tête au Barto, cette gitane, qui assiste son père dans ses numéros, envoutant le public de ses danses diaboliques.
DE SABRES ET DE FEU est encore une fois magnifiquement écrit. Chaque phrase semble avoir été ciselée, chaque mot choisi avec soin. Avec ce style bien à lui, qui consiste la plupart du temps à ne pas mettre en exergue les dialogues par des tirets, mais les inclure au texte. L’auteur prend évidemment le parti des gens du voyage. On sait l’admiration de Trillard pour ces peuples, cette philosophie de la vie. Mais sans doute tout est-il blanc ou noir dans ce roman. Ainsi, le maire, personnage forcément détestable, hautain et sans culture. Même lorsqu’il vient saluer la dépouille d’Enrique, touché par l’émotion qui gagne la foule, comprenant soudain le poids des us et traditions de ce peuple. Le tableau est brossé dans un seul sens. Les bons et les mauvais. Du coup, on ne ressent pas les tiraillements de Bartholomé, qui aurait pu nous représenter, nous les lecteurs, mais qui ne représente que l’auteur et son point de vue. On aurait aimé en connaître un peu plus sur cet employé, le voir évoluer dans sa vie (que l’on devine vide de sens en dehors de ses protégés). On aurait sans aimé aussi davantage de romanesque, élément central des précédents romans de Trillard (enfin, ceux que je connais). Autant Trillard écrit toujours à l’économie, va à l’essentiel, sans lyrisme de pacotille, mais avec un souffle puissant, comme si même ce monde était encore trop petit pour lui, autant ici on pourra objecter certaines redondances dans l’évocation magnifiée des gitans. Mais que de passages sublimes, les rencontres tziganes/maire, les soirées autour des brazeros, l'arrivée d'Augustin, et l'ennivrement des foules par ses numéros, et bien sûr, la passion qui dévore ce pauvre Bartholomé.

DE SABRES ET DE FEU nous emmène à la rencontre de personnages entiers, secrets, étonnants. Car il faudra aussi évoquer le vieux docteur Moscowicz, ex-gauchiste, qui a trouvé avec les manouches un nouveau combat à mener contre la bêtise et l’intolérance. Marc Trillard met encore une fois à l’honneur les gens en marge, les sans grade, les rebelles, qu’il oppose à la sécheresse de l’administration, et de l’Etat. Le tout servi par une langue d’une grande richesse, un travail sur les mots et sur le rythme tout à fait captivant.



De Sabres et de Feu (2006)
Le Cherche Midi
279 pages

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