vendredi 3 février 2012

J. EDGAR de Clint Eastwood (2012) par Luc B.


On peut mesurer la longévité du Déblocnot au fait qu’on vous propose aujourd’hui le deuxième article consacré au « dernier film de Clint Eastwood », après AU-DELA, chroniqué en 2011 (- - - cliquez ici - - -). Il faut dire que ce jeune homme (82 ans) nous aide un peu, puisqu’il enchaine les tournages : 13 réalisations depuis 2000. Et je ne vous cacherais pas que j'aimerais encore en chroniquer une bonne poignée, je lui souhaite autant qu'à moi ! Sa dernière production retrace la vie et la carrière de John Edgar Hoover, le puissant patron du FBI de 1924 à 1972. Il y a évidemment de la part du réalisateur une part d’admiration pour Hoover, pour sa longévité, son sens de l’organisation, pour la mise en place d’un système d’investigation précurseur. Mais fort heureusement, le tableau n’est pas brossé que dans le bon sens. J Edgar Hoover était un être détestable, au fil des ans devenu totalement parano. Eastwood ne manque pas de le montrer, et il est très intéressant de voir la version « audio » du film, la voix-off, celle de Hoover qui raconte sa vie, qui dicte ses mémoires à un journaliste, et la version « vidéo » des faits, les images de Eastwood. Bien souvent, l’une contredit l’autre. Et pour cause, Hoover a une drôle de manière de nous raconter les choses. Il enjolive, il arrange a sa sauce, se fait passer pour ce qu’il n’est pas : un héros. Il n’est pas Elliot Ness, qui attrape les méchants le flingue à la main. Une scène du film nous montre une arrestation, version Hoover, et plus tard dans le film, la même vue sous un autre angle. Et on pense à Clint Eastwood lui-même, qui depuis trente ans ne cesse de récrire son propre mythe, la désacralisation du héros, commencé avec IMPITOYABLE, ou encore SPACE COWBOY, CREANCES DE SANG, GRAN TORINO. Et ceci peut expliquer aussi pourquoi il a choisi de tourner cette histoire. 
Une histoire assez passionnante, qu’Eastwood parvient à rendre intéressante, et ambigüe. Tout commence en 1919, où le jeune John Edgar Hoover, policier, est chargé de mener la guerre aux anarchistes, aux communistes. Il comprend très vite que pour pourchasser les criminels sur tout le territoire, il faut une police ayant mandat dans chaque État. Le ministre de la justice, dépassé par les évènements, lui donne carte blanche pour organiser son service, et Hoover, sûr de ses idées, met sur pied ce qui deviendra le FBI, dont il prendra la tête en 1924, jusqu’à sa mort en 1972. Le système était basé sur quelques points clés : des flics armés, une autorité inter-état, la mise en place de laboratoires scientifiques qui analysent les empreintes (une nouveauté à l'époque) et recensent toutes les données possibles et inimaginables. Ça, on peut dire que c’est le bon côté de choses. Mais il y a aussi le système Hoover, le fichage systématique des ennemis, comme des amis… On entend Hoover dire dans le film : « arrêter quelqu’un pour un crime commis, c’est une chose, mais arrêter quelqu’un pour ce qu’il a l’intention de commettre, c’est mieux ». Il faut donc collecter les informations, pour anticiper sur l’acte. Le système Hoover, c’est l’espionnage organisé, les écoutes clandestines, afin de récolter plus d’informations, monter des dossiers compromettants, y compris sur ses supérieurs ! Raison pour laquelle Hoover était redouté même des présidents… Une scène montre Hoover mécontent de l’élection de Roosevelt, d’un autre bord politique. Méfiance. Il met la femme de Roosevelt sur écoute, monte un dossier, découvre une liaison de la première dame avec… une autre dame. De même, lorsqu'il prévient Bobby Kennedy qu'il a eu vent de rumeurs concernant son frère John, il ne manque pas de préciser qu'il a gardé des copies... Hoover contrôlait l’information, et donc les gens. Il était craint. Personne ne trouvait grâce à ses yeux. A sa mort, Nixon n'aura de cesse de récupérer les dossiers secrets du FBI, dans lesquels il figurait en bonne place...

Tous ces aspects, toutes ses enquêtes, tout cela est vraiment très bien raconté. L’enquête qui prend le plus de place, c’est l’affaire Lindbergh (l’aviateur star dont le bébé avait été enlevé et tué) car c’est la plus médiatisée à l’époque, et Hoover sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Il met en avant la police scientifique, avec son expert en bois, qui amènera à l’arrestation d’un suspect. S’il attrape le coupable, la démonstration sera faite de son génie, et nul ne s’opposera à ses rêves d’expansion. Car au départ, Hoover n’a pas que des amis. Certains voient clair dans son jeu, comme cette scène devant une commission où un sénateur lui reproche de travestir les faits, pour passer pour un héros, dont les exploits sont racontés en bande dessinées. Les G-MEN, des Comics que dévorent les gamins, à la gloire des flics, du FBI et de Hoover. "Quelles sont vos compétences à diriger ce nouveau service ? Est-ce vraiment vous qui avait arrêté John Dillinger ?" lui demande-t-on... J Edgar Hoover est obnubilé par le succès. On le voit aller au cinéma, voir justement G-MEN avec James Cagney, mais aussi, en 1931, on le voit regarder L’ENNEMI PUBLIC de Wellman, avec encore James Cagney. Ce que raconte le film d’Eastwood aussi, c’est ce dont  vous parlais à propos des Films Noirs - - - cliquez ici - - -. Le public adoraient les gangsters, qui étaient donc plus difficiles à battre que les bolchéviques 10 ans plus tôt. Mais pour Hoover, il y a aussi une autre raison derrière tout cela, un facteur psychanalytique majeur : sa mère.

Là on entre dans la sphère privée du personnage, tout autant grotesque et odieux. Hoover fait la fierté de sa mère, une femme autoritaire et exigeante. Toute l’ambigüité du personnage est très intelligemment montrée. C’est la rencontre de Hoover avec un agent, son futur bras droit, Clyde Tolson. Entre les deux hommes, du respect, puis de l’amitié, puis de l’amour, puisque (c’est la thèse du film) les deux hommes auraient été amants pendant 40 ans, alors que Hoover à passer son temps à pourchasser, et dénoncer l’homosexualité. Eastwood amène très bien ce versant de l’histoire, avec de courts plans, des mains qui se frôlent, des diners de plus en plus fréquents, jusqu’à ce col de veston qu’on remet en place, chez l’autre, un geste d'un naturel évident sur l'instant, et pourtant, totalement incongru dans le contexte. Cela nous rappelle une même scène dans SUR LA ROUTE DE MADISON, quand Meryl Streep remet le col de chemise d’Eastwood alors qu’elle parle en même temps à son mari au téléphone, dans la cuisine. Tiens d’ailleurs il y a un autre clin d’œil, puisque lors d’une scène dans un club de jazz, le contrebassiste sur scène, entrevu 2 secondes, est Kyle Eastwood… La scène du diner dans un club avec l'actrice Ginger Rodgers est assez évocatrice de sa relation aux femmes. La seule qu’il ait demandée en mariage, et qui a refusé, est devenue sa secrétaire et sa confidente pendant 50 ans. D'ailleurs, au chapitre des critiques, j'aurais souhaitais avoir le point de vue de Helen Gandy sur Hoover, le personnage de Naomie Watts reste je trouve trop en retrait. Hoover se voit donc épouser Ginger Rodgers ! Clyde Tolson ne l’entend pas ainsi, et s’en suit une des scènes les plus fortes du film, la dispute entre Hoover et Tolson, où ce dernier pique une crise de jalousie violente. Autre moment intense, lorsque Hoover enfile la robe de sa mère, décédée, montrant à quel point il s’identifier à son modèle. A la fin du film, Clyde Tolson, qui a eu en main le manuscrit de Hoover, lui dit son écœurement face à tous ses mensonges, qu'il énumère. Nous ne sommes pas dans un simple biopic, mais dans une réflexion sur ce qui relève du mythe, de la vérité, de l'information, du mensonge.
C'est Léonardo Di Caprio qui interprète Hoover, il est excellent, tour à tour jeune coq avide de célébrité, et vieillard acariâtre pétri de mauvaises certitudes, et drogué par son médecin. La bonne moitié du récit se déroule à la fin de la vie de Hoover lorsqu’il dicte ses mémoires. Di Caprio est donc vieilli, grimé, et le résultat est assez bluffant. Seul petit hic, sans doute, la voix qui reste encore juvénile malgré les années. A ces côtés Armie Hammer (Clyde Tolson) que l’on avait vu dans SOCIAL NETWORK - - - cliquez ici vers le film de Fincher - - -, Naomie Watts (Hélène Gandy, la fidèle secrétaire) et Judi Dench (la mère d’Hoover, et aussi la Q. des James Bond actuels). Eastwood réalise un film dense, au montage savant, d’incessants flash-back, toujours cette idée d’écouter Hoover et d’illustrer ou réfuter le propos dans les images qui suivent. La mise en scène est sans doute moins inspirée qu'à l'ordinaire (Eastwood tourne très vite, peu de répétitions, peu de prises), certaines séquences sont, je trouve, montées à la serpe, mais dans l’ensemble, le rythme est soutenu, et le film même passionnant à de nombreuses reprises. Mais bon, vous remarquez qu’on dit toujours d’un Eastwood qu’il est un p’tit peu longuet (ses films font souvent 2h10 ou 15), mais quand on cherche à savoir quelle scène, quel plan, était effectivement trop long… on n’en trouve pas !  C’est la petite musique Eastwood, son truc à lui, comme Scorsese ou Woody Allen en ont aussi.
Ce film n’est pas à la gloire de Hoover, et si on veut avoir l’histoire vue par le trou de serrure d’une porte de chiotte, il faut se reporter sur les bouquins de James Ellroy. Eastwood est un homme digne, qui n’a pas besoin de montrer le côté répugnant du personnage. Les allusions suffisent, même si on aurait aimé retrouver à l’écran la haine de Hoover pour les homosexuels, des juifs, les noirs… Bien que sa haine, son dégoût et sa peur de Martin Luther King soit illustrée, montrant Hoover se délecter des écoutes faites pendant que le leader des Droits civiques sautait sa maîtresse... De même, Hoover n'aurait pas mené une guerre très enthousiaste contre la Mafia, car celle-ci possédait aussi des dossiers, sur Hoover et ses moeurs douteuses... Un aspect historiquement difficilement vérifiable, et passé sous silence dans le film, comme ses liens avec le Ku Klux Klan. Non pas qu'Eastwood ait jeté un voile pudique sur ces aspects, mais il semble bien que l'angle du film soit la vie privée de Hoover, sa relation aux femmes, aux hommes, et comment il s'est forgé une image médiatique, très différente de la réalité. De ce point de vue, le film est une totale réussite. 








J. EDGAR (2012) 
Production, musique et réalisation : Clint Eastwood
Scénario : Dustin Lance Black
Photo : Tom Stern
Montage  : Joel Cox

Couleur  -  2h15  -  format scope 2:35

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