vendredi 13 avril 2012

"HOUND DOG" de Leiber & Stoller (2011) par Luc B.



Dès que j’ai vu ce bouquin, hop, in the pocket ! Une autobiographie de Jerry Leiber et Mike Stoller, le fameux duo auteur-compositeur des années 50’s, immortels créateurs de « Hound Dog », « Kansas City », « Stand by me », « Jailhouse rock »… Enfin la vérité sur Elvis en studio ! Sauf que… la photo de couverture est un brin trompeuse. C’est leurs vies à eux, dont il est question, et pas une auto-célébration du King, je le précise de suite. Et même, les passages concernant Presley ne sont pas frappés d'un enthousiasme délirant...  

Ce n’est pas non plus un livre uniquement d’anecdotes, bourrés de détails trash, comme dans les mémoires des « rockers », car nous avons affaire à deux messieurs bien élevés. Ce qui ne veut pas dire des petits saints, le livre contient son lot de péripéties, comme cette bagarre avec le garde du corps de Norman Mailer, puis avec l’écrivain lui-même, les soirées arrosées, les p’tites comédiennes pulpeuses… Ces deux-là ont bien rempli leur vie !

HOUND DOG est un livre aussi modeste que ces auteurs sont légendaires. Simplicité est le fil rouge de leur histoire. Les faits, rien que les faits. Chronologiquement. Et à deux voix. De courts paragraphes (parfois une page ou deux), chacun écrit à la première personne, alternativement de Stoller et de Leiber. Cela permet de confronter les points de vues, de répondre, et c'est vivant, comme si on suivait une discussion. Et enfin, cela évite le côté romancé des choses, les bios qui se veulent "littéraires", mais qui sont pénibles à avaler. Un bon point, d’autant qu’avec un auteur de chanson, on aurait pu craindre une poussée d’égo, à ce prendre pour un écrivain !

Alors mettons les choses au clair : Jerry Leiber c’est le parolier, et Mike Stoller c’est le compositeur. Et ces deux-là vont se rencontrer à Los Angeles. Tous les deux, pour des raisons familiales, vont se retrouver sur la côte Ouest, à la Mecque du cinéma et du Be Bop. Jerry Leiber, lui, a eu la révélation en entendant Jimmy Witherspoon chanter « Ain’t nobody’s buisness » à la radio, vers 8 ans, et Stoller avait le même âge quand en colo de vacances, il a surpris un jeune gamin noir taper le boogie sur un piano, dans une vieille grange. Stoller bénit ses parents, ancrés politiquement très à gauche, de l'avoir placé dans une colo mixte, pour les enfants blancs et les enfants noirs. Ce qui devait être rare à l'époque... Une fois à L.A. ils trainent leurs savates partout, Leiber étant attiré par les planches, le cinéma, traquant Cécil B. DeMille pour se faire embaucher comme acteur, ou danseur, ou batteur…  Mike Stoller, lui, écume les clubs de jazz, Monk, Davis, Roach, Gillespie, Parker… Mais il étudie aussi la musique classique, la composition.

Big Mama Thornton... pas commande apparemment !
Dans un magasin de disques, Jerry Leiber a sa seconde révélation avec « Boogie Chillem » de John Lee Hoocker.  Le type à la caisse, fringué comme un prince, s’appelle Lester Still, et Leiber lui chante quelques chansons qu’il a écrites. L’autre dit : pas mal, envoie-moi la partition, je connais du monde Leiber rétorque : je ne sais pas écrire la musique. Still de conclure : alors trouve quelqu’un qui sait. Par un réseau de connaissance, Leiber sonne un jour chez Mike Stoller : bonjour, je suis Jerry, j’écris des chansons et je cherche un compositeur. Mike le fait entrer, s'installe à son piano, au dessus duquel trône une photo de Gershiwn. Faut dire que sa maman avait une liaison le célèbre compositeur. Leiber chante, et l'autre s'exclame : c’est un blues ! Tu connais, tu aimes ça ?  Nous sommes en 1950. Ils ont 17 ans. Ils ne se quitteront plus. Reste à se faire connaître. Pour ça, avec l'aide de Lester Still qui restera ami et associé, ils démarchent les maisons de disques, vendent leur camelote, y vont direct, genre j'ai justement la chanson qu'il faut, je vais la chercher... Et en fait, ils partaient la composer, en 10 minutes !

Là où le bouquin est formidable, et c’est toujours ce que j’attends d’une autobiographie, c’est l’exposition du contexte, comment l’expérience de deux types vont nous éclairer sur la petite histoire. Comment fonctionne un couple de créateurs, mais aussi producteurs et éditeurs de chansons. Comment fonctionne le métier. Ils nous racontent bien toutes ces boites de production, les contrats, les exclusivités, les droits d’auteur. On y croise plein de monde (Gershwin, James Dean, Mort Shuman, Doc Pomus, Marlène Dietritch, Edith Piaf, "L'homme à la moto" c'est eux !) et on ressent le peu de frontières qu’il y a entre le monde du rock, du blues, de jazz, de la chanson. Exemple frappant avec, en 1972, la production du dernier disque de T Bone Walker, le grand bluesman. Leiber et Stoller réunissent pour lui, en studio, une pléiade de musiciens, dont Dizzy Gillespie, Gerry Mulligan (qui prend le solo sur "Stormy Monday") ou James Booker. L’époque est bien rendue, l’ébullition artistique, l’aspect très amateur des choses, artisanale, autant que les montages financiers qui se cachent derrière un tube.

De la part de Leiber et Stoller, il n’y a pas de petites chansonnettes ou de grande œuvre. Il y a des chansons qu'ils essaient de faire le mieux possible, d'en tirer tout le potentiel. Et il y a des tubes, et des déceptions. Il y a surtout un amour immodéré du blues, socle fondateur de leur duo. Ces deux blancs composaient comme des noirs. Les textes étaient bourrés de sous-entendus sexuels. Ils ont commencé très tôt, à 17 ans ils faisaient leur premier succès avec « Hard times » chanté par Charles Brown, ils comprenaient ce que voulait la jeunesse, tout en étant de fins connaisseurs de la musique, et du rhythm’n’blues en particulier. Leurs chansons seront nourries de Boogie, mais aussi de Doo Wop, de Jazz, de Bossa, et plus tard avec la scansion de certains couplets, des parties parlées, jouées, des dialogues, ils sont presque les inventeurs du rap !

Mais surtout, l'apport du duo s'exprime sur la production. Le terme n'existe pas encore. La fonction non plus d'ailleurs. Mais quand en 1953, ils enregistrent "Hound Dog" avec Big Mama Thornton, c'est le grand Johnny Otis qui doit superviser les séances (relire l'hommage à Johnny Otis signé Rockin'JL). Sauf que le batteur de la session n'étant pas à la hauteur, Stoller demande à Otis de prendre les baguettes. Qui va superviser les choses en cabine ? Pas vous ? Z'avez juste 20 ans ! Mais si, répondent les auteurs, on a écrit la chanson, qui d'autre sait mieux comment la chanter ! Leiber et Stoller réalisaient donc leurs disques, eux mêmes, chose que les auteurs ne faisaient pas à l'époque. C'était la charge des directeurs artistiques, mais qui la plupart du temps n'étaient pas musiciens. Leiber et Stoller vont donc construire les morceaux, les arranger, décider du mixage, quoi mettre en avant comme instruments, rajouter des cordes, des cuivres, et comment chanter le texte. Même quand plus tard, ils dirigent leur propre label, avec des auteurs maison, c'est eux qui sont aux commandes à la régie. Et ça c'est nouveau, et ça, ça épate des gens comme Ray Charles, Issac Hayes, qui comprennent que ces deux juifs-blancs en savent plus long qu'eux sur la musique noire ! Et puis le duo a eu l'heureuse idée, au creux de la vague, de racheter leur propre catalogue, éparpillé un peu partout. Jackpot et vieux jours assurés !

The Coasters
Ils s’embarquent dans l’aventure Atlantic Records avec Jerry Wexler, un panier de crabes innommable !  Il y a donc la rencontre avec Big mama Thornton, et la création de « Hound Dog »  qui se vend par millions, et la reprise de la chanson par Presley. Que les créateurs n’aimaient pas trop, le texte avait été édulcoré. Mais cela leur permet de rencontrer Elvis Presley, avec lequel ils s’entendent bien (point commun des trois ? L’amour du blues), le problème vient surtout du Colonel Parker, l’imprésario, et le fait qu’Elvis soit chez RCA. En tout cas, ça rapporte ! Stoller fait même le figurant dans le film JAILHOUSE ROCK. Leur parcours créatif est sans cesse en expansion ! Leur inspiration intacte, ils travaillent autrement, ils osent des arrangements exotiques, amènent le sax ténor sur le devant, prennent au folk, au blues ou au classique, ils utilisent les percussions, superposent les prises, autant d’idées que leur piquera Phil Spector, qui débutera avec eux (qui s’impose quasiment comme stagiaire !) avant de se tirer en douce. Des démêlés avec Spector sont gratinés ! Il a atterri chez Atlantic, mais ses auteurs restaient sous contrat chez Leiber et Stoller. Et il ne s’est jamais acquitté de ses droits, s’est mis à son compte en évinçant son associé, le pauvre Lester Still !

Et puis toujours les tractations financières, les histoires de contrats, de label, les associés louches, la mafia qui s’emmêle, les escroqueries de Wexler, et des rencontres, avec les Costers, les Drifters, qui aligneront des tubes, avec Peggy Lee. Et aussi, un peu, la vie privé des deux auteurs, qui parlent ouvertement et sans pudeur, de leurs situations sentimentales, leurs mariages ratés, leurs amours clandestins, qui virent parfois tragiques, quand Leiber ne fait racketter par deux putes, et que cela se termine en accident de voiture avec un mort. Évidemment, les années 70 et 80 sont moins euphoriques, le disco passe par là, mais on les retrouve à la production de Stealers Wheel avec Gerry Rafferty, et le tube "Stuck in the middle with you". Et leur idole Franck Sinatra enregistre enfin une de leur chanson ! Et puis beaucoup de projets de comédie musicales, avortées, pour cause de problème d'égo entre auteurs des chansons et des livrets.

HOUND DOG est un bouquin très agréable à lire, on y apprend plein de choses, on découvre ces deux légendes, leur incroyable longévité, tant sur le plan amical qu'artistique. C'est un livre gentil, au sens où le but n'est pas de débiner qui que se soit, on sent Leiber et Stoller tellement heureux, et fier, d'avoir tant travailler, pour des gens talentueux et célèbres, qu'ils nagent encore dans leur bonheur. Les derniers mots de Jerry Leiber sont les suivants : "si mon médecin m'annonce que je n'ai qu'un mois à vivre, j'irai m'acheter une bouteille de bourbon Maker's Mark, une cartouche de Camel, autant de disques de Billie Holliday que possible, et je prendrai mon pied avec". Je lui souhaite d'avoir réaliser son vœu, il est mort le 22 août 2011. Il avait 78 ans. Mike Stoller, même âge, est toujours en vie.

HOUND DOG édité par Autour du Livre, Documents Rock, 300 pages, co-écrit avec David Ritz 

Une émission de télé (genre l'Académie des 9 !!!) où on reconnaitra l'acteur Vincent Price. Les participants doivent trouver le métier des invités... Leiber, le pianiste, est celui qui a un début de calvitie... Désolé, pas de sous titre, mais essayer d'écouter ce qui se dit vers la fin, comme s'il était incongru qu'on puisse composer du rock ou du blues ! Un document étonnant ! Imaginez Slayer sur le canapé rouge de Drucker... Ensuite, Big Mama Thornton chante "Hound Dog", avec Pete Lewis à la guitare, et Johnny Otis à la batterie.

 

2 commentaires:

  1. C'est comme une biographie de plusieurs stars? Je pense que je ne vais pas aimer ce livre. Je n'aime pas vraiment les biographies, sauf quand il s'agit de personnalités politiques, et que je connais.

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  2. C'est un livre sur le parcours créatif de deux personnes (relativement peu connues du grand public) mais qui ont croisé (et fabriqué) beaucoup de stars ! Ce livre est particulièrement intéressant dans la description du métier d'arrangeur producteur, et le business de la musique de ces années-là.

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