vendredi 4 mai 2012

PUNCH DRUNK LOVE de Paul Thomas Anderson (2002) par Luc B.


J’adore ce film ! Il m’avait totalement emballé à sa sortie en 2002, mais curieusement, dans mon entourage, il laisse plutôt indifférent. Enfin non, au contraire. Le film déconcerte. Sur le papier, ce n’est ni plus ni moins qu’une comédie romantique, mais la manière de raconter l’histoire est aux antipodes du genre (cf QUAND HARRY RENCONTRE SALLY chroniqué dernièrement : Cliquez pour relire l'article de Foxy Lady).


Revenons rapidement sur son réalisateur, Paul Thomas Anderson, plus souvent appelé PTA.
Né en 1970, il réalise des courts métrages à partir de 18 ans. En 1996 il sort HARD EIGHT, passé assez inaperçu, et on le remarque l’année suivante avec BOOGIE NIGHTS. Confirmation d’un talent deux ans plus tard avec MAGNOLIA qui séduit le public. Et déjà Paul Thomas Anderson a une réputation de réalisateur maniéré, qui lorgne du côté de chez Scorsese, et Robert Atlman. On crie au génie, ou à l’esbroufe, voire au plagiat. Il y a du Kubrick aussi chez PTA, dans la manière d’utiliser la musique, et surtout dans son intransigeance, son perfectionnisme, et le contrôle absolu sur son œuvre, qui le met systématiquement en porte à faux avec les studios américains. Autre point commun avec le réalisateur de 2OO1, le fait de changer de genre à chaque fois, de surprendre, et de préparer ses films pendant des années avant de les tourner. En 2002, PUCH DRUNK LOVE reçoit le prix de la mise en scène à Cannes, mais le public ne le suit pas. En 2007, c’est le chef d’œuvre absolu THERE WILL BE BLOOD qui sort sur les écrans, et qui partage encore une fois les suffrages. Et on annonce pour cette année THE MASTER.


PUNCH DRUNK LOVE met en scène Barry Egan, qui travaille dans un entrepôt de vente directe (en promo des ventouses à chiottes incassables !). Barry a sept sœurs - le réalisateur en a quatre, plus des demi sœurs - qui le maternent jusqu’à la nausée. Barry ne va pas bien, frise la dépression, et derrière sa gentillesse apparente peuvent surgir des excès de rage incroyables. Deux évènements vont le perturber davantage. Un soir, il appelle une messagerie rose, s’assure de la confidentialité de l’appel et discute platoniquement avec Georgia, lui déballe sa vie. Le lendemain, Georgia le rappelle, lui réclame de l’argent, et le cauchemar commence… En parallèle, Barry rencontre Lena, dont il tombe amoureux. Barry va devoir maîtriser ses pulsions, s’il veut enfin avoir une vie sentimentale…

Ce film est une suite de fulgurances de mise en scène. Ça commence dans le registre de l’étrange, avec de longs plans et ce type en costume bleu, au téléphone. C'est Barry Egan. Il est où ? Dans un garage ? Et cette lumière rosée du crépuscule qui précède l'aube, cette route quasi déserte, et paf ! Accident de voiture, camionnette de coursier, et cet harmonium déposé-là, apparition suspecte, qui stresse totalement Barry. Regardez les cadres, harmonium+Barry+silence, la route encore déserte, comme dans BIP BIP et le Coyotte, rien à droit, rien à gauche, et... VRAOUMMMMM le 40 tonnes qui surgit ! Puis Lena arrive, remarquez la lumière rasante du matin. Pendant tout le film, PT Anderson va jouer avec cette lumière naturelle, très présente, qui ponctuent les moments de la journée. On se dit, ce film est un ovni ?! Cette mise en bouche  pourrait rappeler le prologue de 2OO1. Puis il y a une soirée chez ses sœurs, où pris d’une rage folle, Barry casse trois baies vitrées à coup de pieds. Là, Barry commence à nous inquiéter, on ne sait pas s’il joue la comédie ou s’il est malade. Le ton change encore avec une scène hallucinante, totalement stressante pour Barry et pour le spectateur. Dans son entrepôt, il reçoit la visite d’une de ses sœurs, accompagnée de Lena, alors qu’en même temps, Georgia le harcèle et le menace par téléphone, et qu’un charriot dans l’entrepôt a un accident. Cela est trop pour un seul homme. Comment gérer tout ça en même temps. Paul Thomas Anderson, en plus, mixe sa musique très forte, au-dessus des dialogues, une musique contemporaine, à base de percussions, le spectateur est pris de vertige. Barry va devoir gérer toutes ses situations. Se montrer déterminé et violent envers ses maitres-chanteurs (une spirale infernale et flippante à souhait) et se montrer doux et équilibré pour séduire Lena, que l’on sent fragile, elle aussi dans un monde un peu à part.     

PT Anderson jongle avec les scènes burlesques, romantiques ou angoissantes. Exemple, après leur premier dîner, Lena rappelle Barry et lui dit juste : « Ce soir, sache que j’ai eu très envie de t’embrasser ». Barry raccroche, sort de chez lui en trombe, descend les escaliers quatre à quatre, court à l’appartement de Lena, sonne, elle ouvre : ils s’embrassent !  Les amateurs auront reconnu une citation tirée de chez Buster Keaton. Il y a aussi cette scène à Hawaï, Barry dans la rue, en plein carnaval, qui appelle d’un téléphone public Lena, qui est dans un hôtel. Barry est filmé de loin, perdu dans la foule, avec les premiers plans flous. Vacarme, les passants, la fête, l’opératrice se trompe de n° de chambre, Barry insiste, recommence, tombe enfin sur Lena, et quand elle décroche, une lumière s'allume dans la cabine... comme les lampadaires des rues. C'est peut-être rien comme idée, mais quand on la remarque (sans doute pas à la première vision) alors là, on jubile ! Jouissif ! Voilà comment un artifice visuel en dit plus long que trois lignes de dialogues. Désolé, mais moi, ce genre de trucs, ça me bouleverse ! Et bien sûr, citons les retrouvailles à Hawaï, Barry court vers sa belle, la main tendue (!) et l’étreinte filmée en contrejour sous le hall de l’hôtel. Au registre plus dramatique, il y a une course poursuite, Barry étant pourchassé par les frères de Georgia. L’angoisse nait des bruits off du moteur de la bagnole qui le poursuit. Là encore, cette musique ultra présente, flippante (signé Jon Brion), les ombres déformées, les rues désertes. Encore une fois, est-ce réel, ou une crise de paranoïa ? La fin prend des accents de Film Noir, le héros, amoureux, plus fort et intrépide, décide de ne plus se laisser impressionner. Ah la scène de la baston ! Son face à face avec le boss de Georgia, joué par le génial Philp Seymour Hoffman
La maîtrise de la mise en scène est vraiment impressionnante. En fait, les cadres et mouvements de caméra sont très précis, stricts, quasi géométriques. Mais ce qui se passe dans ces cadres est totalement foutraque ! Cela retranscrit parfaitement le problème de Barry, soigné, droit, strict dans son costume bleu, mais à l’intérieur, un type déboussolé, au bord de la rupture. Rarement j'ai vu le stress, les conflits intérieurs aussi bien rendus sur un écran. Les émotions deviennent quasi palpables. On regarde Barry comme un enfant, on en a presque pitié, avec son grand projet de collectionner les miles sur des boites de pudding (la rafle dans les supermarchés !). PT Anderson use des focales courtes, grand angle, pour donner une profondeur de champ abyssale, pour perdre son personnage dans l’espace. Il multiplie les plans de couloirs, profonds, silencieux, un univers qui renvoie au PLAYTIME de Jacques Tati. Barry est un lunaire, comme Monsieur Hulot, et comme Buster Keaton, un masque impénétrable, et la psyché d’un gosse. Cela vire parfois au surréalisme, avec cet harmonium que Barry trimbale à travers la ville, à la fin.

Ce film m’enchante littéralement. Il peut déconcerter parce qu’il n’use pas des codes habituels. A l’image de ce dialogue après une nuit d’amour entre Barry et Lena : j’aime ton visage, je voudrais le presser, l’écraser dans un étau, le démolir à coup de marteau. Moi j’aime ta peau, tes joues, je voudrais les déchirer, les manger, les griffer au sang… et tes yeux, les arracher, les sucer, les croquer…  Romantique, non ? Totalement barje, oui ! PUNCH DRUNK LOVE est un film fou, déjanté, décalé, poétique, inhabituel et à mon sens génial, novateur, dominé par l’interprétation d’Adam Sandler, parfait dans le rôle, comme Emily Watson dans celui de Lena, ou encore le fidèle Philip Seymour Hoffman, et le toujours excellent Luiz Guzman. Paul Thomas Anderson est pour moi un des deux ou trois cinéastes les plus passionnants de ces 20 dernières années. Un film à savourer concentré, dans un univers silencieux, parce que beaucoup de choses se jouent sur la bande son, des bruitages à la musique, aux tons de voix.  

La bande annonce : 

PUNCH DRUNK LOVE (2002)
écrit, produit et réalisé par Paul Thomas Anderson
Couleur  -  1h35  -  scope 2:35






Ceci est une scène coupée, un gag improbable. Philip Seymour Hoffman fait une pub affligeante pour son magasin, et...  C'est pathétique, mais je ne m'en lasse pas !

5 commentaires:

  1. Super ! J'avais vu ce film comme ça... mais personne autour de moi n'était d'accord. Ils voyaient tous, eux, une banale comédie américaine. Merci :D

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  2. Merci du passage Tina, et oui, ce n'est pas une "banale" comédie, elle peut dérouter. Plus j'y repense, et plus je me dis : c'est fou comme le héros de ce film va mal ! Pauvre type, c'est triste...

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  3. laurence4/5/12 18:06

    c'est sans doute le seul film où Adam Sandler est intéressant, en tout cas dans ceux que j'ai vus.
    Un réel sacré film

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  4. aahh Boogie Nights, basé sur la vie de John "30cm" Holmes ....(c'était "le coin du cinéphile"..)

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  5. à Laurence : et ce film hilarant, en VF "attention à vos cheveux" (???) où il jouait un espion du Mossad apprenti coiffeur ? Totalement débile et à se pisser au froc !!!

    à Rockin' : Boogie Nights... ça m'aurait étonné que tu ne le connaisses pas celui-là... (PS : Quand Marc Whalberg montre sa bite, c'est une prothèse... désolé les filles !!!)

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