lundi 23 juillet 2012

L'ETE EN PENTE DOUCE - Gérard Krawczyk (1987) - par Sonia de Guéméné


Les chroniqueurs du deblocnot sont tous partis en vacances, laissant le pauv' msieur Rockin assurer à lui seul la continuité des parutions. Pas question d'abandonner nos fidèles lecteurs à la torpeur de cet été caniculaire, sans leur avoir servi chaque matin, une chronique fraiche ! J'ai donc décidé d'annuler ma semaine de vacances afin de seconder M'sieur Rockin' dans cette lourde tâche. Faut dire que j'avais un peu peur qu'il oublie d'arroser la plante verte, et puis, pour être tout à fait franche avec vous, j'dois avouer que je m' faisais un plaisir de passer ces quelques jours en tête à tête avec lui, il est tellement gentil M'sieur Rockin.
Aussi, je vous laisse imaginer ma surprise (et ma déception.. !) à la lecture du SMS reçu hier soir : 
Cas de force majeure, impossible de me rendre au bureau. Je vous expliquerai. Sonia mon p'tit, je compte sur vous pour assurer la chronique de demain.
Signé Rockin. 
Assurer la chronique de demain, en v'la une histoire ! J'ai jamais fait ça moi !! Des chroniques, j'en ai bien tapé des centaines, (même que M'sieur Claude prétend que j'comprends rien à ce que je tape !) mais de là à en écrire une, moi, Sonia, la pt'ite secrétaire tout juste capable de répondre au téléphone et servir le café ! (Mais toujours prête à rendre service...)
Alors je suis allée fouiller dans le bureau de M'sieur Rockin à la recherche d'une idée et je suis tombée sur le DVD de L'ÉTÉ EN PENTE DOUCE. L'histoire d'un mec un peu paumé qui, à la mort de sa mère, plaque son boulot au supermarché d'une citée minable pour s'installer avec sa toute nouvelle copine, et son frère un peu débile, dans la maison familiale au cœur d'un village écrasé sous un soleil de plomb.
Dit comme ça, ça a l'air de rien, faudrait que j'trouve d'autres mots, que j'fasse des belles phrases (comme M'sieur Rockin) et que j'ajoute des détails savants (comme m'sieur Claude) mais j'ai jamais fait ça moi !
Allez, j'me lance ! J'vais faire comme si j'tapais une chronique écrite par M'sieur Rockin, sauf qu'il aurait oublié de me passer le texte !

L'été en pente douce de Gérard Krawczyk



A première vue le scénario n'a rien d'exceptionnel, mais cette adaptation du roman de Pierre Pelot, sorti en 1980 aux éditions Kesserling (et oui M'sieur Claude, moi aussi j'ai Wikipédia !) ne manque pas d'atouts. À commencer par la présence (et la plastique) de Pauline Lafont qui se glisse avec un naturel confondant dans la peau, souvent dénudée, (j'suis sûre que celle-là, il ne l'aurait pas ratée M'sieur Rockin...) de Lilas, femme enfant troublante et provocante, dont l'apparition inattendue, va semer le trouble au village. Un des derniers rôles de Pauline, fille de la comédienne Bernadette Lafont (et du sculpteur hongrois Diourka Medveczky), et qui disparaitra dans des conditions tragiques un an après la sortie du film.
Unique personnage féminin, elle partage l'affiche avec un Jean Pierre Bacri, (Fane) très convaincant dans son rôle d'écorché vif râleur et un Jaques Villeret (Mo) époustouflant en idiot du village, terrorisé par les gens du "dehors". Puis viennent Guy Marchand (André Voke) plus vrai que nature dans un rôle de petit séducteur de province à la fausse voiture de sport, Jean Bouise (Olivier Voke) toujours aussi laconique, et les apparitions de Dominique Besnéard (dans le rôle du notaire véreux, vendu à la cause des frères Voke), Patrick Braoudé (un gendarme) et Claude Chabrol (en curé pas très charitable).
Pas la moindre erreur de casting, Gérard Krawczik a disposé tous les protagonistes à leur place exacte sur l'inexorable pente douce qui les mènera à.... Mais un peu de patience, commençons par le début. Fait chaud, Très chaud !! Sonia mon p'tit, apportez moi une bière. Bien fraîche. Allez, plus vite que ça ! (ah j'suis sûre qu'il aurait dit ça m'sieur Rockin !)
Et oui, il fait chaud ! Très chaud ! Cet été, en pente douce, c'est d'abord un été caniculaire. Un soleil implacable, remarquablement restitué par la lumière dorée dans laquelle baigne le film. Une ambiance étouffante, sans un brin d'air si ce n'est, de loin en loin, le souffle chaud et langoureux d'un harmonica. Superbe.
- Sonia mon p'tit !
- Tout de suite m'sieur rockin, bien fraîche...
Fane, qui a échangé Lilas contre un lapin et une caisse de bière (!!) afin de la soustraire à la brutalité d'un voisin de palier, débarque, accompagné de sa toute nouvelle compagne, dans son village natal à l'occasion du décès de sa mère. La vielle bagnole s'arrête devant la façade ocre d'une bâtisse étranglée entre deux garages. "C'est ta maison Fane ?... Je ne savais pas que c'était une vraie maison ! ...je n'ai jamais eu de maison". Lilas, moulée dans un léger bout de chiffon rose, débarque sous le regard stupéfait des quelques villageois réunis là pour l'enterrement. Assis devant la maison, Mo refuse de se rendre à l'église sans son chien et supplie "pas l'hôpital Fane, hein, pas l'hpital".
Alors c''est décidé, ils vont s'installer là, dans la maison de la mère : "on sera bien là tous les trois, on se nourrira avec ta pension et la mienne, pas vrai Mo ?"
Ecrasés de chaleur, nos trois paumés se débattent, en séchant des bouteilles de bière tiède, pour organiser un présent dans lequel chacun doit trouver sa place, et surtout s'inventer un avenir, une vie simple et heureuse. Mo, (qu'a des cases emmêlées) prêt à tout pour ne pas aller à l'hôpital, Fane (ce vaurien), aura enfin le temps d'écrire un livre : "ça fait des années que j'en lis, n'importe qui aurait pu les écrire" et Lilas, ("une gentille fille qu'à pas eu de chance") qui rêve de fonder une famille. Un huis clos étouffant, dans lequel les esprits s'échauffent, et où l'orage risque d'éclater à chaque instant, sous les accès de colère de Fane, qui distribue les rôles.
Et dehors, il y a les autres, qui parlent, qui épient, qui imaginent. A commencer par André voke, (une belle tête de vainqueur) qui lorgne sur la maison, et pas seulement sur la maison. Parce qu'il a vu Lilas, et qu'il ne s'en remet pas : "d'où elle vient celle-là ? C'est quasiment impossible qu'il ait dégoté une fille comme ça". J'suis sûr que c'est une pute !
Et puis, il a vu des choses aussi, le Voke, des choses qu'il n'aurait pas dû voir. Parce qu'il s'en passe des choses, "y a pas de mal à ça, c'est la nature", derrière les volets clos, dans la pénombre moite et poisseuse. Des choses filmées avec pudeur et simplicité, un regard tendre et complaisant, dans une belle lumière, une ambiance indéfinissable, un harmonica qui vous prend aux tripes et des dialogues qui font mouche. Des choses que je ne vous raconterai pas, des choses que je vous laisse découvrir, si l'envie vous prend de vous aventurer sur cette pente douce, par une belle journée d'été.

- Sonia mon petit !
- tout de suite de suite M'sieur Rockin, bien fraîche !

 Un livre vs un film

Il n'est pas rare d'être déçu par un film quand on a lu le livre, mais dans le cas précis, pour moi, ce fut plutôt l'inverse. Gérard Krawcik a merveilleusement réussi à restituer l'ambiance si particulière de l'œuvre de Pierre Pelot, il a su garder l'essentiel du roman en le débarrassant d'un certain excès de détails glauques (et même vulgaires) qui à mon sens le rendaient quelque peu lourd, malgré des passages superbes et une écriture vivante. Les dialogues du film (excellents) sont fidèles à ceux du livre, mais partiellement dégraissés, ce qui les rends plus percutants. Ni le livre ni le film ne font dans la dentelle.
Pierre Pelot signe un roman noir qui ne laisse aucune chance à ses personnages. La pente, si douce soit elle, n'en n'est pas moins vertigineuse, et poursuit sa trajectoire avinée jusqu'à l'explosion finale, inévitable, sordide.
On entre vite dans le vif du sujet. En deux chapitres rythmés par une écriture nerveuse, phrases courtes, entrecoupées de longues descriptions minutieuses et colorées, Pelot, par le biais d'un narrateur, a incorporé tous les ingrédients du roman : description et caractéristiques des personnages principaux, mise en place du décors, des circonstances, et des deux paramètres essentiels, indissociables l'un de l'autre, à savoir la chaleur, et la boisson (alcoolisée, bien sûr!) : "par cette chaleur, on boit sans y prendre garde et il est trop tard avant même de songer à se ralentir un peu".
Il est six heures du soir, un vendredi du mois d'Aout, l'histoire peut  commencer. Deux journées caniculaires nous séparent du dénouement. Les moindres faits et gestes des protagonistes du drame vont nous être minutieusement relatés. La pente est d'abord douce, transformant le lecteur amusé en voyeur, mais l'atmosphère devient de plus en plus lourde, la tension monte avec le degré d'alcool et la pente se durcit, Le lecteur impuissant devient le  témoin horrifié du drame inéluctable qui s'annonce : "Le soleil était tout jaune dans les herbes roussies. Des garages, s'élevaient des coups de marteau  sur un quelconque métal. Des odeurs de goudron chaud, de poussières et d'essence,  planaient. Des odeurs de vase également. Des odeurs d'été en pente douce; chaque jour d'avantage, vers cet orage qui ne manquerait pas d'éclater et qui briserait tous les carcans de moiteurs, de sueurs, de chaleurs-qui briserait le ciel  bleu, trop lourd, beaucoup trop bleu et trop lourd, posé sur les montagnes rondes, tendu à craquer."
Pauvre Lilas, pauvre Mo !
Gérard Krawzic porte un regard moins sévère sur cet improbable trio. Se serait-il laissé attendrir par la blondeur angélique de Lilas (qui est brune, dans le roman), au point de vouloir lui offrir une seconde chance ? Toujours est-il qu'il a la bonne idée de tracer une jolie courbe, au beau milieu de la pente douce, en s'éloignant de la trajectoire initiale. Ce changement d'orientation débouchera, après quelques méandres, sur un final tout aussi explosif, mais nettement moins tragique. On perd un peu en intensité, mais moi, j'suis d'accord avec Lilas quand elle dit : Ce que les gens aiment, c'est quand ça se termine bien !
- Ah mais M'sieur Claude, ça se fait pas de lire comme au d'sus d'l'épaule des gens ! J'vous ai même pas entendu arriver, zêtes pas partis en vacances ? Mais vous tombez bien. Allez donc me chercher une p'tite bière, bien fraîche, pendant que j'fais tourner la boutique ! Et n'oubliez pas d'arroser la plante verte !!

 Vidéos


L'une des scènes émouvantes du film " c'est la nature..", puis un extrait de la B.O.

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