mercredi 30 janvier 2013

MAGIC SLIM & The Teardrops "Bad Boy" (2012) - by Bibi



     Comme son ami d'enfance, Samuel Maghett, Morris Holt est né à Grenada, dans le Mississippi, et la même année que lui, en 1937 (le 7 août exactement).
Tous deux se lancent dans l'apprentissage de la guitare, et partent ensemble en 1955 pour Chicago. Là-bas, Morris joue d'abord de la basse au sein du groupe de son ami, alors rebaptisé Magic Sam. Ce dernier lui donne le nom de scène de Magic Slim. Aujourd'hui encore, (bien qu'il n'ait plus grand chose de « slim) il est bien plus connu sous ce patronyme que sous son nom de naissance.
Holt joue aussi pour Shakey Jake (l'oncle de Samuel).

Cependant, peut-être par manque de travail et/ou une insuffisance de revenus, il retourne dans le Mississippi. Il ne retrouve la Windy City qu'en 1965.
En 1966, Il grave un premier 45 tours, « Scufflin' », aux accents Rock'n'Roll et aux chorus de guitares évoquant tant Freddy King que Magic Sam (titre que l'on retrouve pile trente ans plus tard sur le disque homonyme sorti sur le label Blind Pig). En 1970, il fonde son groupe, The Teardrops, et son frère, Nick, le rejoint pour y tenir la basse. Nick, en tant que compositeur, écrira quelques belles pièces (1).

Magic Slim encore svelte (certainement aux débuts des 70's)

Inlassablement, ils tournent des années durant sans contrat d'enregistrement, redescendant même dans le Sud, sautant sur la moindre opportunité de jouer. Les frères Holt se retrouvent parfois à jouer dans des juke-joints, des boui-boui, où le groupe doit se serrer pour tenir ensemble sur une estrade exigüe qui tient lieu de scène. Plus tard, les Teardrops deviennent l'orchestre maison du Florence's. Les Teardrops ont la particularité de reprendre à la demande un bon nombre de succès de la musique afro-américaine ; toutefois, ils le font à leur sauce, les transformant en Blues âpre, lourd et chaloupé. Encore maintenant, Magic Slim agrémente ses disques de reprises qu'il fait siennes.

Enfin, après des années de galère, d'efforts, de ténacité et de pugnacité, et grâce à l'intervention d'une française éclairée, Marcelle Morgantini, Magic Slim grave son premier opus, un album live, « Born Under a Bad Sign » (où l'on retrouve les influences de Muddy Waters et de Magic Sam). Ce disque obtenant un certain succès, il enregistre rapidement l'année suivante un second opus dans la foulée, pour le même label. En 1979, c'est Black and Blue (2) qui l'enregistre.
En 1982, il embauche John Primer, guitariste émérite, ce qui permet d'apporter un peu plus de finesse à ce Blues moite, lourd et rugueux. Au bout de treize années de bons et loyaux services, Primer se lance dans une carrière solo. Il est remplacé par un Jake Dawson (Eddie Shaw, Willie Kent) moins subtil.
Après un passage à vide discographique de sept ans, il retrouve les studios avec la signature chez Wolf en 1990.
En 1994, les Teardrops émigre au Nebraska, à Lincoln, où ils deviennent les piliers du « Zoo Bar ». De cette période, le label Wolf en profite pour y capter de bonnes prestations lives.


A partir de 1996, Magic Slim se fait héberger par le Cochon Aveugle.
En 2002, un vieux fan a le plaisir non feint de le produire et de jouer sur quelques pièces. Il s'agit de Popa Chubby, dont la présence sur « Blue Magic » a permis d'éveiller la curiosité d'un public plus jeune.

En 2003, il apparaît dans le film de Marc Levin, « Godfathers and Sons », de la série « The Blues » de Martin Scorsese (deux extraits de concert et une petite interview).

(Depuis quelques années, son fils, Shawn « Lil' Slim » Holt, l'accompagne assez souvent en tournée).


Il faut voir comment ce gaillard électrise son public, en toute humilité, juste par sa voix graveleuse et ses notes, crachées par un ampli en souffrance, qui évoquent à elles-seules autant la moiteur du Mississippi que les clubs enfumés de la Windy City. Autant les marécages que l'huile de vidange. Toujours avec bonne humeur et conviction. Rien de sombre ou de réellement cafardeux. C'est un Blues salvateur, régénérateur, capable de redonner du tonus même lors de longues nuits au froid glacial et à l'humeur déprimante.
Avec son air débonnaire, un peu paresseux, l'air de toujours de prendre son temps sans se soucier le moins du monde de ce qui l'entoure (sûr de l'impact de sa musique ?), on est toujours surpris de l'entendre délivrer son Blues âpre, rustique, tribal et entraînant  avec une telle aisance. Un Blues qui n'a strictement rien d'intellectuel, c'est rugueux, joué avec de grosses paluches, et cela vient des tripes. Il émane de sa musique une puissance qui trouble et hypnotise les sens. Sans jamais chercher à être exubérant ou vindicatif, Magic Slim n'en est pas moins l'un des derniers porteur de la flamme d'un Blues naturellement torride et fiévreux (qui prend toute sa dimension en live). A l'aide de son antique Fender Jazzmaster ou plus souvent maintenant de sa récente LesPaul, il s'épanouit dans des climats pesants, souvent empreints d'une essence Boogie, appuyés par une section rythmique indéfectible et monolithique, en jouant avec ses onglets des chorus et des riffs tranchants et autoritaires. Il est particulièrement à l'aise sur les tempos lents.
Magic Slim, c'est l'assurance d'un Blues authentique sans chi-chi et viril.


Morris Holt alias Magic Slim a toujours produit des concerts sans faille (3). La raison ? Il ne triche pas, il s'offre sans ambages, tel qu'il est. Comme les plus dignes représentants du Blues, il a une touche personnelle reconnaissable dès les premières mesures.
Un gars authentique qui n'a jamais été tenté de céder aux modes, ne changeant pas d'un iota sa musique, imposant même sa patte à des reprises (plutôt nombreuses) qu'il fait siennes.
Les seules nuances plus ou moins marquantes, que l'on puisse trouver au cours de sa longue carrière, sont bien plus dues aux changement du guitariste qui le seconde, qu'à une volonté propre du gaillard.

Avec le Wolf, c'est certainement celui qui a le plus su garder l'héritage du Delta-Blues pour l'incorporer au Blues urbain de Chicago.

S'il est généralement convenu que Magic Slim n'a pas réalisé de mauvais disques, il semblerait bien, qu'à 75 ans, il ait réalisé en toute modestie, et sans révolutionner quoi que se soit, un de ses meilleurs opus. « Bad Boy » est certainement celui qui retranscrit le mieux la chaleur de ses prestations scéniques (alors que le précédent, "Raising the Bar" m'avait laissé sur ma faim).
Il y a la production et le son bien sûr, qui paraît ne jamais avoir encore été aussi bien restitués, mais il y a également cette sensation d'écouter un groupe jouant avec entrain, ferveur et un naturel inné.
A 75 ans, Magic Slim prouve, si besoin en était, qu'il est toujours une valeur sûre d'un Blues authentique. Un Blues est capable de faire vibrer l'auditeur avec peu de notes. Un feeling.

Magic Slim & The Teardrops ont remporté six fois un W.C. Handy Award pour la catégorie « Blues band of the year ».
  1. Bad Boy  3:31 (Eddie Taylor)
  2. Someone Else is Steppin' in  3:44 (Denise LaSalle)
  3. I Got Money  3:23  (Detroit Emery Jr.Williams)
  4. Sunrise Blues  4:40
  5. Girl What You Want me to Do  3:41
  6. Hard Luck Blues  4:01  (Roy Brown)
  7. Gambling Blues  4:01
  8. Champagne and Reefer  3:40  (McKinley Morganfield)
  9. How Much More Long  3:08  (J.B. Lenoir)
  10. Matchbox Blues  3:54  (Albert King)
  11. Older Woman  4:50  (Lil' Ed Williams)
  12. Country Joyride  2:47




(1) Nick Holt, né en 1940, est décédé d'un cancer du cerveau le 22 juin 2009. En 1987, il avait eu un cancer du larynx. Musicien apprécié, il fit des sessions studios pour, entre autres, Vance Kelly, John Primer, Little Milton, Sunnyland Slim. Il avait reçu un WC Handy en 1999 en tant que meilleur Bassiste Blues. Il réalisa trois disques sous son nom.
(2) label français qui a, à la fin des années 70, permis à un grand nombre de bluesmen américain d'enregistrer un disque.
(3) Malheureusement, depuis un an ou deux, son âge lui impose de rester assis pendant la majeure partie de son set.

AJOUT DU 21.02.2013 
Magic Slim s'est éteint à 75 ans hier, quelques jours après la parution de cette chronique, cet album sera donc définitivement son dernier..
Tu étais vraiment "Magic" Morris, RIP


du bon, du cru, du direct, du rugueux, du rapeux, du graveleux, pas de l'musique de nénette quoi.

1 commentaire:

  1. Oui il nous a quitté avant hier, hélas ...
    J'adorais son son brut de décoffrage et sa personnalité.
    Il va manquer ...
    So long Magic ...

    RépondreSupprimer