vendredi 8 février 2013

AUTANT EN EMPORTE LE VENT (1939) de David O. Selznick, par Luc O. B.



A force de répéter c’est un temps à se mater AUTANT EN EMPORTE LE VENT (genre, un dimanche froid, pluvieux, verglacé) j’ai fini par le faire. Et on a beau dire, on a beau le connaître, l’avoir vu 5 ou 6 fois, ce film reste hallucinant ! 

Rarement on aura voulu gifler un personnage (et l’actrice qui va avec) aussi souvent. Cette Scarlett O’Hara est une fieffée emmerdeuse de première, et son bellâtre Aslhey Wilkes une belle tête de con ! Rarement on aura regretté le bon vieux temps du cinéma muet, pour éviter ces dialogues ampoulés qui semblent avoir été écrits par Maître Capello. Le ton est digne des pires productions de la Comédie Française, option ORTF. Le doublage p’tit nègre Mamma nous oblige à tendre l’oreille pour y comprendre quelque chose, la voix de Prissy est pire qu’un crissement de craie sur un tableau noir. Finalement, C’est Rhett Bultler qui s’en sort le mieux, il est doublé par Robert Dalban. Rarement on aura vu une mère enfanter si jeune… L’actrice qui joue la mère de Scarlett (Barbara O’Neil) a royalement 2 ans de plus que l’actrice qui joue sa fille ! D’ailleurs, la Scarlett, elle est sensée avoir quoi… 17 ans grand max ? Vivien Leigh en a 10 de plus !! Et ses deux prétendants, au début, les frangins rouquins, on leur donne carrément 40 balais !! Et ce générique… D’abord, l’ouverture, trois minutes de musique sur image fixe, puis le défilement des noms (et y’en a…) et rebelote pour la distribution des rôles (donc les mêmes, mais pas dans le même ordre…). Et puis ce format… Inapproprié pour les écrans 16/9, soit on zoome et on charcute l’image (mais j’ai des principes dans la vie) soit on laisse les bouilles étirées, les oreilles de Clark Gable n’en sont que plus impressionnantes ! (mais j'ai des principes dans la vie, bis) Parce qu’en 4/3, les gamins y z’y voient que dalle, comprennent même pas que ça puisse exister. Et pour couronner le tout, dans ma version DVD, faut se lever de son canapé au bout d’1h40, pour retourner le disque, ‘savez, comme pour les vinyles… Non, décidément, inutile d’aller plus loin, cette chronique s’arrête là.

Aïe ! Sonia ??? Ca n’va pas, c’est lourd un cendrier !!! Bon d’accord, j’obtempère… Pfff… 3h40… C’est comme l’Everest par la face nord en tongues, avec Claude sur le dos et sa collection de disques, on se dit : impossible…  

Sauf que… Quand le thème musical de Max Steiner, tout violons dehors, résonne dans la pièce, ça vous colle le frisson illico ! Et on se dit qu'après une intro pareille, la suite ne devrait pas décevoir. Le la laaaa la laaaa, la laaaaa la laaaa, c’est un peu comme le tin tin tin tin tin tin tin tin tin de STAR WARS, ou le pôm pôm pôôômmm poum poum poum poum poouuummm de 2OO1. Et passées les minauderies de Scarlett au pique-nique, quand l’intrigue commence vraiment, une force mystérieuse vous prend par la main, et ne vous  lâche plus pendant les trois heures et demie qu’il reste. Et pour une fois, je ne vais pas louer les talents d’un metteur en scène, mais d’un producteur : David O. Selznick, en costume noir sur la photo, debout derrière Clark Gable. Ne cherchez pas ce que veut dire le O. Ça ne veut rien dire. Juste pour la frime (et pour ne pas le confondre avec son oncle qui portait le même prénom).

David O. Selznick, c’est l’archétype du grand producteur hollywoodien, comme Irving Thalberg, Darryl Zanuck. Il fait ses classes à la MGM, à la RKO, et devient indépendant en 1936. Le rôle de producteur aux Etats Unis n’est pas le même qu’en France, ou prime la loi des auteurs. Le producteur américain, à cette époque, n’est pas un simple gestionnaire qui aurait fait ses classes chez Sony ou Google, mais un type qui connaît le cinéma. D’ailleurs encore aujourd’hui, l’oscar du meilleur film est remis au producteur, et non au metteur en scène. Dans un livre paru chez Ramsey, « Memos » (bouquin passionnant pour qui s’intéresse à cet époque hollywoodienne) Selznick publie toutes les notes dont il inondait ses collaborateurs, et notamment sur le tournage pharaonique de AUTANT EN EMPORTE LE VENT. Si Victor Flemming (- réalisateur du MAGICIEN D'OZ -) un pote à Gable qui jeta l’éponge, est crédité au générique, si George Cukor et Sam Wood (qui termina les prises de vue) ont tourné aussi des scènes, la réussite du film doit revenir à David O. Selznick, qui à chaque étape de sa fabrication, a sans cesse repoussé les limites, poussant chacun à faire plus vite, plus haut, plus fort ! Sur la fin, il y avait trois équipes de réalisation, qui travaillaient chacune à leurs scènes, obéissant aux strictes consignes de Selznick. 


On se souvient de la campagne de promotion qui a entouré le casting. La Star’Ac avant l’heure, un barnum itinérant dans tous les États Unis, et un formidable outil de promotion. Selznick souhaitait recruter une actrice inconnue pour le rôle de Scarlett O’Hara, et pas moins de 14000 comédiennes ont tenté leurs chances. Rappelons que le bouquin de Margaret Mitchell venait de sortir, et cassait la baraque. On se pâmait dans les chaumières pour savoir qui Rhett Butler allait serrer dans ses bras sur grand écran. Tout ce que Hollywood comptait d’actrices a auditionné pour le rôle, devant la caméra de George Cukor. Paulette Godard (alors mariée à Charlie Chaplin) rate le job de très peu. Selznick supervise le choix des comédiens, gère les susceptibilités, avec un Gable pas sûr de lui, refusant de jouer les maris éplorés pour ne pas mettre à mal sa virilité, et Leslie Howard qui n’aime pas son personnage. Son intervention s’étend au scénario (crédité à Sydney Howard, décédé avant la sortie du film), au montage, jusqu’au choix des costumes, des robes, accessoires, des matières, des couleurs, qui sont choisies en fonction de l’humeur des personnages, pour traduire visuellement leur état psychologique. Il existe des bouquins entiers rien que sur les robes de Scarlett O’Hara !

En voyant le film, on reste béat devant la beauté des décors, la richesse des ornements. Souvenez-vous de la scène du bal, au début, ce déluge de frou-frou, de couleurs, cette caméra mobile mais pas ostentatoire. Le mot d’ordre semble être : mettons-leur plein la vue ! Ce travelling à la gare d’Atlanta, avec ces blessés et cadavres à perte de vue (la moitié était des mannequins)… Et ces fameuses contre-plongées, avec travelling arrière quand les protagonistes regardent l’horizon rougeoyant. Ils apparaissent quasiment en ombre chinoise. 1939 : le Technicolor n’en est qu’à ses balbutiements, mais quelle palette de couleurs ! C’est du coucher de soleil ou je ne m’y connais pas ! Alors, évidemment, tout est truqué. AUTANT EN EMPORTE LE VENT a été tourné en studio. La fameuse maison des O’Hara, Tara, n’a jamais existé ! C’est de la peinture sur verre, en trompe l’œil, les acteurs jouent devant un entrepôt… Les acteurs admirent un mur, et ensuite on habille l’image, on superpose les couches, ciel, arbres, collines.

On s’imagine que seuls les films fantastiques ont recours aux effets spéciaux, mais AUTANT EN EMPORTE LE VENT (comme CITIZEN KANE l’année suivante) en est truffé. Pas toujours heureux, quand les wagons explosent à la gare d’Atlanta, on repère bien la taille des flammes, qui ne correspond pas à l’échelle du décor. Mais l’incendie en lui-même, quand Rhett Butler et Scarlett fuient, ça c’est du vrai ! Idée de génie : comment faire de la place dans un studio, avec tous ces vieux décors poussiéreux qui trainent ? Y mettre le feu ! Ce sont donc les anciens décors de BEN HUR, de KING KONG qui brûlent dans cette scène d’anthologie. D’ailleurs, c’est le premier plan qui fut tourné, en décembre 1938, avec une doublure féminine, puisque Vivien Leigh n’avait pas encore était choisie. Heureux hasard, Laurence Olivier (qui tournera REBECCA d’Hitchcock, une production Selznick) est justement présent avec sa femme Vivien Leigh


Extrait de Mémos, de Selznick: « Samedi soir j'ai été tout ragaillardi par la séquence de l'incendie. Ce fut l'une des plus vives émotions que m'ait procuré un film. D'abord à cause de la scène elle-même, mais aussi parce que je savais, avec un mélange de terreur et d'excitation, qu'on travaillait enfin sur AUTANT EN EMPORTE LE VENT. Myron a rappliqué juste après le tournage. Il était accompagné de Laurence Olivier et de Vivien Leigh. Chut! C'est l'outsider pour Scarlett et elle a l'air drôlement bien. Je ne le dirai à personne, mais entre nous la compétition se limite à Paulette Goddard, Jean Arthur, Joan Bennet et Vivien Leigh ».

Il n’y a pas que cet aspect logistique qui épate, mais aussi l’intrigue, et cette héroïne casse-bonbons jetée dans la tourmente, affreusement égoïste, jalouse, capricieuse, et ses relations tumultueuses avec les hommes (Vivien Leigh en connaissait d’ailleurs un rayon là-dessus…). Voir cette fraîche ado boudeuse de Géorgie dans ces salons huppés de la bourgeoise sudiste, au début, puis trainer ses bœufs amaigris, les pieds dans la boue et le jupon déchiré, ensuite, est un vrai régal. Je ris, je ris, mais... la Scarlett, elle force le respect ! Le film regorge de scènes prenantes, comme l’accouchement de Mélanie, (délicieuse Olivia de Havilland) avec les allers et venues de Scarlett dans les rues en pleine débâcle, les scènes de l’hôpital, l’arrivée à Tara, détruite, le père devenu fou, la mère décédée…

La seconde partie est plus sombre, moins enlevée sans doute, on ressert les enjeux sur les personnages, leurs rapports, notamment les époux maudits, Butler et O’Hara. Chacun aime l’autre, mais jamais au même moment ! Le film est rythmé par les drames personnels, le décès du premier mari de Scarlett, sa fausse couche, la mort de sa fille qui laisse Rhett Butler inconsolable, la terrible et magnifique scène de la mort de Mélanie. Cette fieffée garce de Scarlett n’attend pas que le cadavre soit refroidi pour jeter une nouvelle fois son dévolu sur le brave Ashley ! On appréciera aussi le tendre portrait de la mère maquerelle au grand cœur, Belle Watling, et le retour d’Ashley et sa bande d’une opération de représailles, sauvé in extremis par Butler, qui leur forge un alibi en les trainant au bordel ! Et l’épouse du docteur, qui au lieu de tancer son mari, le harcèle de questions : alors, c’est comment à l’intérieur, c’est aussi joli qu’on le dit ?!! 

La fin est tout de même grandiose, du drame et du vrai, avec la scène de l’escalier, si haut, que les dernières marches se perdent dans la pénombre. Le travail sur la photo, les couleurs, reste absolument magnifique. Chose surprenante, le film ne nous inflige pas le happy end inhérent au genre. Rhett Butler lassé, quitte le domicile, laissant une Scarlett amoureuse mais déboussolée, qui se demande « Mais que vais-je devenir ? » et à qui son mari répondra : « Frankly my dear, I don’t give a damn », qu’on pourrait traduire par : franchement ma chère, je m’en fous comme d’une guigne ! Traduction pour la jeune génération : J'en ai rien à péter... Enfin ! On lui a cloué son bec à celle-là !! Taratata ! Allez courage ma grande, demain sera un autre jour...

AUTANT EN EMPORTE LE VENT est le prototype des grandes fresques mélodramatiques, romantique, le gigantisme hollywoodien au service de sentiments exacerbés, heureusement produit par un homme de goût (la preuve : il épousa Jennifer Jones). La puissance émotionnelle du film vient aussi de sa longueur. Il faut prendre le temps de s’immerger dans l’histoire - dont le rythme est par ailleurs très bien soutenu – passer de ces années de paix, de bonheur, aux années de guerre, suivre les méandres sentimentaux de ces personnages ballotés par l’Histoire. A chaque nouvelle vision, on appréhende un peu. Arrfff, c’est-y pas que ça aurait un peu vieilli tout de même ? Ben, non, pas tant que ça, parce qu’on reste jusqu’au bout à chaque fois !   







14 commentaires:

  1. J'ai ce film depuis une éternité, mais je ne l'ai jamais regardé d'un trait...toujours une heure par ci, deux heures par là, et tout ça dans le désordre ;)) et pourtant à chaque fois je me dis aussi "Tiens, c'est un temps à mater Autant en emporte le vent" ;)

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  2. pat slade8/2/13 13:00

    Une histoire pendant la guerre de Sécession dans le sud profond avec une famille de la "bonne société sudiste" (Raciste?) propriétaire d'une plantation de coton appelé "Tara" ? Coller dessus une deuxième histoire ? Perso , je n'ai jamais aimé ce film, long et chiant ( J'ai bien dit que c'étais mon avis perso hein ..?). Mais je doit avouer que j'ai bien aimé la première partie,très bien vus ! La suite aussi d'ailleurs, peut être qu'après avoir lu ta chronique, je vais me le refaire ? Possible ? même si pour le film, je lui met deux claps, pour ta chronique , je lui en met 5.

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    1. pat slade8/2/13 13:04

      Quand je dis "aimé la première partie " et "la suite aussi", je parlais de ta chronique, pas du film !

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    2. C'est gentil Pat, mais j'aurais tout de même préféré l'inverse !!

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  3. Un péplum qui se passe pas à Rome ... l'ancêtre de toutes ces sagas familiales démesurées, Géant, l'autre Ben Hur (celui que les décors étaient pas encore construits), Le guépard, Dr Jivago, 1900, Il était une fois en Amérique, ... Même 3 h 40, je suis plutôt preneur ... de toutes façons, j'en connais qui ont passé 3h40 à écouter des quintuples vinyles live de Springsteen ... et non, non, pas de nom, je balance pas ...

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    1. Ah ah ! Lester, escroc !! Délateur !! (si tu savais sur quoi je viens d'écrire ce matin...)

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    2. Sur un péplum ? Spartacus ?
      Sur une saga familiale ? Star wars ?
      Sur un live de 3h40 ? Grateful Dead ?

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    3. Perdu, perdu, perdu, perdu, per... euh, non perdu, et perdu...

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  4. Ahhhhh, Autant en emporte le vent, quel film ! Tu me donnes envie de le revoir en VO, parce que je me rend compte que je ne l'ai jamais vu qu'en français. Elle est peut être moins agaçante en anglais la voix de Prissy.

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  5. Salut ! Ben oui, en VO, ça doit mieux sonner, mais pour la jeune génération, ce n'est pas encore possible... (à très bientôt...)

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  6. Foxy Lady11/2/13 11:44

    Waouh, j'en ai révé, tu as osé !!!! Suis fan à 1000%, mais ce n'est un secret pour personne. Bravo Lucius, et désolée de mon absence, faut que je reprenne du service je crois.

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    1. Ce qui ne m'étonne qu'à moitié... Mais Ashley et Rhett ???

      Et oui, je viens de consulter le tableau des congés, tu en es à ton 237ème jour de RTT consécutif, il serait temps de revenir...

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    2. Foxy Lady12/2/13 15:21

      Ah bon ?? 237 jours.....aie.... vais bosser un peu alors, justement j'ai quelques classiques sous la main. A très vite patron ;-)

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  7. Très grand film sur le plan plastique.

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