dimanche 21 avril 2013

AU RISQUE DE SE PERDRE (NUN'S STORY) , par SOEUR FOXY LADY



NUN’S STORY (AU RISQUE DE SE PERDRE) (1959), un film  de Fred Zinnemann

Le film dont je vais vous parler, est, dans la filmographie de son interprète principale, plutôt méconnu du grand public. Erreur vous dirais-je, car ce très beau film mérite sans nul doute qu’on lui rende dès à présent ses lettres de noblesse.

L’interprète dont je vous parle est l’inoubliable Audrey Hepburn (1929-1993). Elle se destinait initialement à la danse, mais c’est pourtant dans le 7ème art qu’elle deviendra l’une des plus grandes actrices de sa génération. C’est le succès de "Gigi" en 1951 à Brodway, qui lui ouvre les portes du cinéma.
On peut se rappeler certains de ses rôles mémorables comme celui de la Princesse Ann dans "Vacances Romaines"(clic ) en 1953 (qui lui valut d’ailleurs l’Oscar de la meilleure actrice) , celui de Natacha Rostov dans "Guerre et Paix" en 1956, celui de l’exubérante Holly Golightly dans "Diamants sur canapé" en 1961, ou encore celui d’Eliza Doolittle dans "My Fair Lady"  en 1964.
Cela dit, ce n’est pas parce qu’un film est moins connu qu’il n’en est pas moins remarquable, c’est pourquoi je vais évoquer aujourd’hui le film de Fred Zinnemann "Au risque de se perdre" , sorti en 1959.

Fred Zinnemann est un réalisateur et producteur d’origine autrichienne né en 1907 à Vienne et décédé en 1997 à Londres. Il est le réalisateur, entre autre, de films tels que  "Le train sifflera 3 fois" en 1952, avec Gary Cooper et Grace Kelly; "Tant qu’il y aura des hommes"  avec Montgomery Clift, Burt Lancaster et Frank Sinatra en 1953 ou "Chacal" (1973) avec Edward Fox en tueur à gages.

Or donc, revenons à notre sujet.  "Nun’s Story " (Au risque de se perdre) est un film inspiré du roman de Kathryn Hulme (1900-1981), auteur américaine, lui-même inspiré de la vie de Marie-Louise Habets (1905-1986), religieuse et infirmière belge.
Marie-Louise Habets prend le voile en 1926, dans la Congrégation des Sœurs de Charité de Jésus et Marie. Elle part au Congo en 1933 et en revient en 1939 car elle y a contracté la tuberculose.
Elle obtient une dispense de ses vœux en 1944. Impliquée dans la Résistance, elle se consacre aux soins des soldats, blessés de guerre.

L’histoire du film : Gabrielle Van Der Mal (Audrey Hepburn) est la fille d’un éminent chirurgien. Elle décide d’entrer dans les ordres, et devient, après la cérémonie de prise de voile, Sœur Luc. Orgueilleuse, fière et douée d’une forte personnalité, la vie religieuse s’avère pour elle une épreuve, du fait de sa difficulté à accepter et comprendre la règle d’obéissance de son ordre. Lorsque la Mère Supérieure lui demande d’échouer à son examen par humilité, elle le réussit et est envoyée dans un asile psychiatrique à Bruxelles. Le caractère de Sœur Luc ainsi que ses prises de positions font qu’elle s’adapte mal à cet environnement strict et rigide. Lorsqu’elle part pour le Congo, elle devient l’assistante médicale du Docteur Fortunati, dont elle fait l’admiration et avec qui elle va entretenir une relation basée sur la confiance, le travail acharné et le respect mutuel.

Gérard Philippe et Yves Montand avaient été pressentis pour incarner le Docteur Fortunati, mais le rôle du médecin athée reviendra finalement au britannique Peter Finch, vu dans "Sunday Bloody Sunday" de John Schlesinger en 1971.
Même si ce film ne fit pas l’unanimité auprès de la critique de l’époque, qui contesta le choix d’Audrey Hepburn pour incarner Sœur Luc, je trouve personnellement que le résultat final est assez saisissant.
Agée de 30 ans, au sommet de sa beauté et icône  "chic"  pour Givenchy, Hepburn n’hésite pas à se transformer pour endosser le rôle de Sœur Luc. Les conditions de tournage rigoureuses au Congo mettent à rude épreuve la santé d’Audrey Hepburn, qui souffre de déshydratation et est clouée quelque temps au lit avec des calculs rénaux.
La silhouette gracile, les yeux cernés d’Audrey Hepburn, ainsi que cette force étrange qui émane d’elle, en font, à mon sens, l’interprète idéale puisqu’elle casse l’image de drôle de frimousse qu’on lui connaît, pour le rôle plus tourmenté d’une religieuse aux conditions de vie difficiles.
Voilà donc un film d’une rare intelligence, puisqu’il a le mérite de nous faire nous interroger sur le carcan de la vie religieuse, la stupidité de l’obéissance, la rigidité imposée à ses femmes parfois très jeunes, et surtout la quête de perfection. Car, comme le dit la Mère Supérieure : "la vie de nonne est une quête de perfection, une vie de sacrifice, et, en un sens, une vie contre nature".

Totalement anti-conformiste, révoltée par certaines règles auxquelles elle n’entend rien, le personnage de Sœur Luc est bouleversant, et Audrey Hepburn nous transmet la dualité émotionnelle que vit son personnage avec une rare justesse. Par exemple, la scène où Sœur Luc découvre le décès de son père sur le front (le film se déroule pendant la 2ème guerre mondiale), et où elle lutte contre le sentiment de haine qui l’habite est criant de vérité. Comment peut-on rester étrangère aux passions humaines (amour, haine) alors que l’on est fait de chair et de sang ?

Pour la première partie de son film, conçu tel un documentaire sur la vie et les rituels du couvent, Zinnemann a fait appel au décorateur hongrois Alexandre Trauner (1906-1993). Trauner a participé au décor de films illustres, tels  "Quai des Brumes"  (1938) et  "Les enfants du Paradis"  (1945) de Marcel Carné,  "L’homme qui voulut être roi" de John Huston (1975) ou  "Subway" de Luc Besson (1985).
La deuxième partie du film évoque un Congo gouverné par le colonialisme paternaliste. A noter qu’une scène du film où un noir tue une religieuse, a pris une dimension prémonitoire, si l’on se reporte aux événements tragiques de 1960 qui conduisirent le Congo à son indépendance.

 "Au risque de se perdre" a été nominé pour 8 Oscars, dont celui de la meilleure actrice mais ne remporta aucune statuette. En 1960, c’est Simone Signoret qui obtiendra cette distinction pour  "Les chemins de la Haute Ville" .
Audrey Hepburn obtiendra pour son rôle de Sœur Luc le British Academy Awards et le New York Film Critics Circle Award.
 "Au risque de se perdre"  a été élu meilleur film au British Academy Awards.

Lorsqu’on connaît l’action d’Audrey Hepburn auprès de l’UNICEF, on se dit que ce film fait écho à son propre engagement (voir la "Audrey Hepburn Children's Fundclic ) . Elle déclara d’ailleurs que le tournage de ce film lui avait semblé éprouvant mais allait marquer le combat qu’elle mena toute sa vie auprès des défavorisés et des populations du tiers monde. A noter également cet effet miroir entre Marie-Louise Habets et Audrey Hepburn : toutes deux se sont engagées dans la Résistance lors de la 2ème guerre mondiale.

La fin du film laisse planer le doute quant au devenir de Sœur Luc, qui est redevenue Gabrielle Van Der Mal. Va-t-elle rejoindre la Résistance (sachant que le film se termine en 1943). Va-t-elle retrouver son amour de jeunesse ou rejoindre le Congo avec le Docteur Fortunati ? La porte reste ouverte sur un éventail de possibilités, mais sachant que le film s’inspire de la vie de Marie-Louise Habets, on peut supposer que Sœur Luc s’engagera dans la Résistance.
A noter que ce film est le seul de la Warner où il n’y a pas de musique sur le générique de fin, et ce malgré l’avis de Jack Warner. Une musique heureuse aurait pu être interprétée comme l’approbation du choix de Sœur Luc (choix d’ailleurs qui n’est pas implicitement exposé), une musique triste aurait signifié le contraire. Il fut donc décidé qu’il n’y aurait pas de musique de fin.

 "Au risque de se perdre"  est un film d’une grande beauté, superbe et bouleversant, magnifié par la présence habitée d’Audrey Hepburn, qui reste, encore aujourd’hui, une des plus belles interprètes de tous les temps.
A découvrir, pour la beauté du cinéma.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire