jeudi 11 avril 2013

PERFECT MOTHERS de Anne Fontaine (2013) - par Claude Toon



Nez en l'air à regarder les affiches d'un multiplex de la capitale… Humm, Bof ! Ah, si, l'affiche PERFECT MOTHERS avec deux belles blondes sur une plage me dit quelque chose (dans la presse spécialisée sans doute). Anne Fontaine, je ne sais plus trop, un vague souvenir avec "Entre ses mains", on parle plutôt en bien de la réalisatrice si ma mémoire ne me trahit pas… Et puis si Naomi Watts et Robin Wright (ex Mme Sean Penn, "The pledge") ont fait le déplacement, c'est jouable… Je n'ai jamais vu Naomi, l'égérie de David Lynch dans "Mulholland Drive", se commettre dans un navet. Cinéma indépendant Franco-Australien, ça me branche assez. Par contre, double question dans ma tête sur le thème du film. Histoire de sexe à géométrie variable ? Polygone des liaisons amoureuses et dangereuses ? Ça craint ! Enfin, en général. Décision ? J'entre… Prise de risque maximum…
Moi qui aime bien l'exploration freudienne des âmes (mais pas de façon chichiteuse, style marivaudage de bobos frustrés errant entre deux divorces), je n'ai pas été déçu… Générique…

Le film est adapté de "Les grands-mères", un roman de Doris Lessing, écrivain australienne née en 1919, et lauréate du prix Nobel en 2007. La romancière s'est rendue célèbre par ses œuvres féministes. On y rencontre pourtant un certain pessimisme face à la liberté de ces nouveaux jeux amoureux propices aux dislocations affectives dans nos sociétés modernes.
L'auteur sonde les psychés, n'ayant pas peur d'affronter dans son étude de l'âme, le mysticisme et l'occultisme donc l'irrationnel. Ce style de pensée va être très présente dans ce conte vénéneux pour adultes… Premier plan : rendez vous sur une plage dorée par le soleil sur la côte sud australienne, une mer d'azur, un lieu isolé de toute urbanisation… Un paysage originel de rêve, un océan limpide de rêve, un paradis que l'on n'aurait pas perdu, pour contredire John Milton
Époque 1 : Deux fillettes pré-ados, lil et Roz courent vers la plage. Blondinettes menues, en bikinis similaires, bien entendu, qui s'amusent, rivalisent pour arriver première sur le sable ou dans l'eau. Jeux graciles de deux copines, deux amies que rien ne semble pouvoir séparer. Les gamines s'observent. La caméra capte un à un les regards perçants des yeux bleus de chacune rivés dans les iris de l'autre… lil ou Roz voit son image se réfléchir dans le miroir vivant de son alter ego d'apprenti séductrice. Une quasi gémellité. Attirance ou rivalité ? Aucune ne baisse les yeux. Peut-on aussi discerner le germe latent d'un possible saphisme à venir, inconscient pour des esprits et des corps encore purs ? Une scène ultérieure ébauchera une réponse à cette question.
Symétrie, rivalité, compétition, similitude des comportements vont être quelques-unes des clés de ce drame, de cette fiction faussement idyllique.

Époque 2 : les vies des deux femmes suivront des lignes parallèles, mariages, deux fils de même âge : Tom pour Roz et Ian pour Lil. Deux vies rythmées par le tempo régulier d'une partition à portée unique sur laquelle s'écoulent les deux voix d'une fugue en miroir de Bach. Survient une fausse note, la première. Elle est tragique ! Le père de Ian et mari de Lil se tue en voiture. Roz se rapproche encore plus de lil, si tant est qu'il y ait eu le moindre éloignement pendant toutes ses années. Tom va prendre sa part du chagrin de Ian qui va adopter Roz comme une seconde mère. Encore un piège de l'inconscient. Les deux garçons vont se rapprocher, devenir frères. Les deux pré-ados, qui ont l'âge des fillettes qu'étaient leurs mères au début du film, vont grandir ensemble… ne faire qu'un, un couple de jumeaux, eux aussi...
Époque 3 : Il y a un cinquième personnage omniprésent dans l'histoire, la petite baie isolée : la plage, les deux maisons de style colonial, la végétation, la mer, le soleil qui permet de vivre quasiment nu mais avec retenue. Une carte postale qui agit comme unité de lieu, celle d'une tragédie grecque ou classique, avec le quatuor mères-fils que la réalisatrice va ériger en personnages shakespeariens. Ah, j'allais oublier Harold (Ben Mendelsohn), le mari de Roz. D'ailleurs le quatuor l'oublie un peu. Il se sent un peu délaissé et postule pour un poste de professeur d'art dramatique à Sidney et pense déménager et ainsi reconsolider son couple.

Époque 4 : Harold part une quinzaine pour Sidney. Mères et fils se baignent ensemble, mangent ensemble, se rencontrent en ville pendant leurs activités professionnelles alimentaires. Les garçons sont devenus des hommes. Ils sont beaux et musclés, courent sur la plage avant de surfer de concert. Deux gladiateurs bronzés qui se défient, reproduisent trente ans plus tard la compétition qui opposait et fusionnait leurs mères et qui désormais portent fièrement leurs quarantaines. C'est Love Story en double, comme au tennis, au pays des kangourous. Tout est en place pour le bonheur insolent, ou la tragédie…
Allongées sur la plage comme deux déesses antiques, les mères bichent devant leurs fistons, "On les a bien réussis, on dirait de jeunes Dieux". Mais dans cette autarcie romanesque, les désirs grondent. C'est Ian qui jouera le premier service. Frustré de l'absence d'un père, il veut jouer les hommes, enfin : les pères morts ou absents ou, à défaut, les amants. Un soir Ian croise Roz, elle lui demande "Tu as tout ce que tu veux ?". La réponse fuse, pas orale mais buccale ! Un baiser, un vrai, celui du désir amoureux ! Roz ne le repousse pas et ressort de la chambre du jeune homme bien tardivement, un pantalon sous le bras. Mais Tom est là, se rafraîchissant. Elle ne le voit pas… Il ne dit rien et va se confier en pleine nuit à sa seconde mère, Lil. Celle-ci reste dans l'instant en dénie de l'intolérable vérité et repousse Tom qui, compétition oblige, projette ses propres pulsions sur la mère de son ami. Il ne peut y avoir d'asymétrie dans les destins et les actes. Lil succombera elle aussi le lendemain, au petit matin.

Époque 5 : Je me dois de ne pas raconter tout le film. Le virage charnel vient d'avoir lieu. Est-il excusable, supportable comme s'interroge Roz ? Rien ne peut rester secret dans ce microcosme. Anne fontaine filme le trouble, la fuite des regards traduisant les sentiments de culpabilité face à la révélation, "ça ne doit pas se reproduire", "Cette histoire est inacceptable".
En effet ce chassé-croisé érotique paraît contre nature : l'écart d'âge, l'adultère de Roz. Et surtout, comment admettre cette folie d'une nuit, les étreintes quasi incestueuses puisque chaque garçon voit simultanément dans les deux femmes deux mères et deux sœurs. La pertinente question est posée par Lil : "Je l'aime… Je n'ai pas envie d'arrêter, je ne vois pas pourquoi on devrait ?". Oui certes, la morale et la loi sont sauves, il n'y a aucun lien du sang au sein de ces couples chimériques, et l'arrêt de ces joutes sexuels s'avèrera impossible.  Roz tente de se rassurer et de conforter son amie "ils se lasseront vite de nous". Harold quittera Roz qui refuse de partir à Sidney pour rester dans son écosystème. Étrange, mais comment avouer l'inavouable ? Saul, un collègue de Lil qui en pince depuis longtemps pour la jolie veuve vient déclarer sa flamme. Lil panique, reste sans voix. L'innocent bonhomme sera éconduit, mais avec délicatesse, grâce à l'intervention de Roz qui par supercherie lui fait croire à une relation lesbienne avec son amie. Lil ne voit pas immédiatement l'astuce. Elle en rira après, trop heureuse d'être débarrassé de ce soupirant encombrant. À vrai dire, ce statut homosexuel de circonstance ne la gêne même pas. N'est-il d'ailleurs pas en germe depuis l'enfance et  présent via deux jeunes amants interposés ? Le vide autour du quatuor est maintenant absolu. Deux années de vie irréelle et de complicité sexuelle peuvent commencer…

Époque 6 : Le film s'achèvera-t-il dans un remake sexy de la petite "maison dans la prairie", avec le soleil, la mer, la baignade, la bronzette et dans les draps froissés ? Anne Fontaine joue avec nous, avec notre stupéfaction et notre naïveté. Deux années qui aboutiront à l'arrêt de l'aventure sur décision des mères mais avec les regrets des fils. La normalité affective (au sens social) va-t-elle reprendre ses droits ? A priori oui, deux mariages, l'un avec Mary, la brune espiègle, pour Tom, et l'autre avec Hannah, la grande blonde généreuse et maternelle pour Ian. Deux fillettes naissent. Il fait toujours aussi beau sur la plage où tout le monde batifole comme dans un soap-opéra. Les garçons restent pourtant maussades, assurant vaille que vaille le quadruple rôle de fils, d'ex amant, de père et de mari. Une charge trop lourde pour ces jeunes hommes qui ont atteint l'âge adulte en assouvissant les fantasmes les plus ravageurs pour leurs psychismes. Cette nouvelle généalogie, trois générations féminines liées à un duo d'hommes, est-elle viable et solide ? Anne Fontaine répondra par un coup de théâtre d'une violence et d'une tristesse inouïes.
L'irréel a sa place dans ce drame. Je parle de l'irréalité sublimée des contes. Les femmes sont belles, naturellement belles, sans artifices, même si elles pressentent la férocité du temps qui passe et qui volera un jour leur beauté. Et de citer ce plan touchant où Lil se regarde dans son miroir, face à ses racines de cheveux grisonnantes, sa peau qui se ride déjà, un regard moins étincelant. Peu d'actrice assume un tel réalisme. Naomi Watts et Robin Wright ont souhaité tourner ce film sans maquillage autre que celui rendu indispensable par les prises de vues et les éclairages du plateau.

On peut se demander pourquoi Anne Fontaine s'est exilée pour tourner ce film avec des acteurs anglo-saxons. Aucune actrice française ne semblait convenir au rôle de lil. C'est Isabelle Huppert qui a suggéré à Anne Fontaine Naomi Watts qui a accepté d'emblée ce rôle exceptionnel de Lil, ce défi. Lil qui affirmera "je n'ai jamais été aussi heureuse", méthode Coué ? On ne quitte donc pas le climat de conte sur cette plage paradisiaque, "ne sont-ils pas beaux" les deux garçons, comme se plaisent à répéter leurs mères ? Oui, de jeunes dieux : Tom, le brun, avec son profil grec et Ian, dont le visage rappelle l'Orphée de Jean Cocteau ou, pour rester dans la mythologie, Narcisse ?
La photographie est excellente, baignée par la lumière des mers australes. Le montage s'oriente vers un réalisme qui sert bien la narration. Les comédiens trouvent le ton juste dans la complexité de leur personnage, pas d'effet de vedettariat. Les garçons ne courent pas au ralenti avec les visages grimaçants sous l'effort (Luc comprendra…). La musique de Christopher Gordon ("Master and Commander") baigne le film d'une nostalgie qui n'est pas sans rappeler celle de la "Leçon de piano" de Michael Nyman.
Un film sur l'emprise des sens. Les liens affectifs du sang n'ont-ils qu'une force relative imposée par des codes sociaux, alors que les passions ne devraient obéir à aucune règle. Doris Lessing et Anne Fontaine nous montrent que rien n'est aussi idyllique dans ce film qui a réussi à me bouleverser. C'est tout dire en regard de mon intro et de mes réserves sur le genre…

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Titre original : Two Mothers - Titre français : Perfect Mothers
Scénario : Christopher Hampton d'après Les Grands-mères de Doris Lessing
Direction artistique : Annie Beauchamp et Steven Jones-Evans
Photographie : Christophe Beaucarne
Musique : Christopher Gordon
Production : Dominique Besnehard, Francis Boespflug, Philippe Carcassonne, Michel Feller et Andrew Mason
Durée : 111 min

2 commentaires:

  1. Moi, 2 belles nanas sur une affiche... M'en faut guère plus pour aller m'enfermer dans une salle obscure. Je sais Claude, je suis faible, trop faible !

    Nota: J'ai pas dis "obscure salle".

    Vince.

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  2. Tss Tss Vincent.... Attention, deux belles blondes, une salle obscure, c'est un plan à se retrouver dans "de beaux draps" !
    Méfie-toi de ces deux là en tout cas ............

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