vendredi 24 mai 2013

BLACK BOOK de Paul Verhoeven (2006), par Luc B.


les deux acteurs dirigés par Paul Verhoven
Paul Verhoeven fait partie de ces cinéastes européens exilés aux USA, qui ont su apporter au système hollywoodien leur exigence, tout en se fondant dans le moule du box-office. Car au début de sa carrière, chez lui, en Hollande, le cinéma de Verhoeven n’est pas spécialement grand public. Paul Verhoeven est né en 1938, son enfance est marquée par la guerre, l’occupation allemande, la libération et son cortège d’horreurs. Ses premiers films reflètent cette violence vécue, dans des drames sociaux très crus, violents, sexuels, sulfureux (TURKISH DELICES, LE QUATRIEME HOMME) avec à l’affiche son acteur fétiche Rudger Hauer. C’est en 1985 qu’il rejoint la colonie hollywoodienne, avec LA CHAIR ET LE SANG (et Rudger Hauer) à ce jour un des meilleurs films moyenâgeux. Suivent deux hits incontournables de la SF, ROBOCOP et surtout TOTAL RECALL, avec Sharon Stone que le hollandais violent, comme on le surnomme, retrouvera en 1992 dans le célèbre BASIC INSTINCT, superbe Film Noir, vénéneux. Il redonne dans les visions saphiques dans SHOWGIRL (à ré évaluer, dans sa dénonciation du monde du spectacle, 20 ans avant BLACK SWAN…), et s’offre deux séries B de luxe, STARSHIP TROOPERS (1997) et L’HOMME SANS OMBRE (2000), relecture de l’homme invisible. Sept films réalisés en Amérique, quasiment sept succès, et des films qui 20 ans plus tard demeurent des must dans leur genre. Y’a pas à dire, Verhoven sait s’y prendre.

Fort de cette expérience, mais ayant envie de tourner un projet plus personnel (il y pense depuis 20 ans) Paul Verhoeven repart en Hollande. Six ans de silence avant la sortie de BLACK BOOK, mais ça valait le coup d’attendre. Je ne suis pas sûr que ce film ait été bien distribué, et donc ait bien marché en France. C’est une production hollandaise, et la force de frappe de la promotion batave n’atteint pas celle déployée outre-Atlantique. BLACK BOOK bénéficie d’un gros budget, et à première vue, sonne comme un film américain. Paul Verhoeven a vu les choses en grand, il sait gérer de grosses productions, il a le sens du spectacle, du récit, de l’image, il connait toutes les recettes, et va les appliquer ici.

La Hollande est sous domination nazie, et Rachel Stein, juive, vit cachée dans une ferme, à la campagne. Elle profite des derniers rayons de soleil de l’été, insouciante, jusqu’à un raid aérien destructeur. Repérée par la Gestapo, Rachel parvient à regagner La Haye, rencontre un ami de ses parents (eux-mêmes en clandestinité), un notaire influent, Smaal, qui lui avance de l’argent pour passer en zone libre. Comme Rachel ne recompte pas les billets, Smaal la prévient : « Par les temps qui courent, tu ne devras faire confiance à personne ». La confiance. Ce sera le leitmotiv du film. Toute l’intrigue se construit sur ça. Qui est qui ? A qui peut-on se fier ? La suite, je ne vais pas vous la raconter, ce serait dommage, mais l’aventure de Rachel, qui prend le nom d’Ellis de Vreis, ne fait que commencer, et ça va être mouvementé !

Le scénario, et la mise en scène, nous offre à chaque fois deux lectures des séquences. Toujours ce thème : à qui, ou à quoi se fier ! Si une image nous indique blanc, elle pourra dire noir deux secondes plus tard. Verhoeven joue sur cette ambiguïté, comme avec cette scène à suspens dans un train, où Rachel et son compagnon Hans Akkermans ont la Gestapo aux trousses. Rachel se réfugie dans un compartiment occupé par un homme seul. Pas de bol : un officier nazi, le capitaine Müntze ! Mais l’homme s’avère courtois, affable, séduit par la jeune femme, et lorsque la Gestapo veut contrôler les papiers de Rachel, l’officier les congédie d’un revers de main. Ouf. Sauf que, on apprendra plus tard que Müntze, est le chef de la Gestapo local… 

Dites-vous qu’à chaque personnage qui entre en scène, il faudra s’en méfier. De quel bord est-il ? Et naturellement, la question se posera aussi sur Rachel elle-même. Est-elle vraiment en service commandée, ou succombe-t-elle à son amant, Müntze ? Car Müntze, dont on dit qu’il est responsable de massacres immondes, est dépeint scène après scène comme un homme fort civilisé, charmeur, humain, marqué par la mort de sa femme et enfants, dans des bombardements anglais sur les civils allemands. Là encore, Verhoeven se démarque, la frontière entre bourreau et victime est ténue.

Vous aurez devinez que Rachel / Ellis, enrôlée dans la résistance, va profiter de sa rencontre avec Müntze, pour l’approcher au plus près… D’où cette scène au départ affriolante : la jeune dame s’agenouille devant l’officier pour le gratifier de ses talents buccaux. Münzte a donc une vue plongeante sur… les racines de cheveux de Rachel, les racines brunes, teintes en blond. Une fausse aryenne ? Pour le savoir, Müntze poursuit son exploration, et devant la toison claire de la jeune femme, il lui dit : « tu pousses le professionnalisme jusque dans ses détails » Malaise. Rachel est-elle démasquée ? Müntze est-il trop épris pour la dénoncer ? La scène vire donc au dramatique, quand Müntze demande à Rachel si elle est juive, et elle de lui répondre "Et alors, ça changerait quoi ?". Il ne répond rien. Puis elle détaille son corps, en lui lançant "Et ça, c'est juif, et ça ?...". Les masques tombent, ou font semblant, et plus personne n'est sûr de rien. 

Celui qui n’aurait pas eu cette pudeur, c’est le lieutenant Franken, vraie ordure, que Rachel a dans le collimateur, et qui lui aussi apparaît sous un jour différent du méchant nazi typique : boute-en-train, pianiste, chanteur, il anime les soirées à la Kommandantur, et Rachel qui se prétend chanteuse, devra donner le change avec lui. Franken a lui aussi une secrétaire, Ronnie, dont on ne sait jamais de quel bord elle penche. Y'a des clins d'oeil qui s'échangent, mais comment les interpréter ?
 
BLACK BOOK est au croisement du film de guerre, d’espionnage, de suspens. Le rythme est intrépide, les péripéties s’accumulent. Poursuites, fusillades, scènes de pur suspens (le micro caché derrière le tableau de Himmler !) avec son lot de morts, tortures, trahisons, retournements de situation, jeu de dupes. Les scènes d’action peuvent faire penser parfois aux DOUZE SALOPARDS de Robert Aldrich, et le thème du sacrifice renvoie à L'ARMEE DES OMBRES de Melville, mais sans héroïsme de pacotille. Verhoeven rend parfaitement ces temps difficiles, complexes, ne nous épargne aucune cruauté, notamment dans les scènes d’épuration. Sur la fin, le tempo ralentit un peu, autre ambiance, la guerre est finie, il s’agira maintenant de reconnaître les siens, et d’identifier les traitres, et de choisir entre la justice officielle, et la sienne, plus expéditive.

Rachel Stein est jouée par l’actrice Carice van Houten, superbe, elle porte le film sur ses épaules, parfaite dans le rôle de cette jeune femme précipitée malgré elle héroïne de guerre. Müntze est joué par Sebastian Koch, vu dans AMEN ou LA VIE DES AUTRES. Précisons que cette histoire est en partie inspirée de l’autobiographie de Hélène Moszkiewiez « Ma guerre dans la Gestapo ». Mais en fait, Verhoeven a assemblé différents faits réels, trois histoires, dont celle du fameux Livre Noir, petit carnet où, dit-on, était répertoriée la liste des collabos hollandais.
 
BLACK BOOK est une vraie réussite. Un film brillamment mis en scène, qui possède le souffle des grandes aventures, sans tape à l’œil ni effet spéciaux ostentatoires. On ne voit pas passer les 2h25. Petite mise en garde : ce n'est pas un spectacle familial.
 


   

BLACK BOOK (ZWARTBOEK) 
Couleurs  -  2h25  -  format scope 2:35

La bande annonce

3 commentaires:

  1. J'ai cru qu'il était mort lui aussi ...

    Grand film effectivement ce Black Book (le plus gros budget jamais mis sur pied par le cinéma hollandais)... comme toute la carrière hollandaise de Verhoeven, beaucoup plus ... enfin beaucoup plus tout que sa filmo hollywoodienne...
    Black book, c'est comme dans la vraie vie de cette époque-là, bien peu étaient tout blancs ou tout noirs ... ou tout juifs ...
    La Van Houten, elle est craquante et fondante comme du chocolat ...

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  2. Son cinéma de chez lui est plus personnel, engagé, déroutant... différent, mais je trouve que de tous les européens à avoir été invités à venir à Hollywood, il est un de ceux qui s'en est le mieux sorti. Il n'a pas été mangé tout cru. La Van Houten est, comment dire... ben comme tu dis !

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  3. Extra ce film, comme très souvent chez Verhoeven. On y voit bien aussi que l'extermination juive est un méchant prétexte pour beaucoup de les dépouiller de leur fortune (petite ou grosse). Quand y'a la crise, désignez moi des responsables, martelez le cerveau des gens et laissez faire la nature humaine...
    Je me sens las Panoramix...

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