vendredi 20 septembre 2013

"22-11-63" de STEPHEN KING (2012) par Luc B.


Je vais essayer de ne pas faire aussi long que lui… Car, la dernière livraison de Stephen King, c’est du lourd ! Au sens propre. Presque 1000 pages, et pas écrites gros en plus… Bon, si vous avez comme moi une constitution physique exceptionnelle et un corps superbement dessiné par des années de pratiques sportives, vous vous en sortirez. Sinon, un conseil, attendez la sortie en Livre de Poche ! En préambule, je dois vous prévenir que je n’avais jamais lu un bouquin de Stephen King avant celui-ci, un certain nombre de références et auto-citations ont donc pu m’échapper.

Le thème du livre est le voyage dans le temps, principe assez convenu de la SF, mais que l’auteur arrive à renouveler. Le début de l’histoire : Al Templeton tient un petit restau de hamburgers. Son meilleur client est un prof d’anglais, Jake Epping. Al est mourant, et doit absolument confier son secret à quelqu’un. Plutôt qu'un long discours, il préfère mettre Jake Epping devant les faits. Un passage au fond de son restau permet de voyager dans le temps, de se retrouver en 1958. Jake se prête à ce qu’il pense être le dernier délire d’un mourant, emprunte le passage, et se retrouve 50 ans en arrière… C’est donc vrai ! Al Templeton lui explique son projet fou : empêcher Lee Harvey Oswald d’assassiner le président Kennedy, à Dallas, le 22/11/1963. En 2011, avec le recul et la documentation à disposition, toute la chronologie et faits et gestes d’Oswald sont connus. Ce qui s’appelle avoir une longueur d’avance. Il suffit de se servir de ces informations, pour agir au bon moment. Jake accepte mais veut d’abord effectuer un premier voyage d’essai, et empêcher un fait divers terrible (le massacre de la famille Dunning, en 1958). Mais attention, changer un élément du passé ne risque-t-il pas de changer le futur ?...

Lisbon Falls dans le Maine, où débouche le "passage"
Ces voyages dans le temps sont soumis à des conditions, et c’est là que Stephen King arrive à proposer une variante intéressante du thème. D’abord, il faut savoir que si on part vers l’année 1958, qu’on y reste une journée ou un mois, en revenant en 2011 il ne se sera écoulé que deux minutes. On peut faire autant d’allers et retours que l’on veut  (Al y allait tous les jours acheter sa viande, le cours du dollar en 58 était plus favorable !) mais chaque nouveau voyage débutera systématiquement le même jour de la même année, et au même endroit. Et tout changement effectué en 1958 sera donc annulé par le voyage suivant. Autrement dit, à chaque voyage, il y a une remise à zéro. Des éléments qu’il faut garder en tête, ils sont essentiels à ce qui va suivre…
     
Le premier voyage de Jake Epping (qui en 1958 se fait appeler George Amberson) pour sauver les enfants Dunning est absolument passionnant. On ne décolle pas de ces 200 premières pages. Comme le personnage, le lecteur doit s’habituer au postulat de départ, ces histoires de faille temporelle sont toujours difficiles à rationaliser, et pour cause. On tâtonne. On se pose beaucoup de questions. Il y a tout un tas de détails ingénieux, comme de ne pas partir en 1958 avec des fringues contemporaines, son téléphone portable, ou éviter de fredonner les paroles de "Honky Tonk Woman" des Rolling Stones 10 ans avant la sortie de la chanson ! Par contre, quand on a pris soin de noter les résultats sportifs de cette époque, c’est facile de parier sur le bon cheval ensuite… Mais surtout, il faut ré apprendre à vivre comme en 1958. Et c’est là le vrai thème central du livre de Stephen King. Une immersion dans un monde d’avant, où l’auteur étudie à la loupe la société américaine.

Oswald et son fusil
Car George Amberson se fixe d’empêcher un massacre qui n’aura lieu que dans plusieurs mois. En attendant que faire ? Repartir en 2011 ne servirait à rien puisque son retour se fera toujours à la même date, et annulera tout ce qu’il aura déjà fait. Il doit donc s’installer en 1958, y fonder une nouvelle vie, se fondre dans le paysage et attendre le moment d’agir. Mais justifier de sa présence soudaine dans une ville, quand on n’a ni passé ni référence, n’est pas chose aisée. Les gens sont curieux, méfiants, voire dangereux. Je ne vous dirai pas comment se conclut ce premier voyage, mais George est maintenant prêt pour sa grande mission : sauver Kennedy. Ce qui implique que ce sont 5 années qu’il devra vivre entre 1958 et novembre 1963.

Quelques critiques parlent d’un livre où il ne se passe pas grand-chose finalement, avec de longues scènes qui n’ont rien à voir avec Kennedy. Alors : ce bouquin n’est pas une énième étude sur Kennedy, complot, tireur isolé, balle magique et tout le toutim…  Et quand l’action débute, Kennedy ne sera pas président avant trois ans ! Tout ce temps, George va le mettre à profit pour vivre une nouvelle vie, reprendre un poste de professeur, rencontrer Sadie, une jeune femme dont il va tomber amoureux. Là encore, comment concilier respect et confiance envers celle qu’on aime lorsqu’on « vient du futur » pour sauver un président pas encore élu ?! George est dans une situation très inconfortable, doit mener de front deux existences, celle du George des années 60, et celle du Jake issu de 2011…
    
Marina et Lee Harvey Oswald
Alors oui, il y a des longueurs. A la louche, une bonne centaine de pages en trop. Les spectacles de fin d’années, et le passage de l’agression contre George, son hospitalisation, sa rééducation. C’est un peu longuet, mais finalement sans doute nécessaire au suspens, à l’intrigue. Car cette immobilisation forcée contrecarre ses projets, l’oblige à s’ouvrir aux autres, à Sadie en particulier. Car George étouffe, il doit sans cesse mentir à ceux qui l’entourent, l’ont adopté dans leur communauté. Sadie, elle-même victime d’une agression, va remettre en cause les priorités de George. Sauver la femme qu’il aime, ou sauver un président des Etats Unis ?

Ce sont parmi les innombrables questions que pose ce roman, qui, lorsqu’on y repense ensuite, donne le vertige ! Il y ait question de la fameuse théorie de l’effet papillon, tout acte si infime soit-il aura une conséquence ailleurs et plus tard. La thèse de Stephen King prend comme postulat que plus le changement est important, plus les conséquences le seront. Qu’advient-il en 2011 si Kennedy survit à l’année 63 ? Il y a aussi cette idée de "passé tenace" un passé qui ne veut pas être changé, qui résiste, se rebelle, comme le montre les multiples embûches vécues lors de la dernière et fatidique journée. Ainsi que "l'harmonisation du passé" et ces infimes petites corrections, ces hasards qui n'en sont peut être pas, à moins que les "remises à zéro" du compteur de temps ne soient pas si fiables que ça... 

La voiture de George : Plymouth Fury
Le livre est un questionnement sur la notion de responsabilité, doublé d’une belle histoire d’amour, essentielle, puisqu’elle permet de mettre en balance les intérêts individuels et intimes du héros avec son hypothétique responsabilité historique. Sans oublier la peinture nostalgique de l’Amérique tel que Stephen King semble la regretter, sauf vis à vis du tabagisme (beaucoup de références au cinéma, à la chanson, nourriture saine et bagnoles rutilantes, comme la Plymouth, aussi utilisée dans le livre et le film CHRISTINE). Je dois confesser qu'au bout d'un moment je commençais à trouver les propos de King un peu réac, avant qu'il ne précise que cette Amérique était aussi celle du maccarthysme, du ségrégationnisme, pétrie dans ses contradictions et sa paranoïa face à la crise de Cuba.

Je trouve la fin tout à fait remarquable dans son scénario, qui évite les pièges du mélo, même si le tableau d’un monde post-Kennedy tel que décrit à un moment, frise davantage le grand guignol que l’analyse de projections géopolitiques ! De même certains pourraient être frustrés pas l’absence d’explications rationnelles, mais en SF, c’est souvent le cas. Lecture roborative, parfois redondante, mais le plus souvent rondement menée, ingénieuse. Une intrigue qui ne pourra que séduire Hollywood. Perso, je verrai bien un David Fincher s’y coller…  

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