vendredi 20 décembre 2013

GILDA de Charles Vidor (1946) par Luc B.



C'est mon cadeau à moi. Pour Noël. Philou, lundi dernier, a commencé à dresser une liste de bonnes choses à offrir, pour ceux qui s'y prennent au dernier moment, ou en panne sèche d'idée. Sur ma liste, il n'y a qu'un nom : Gilda. C'est mon cadeau, et un peu celui de Rita... A (vous) offrir, et profiter sans modération. De deux choses l'une. Soit vous connaissez ce film, et donc forcément vous l'avez vu 14 fois (c'est un minimum) soit vous allez découvrir. Et ça raconte ça...  

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Gilda. Un titre qui fait rêver, un joyau tel que pouvaient en produire les studios de Hollywood, au meilleur de leur forme. La même année, en 1946, on peut aller voir LE GRAND SOMMEIL, LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS, LES TUEURS, LES ENCHAINES… pour ne parler que des Films Noirs. Les Films Noirs peuvent être centrés sur une intrigue criminelle, ou sur un drame sentimental. GILDA appartient à la seconde catégorie. Même si le film est traversé par une sombre histoire de trafic de tungstène, de vol de brevet (comme l’histoire de l’uranium en bouteille dans LES ENCHAINES d’Hitchcock) le cœur du problème est ailleurs. Dans un trio amoureux aussi inédit que vénéneux.

L’action se passe à la fin de la guerre, à Buenos Aires. Un riche propriétaire de dancing et de casino, Balin Mundson, prend sous son aile un joueur de craps, Johnny Farrell, et en fait rapidement son adjoint. Farrell s’adapte vite au milieu des jeux, de la nuit, du blanchiment d’argent et autres petits trafics. Et notamment ceux de Mundson, avec deux allemands patibulaires. Mundson a toute confiance en Farrell, lui laisse les clés pendant qu’il part en voyage. A son retour, il est marié. Sa femme s’appelle Gilda. Mundson la présente à Johnny Farrell. Il nous apparaît bien vite que Johnny connait Gilda, que Gilda connait Johnny, et qu’ils se sont surement aimés par le passé… 

Le réalisateur Charles Vidor, alors sous contrat à la Columbia et qui ensuite travaillera en free-lance, met en scène un trio de personnages rongés par la jalousie. C’est d’abord la rencontre des hommes : Mundson, le port aristocratique, blond, fin, un foulard de soie au cou, qui tombe sous le charme viril du brun et costaud Johnny Farrell et de ses mauvaises manières. Ils deviennent rapidement complices, Mundson lui laisse gérer le casino pendant qu’il traficote dans son coin. Mais autre chose lie ces deux hommes, une attirance mutuelle, visiblement sexuelle, à voir avec quel plaisir Mundson exhibe sa canne, dont l’extrémité est munie d’une lame rétractable… Attribut phallique et instrument de mort. Les deux hommes s’attirent, l’un envie le pouvoir et la richesse de l’autre, le second envie le charisme et la force du premier.

Histoire d’envenimer les choses, une femme arrive dans le scénario. D’où vient-elle, qui est-elle, on le sera plus tard, mais le hic, c’était que Gilda et Johnny Farrell ont été amants, la rupture fut brutale. Gilda fait payer à Johnny ses amours déçues, en multipliant les aventures avec des hommes de passage, glanés dans le casino même de son mari. Johnny se démène pour sauver les apparences. Le pouvoir érotique de GILDA laisse pantois quand on sait celui de la censure à l’époque, et du code Hays en particulier. Rita Hayworth, qui a quitté Orson Welles pour commencer une liaison avec son partenaire Glenn Ford, interprète ni plus ni moins qu’un objet de convoitise. Dans le grand numéro « Put the blame on me » elle s’offre littéralement aux hommes de la salle, invités à venir lui retirer sa robe ! 

Ce striptease, destiné à mettre en valeur le corps de l’actrice, son passé de danseuse, et sa chevelure rousse flamboyante qu'elle ne cesse de faire voltiger, est passé à la postérité, lorsque Rita Hayworth, en robe fourreau noire, fait glisser le gant de son bras, seul élément de son effeuillage ! (on se souvient du pastiche d’Alice Sapritch dans LA FOLIE DES GRANDEURS !). Mais on aurait tort d’oublier la suite de la scène (rarement montrée). Ce numéro de glamour extrême se termine violemment, Johnny, exaspéré, entraine de force Gilda à travers une foule d’hommes excités, avant de la serrer dans un coin et la gifler. Parce qu’elle humilie son mari devant tous, ou parce que Johnny ne connait plus que ce moyen pour prendre du plaisir ? On peut s’interroger sur l’exacte virilité des deux protagonistes masculins… Parmi les innombrables allusions au sexe, il y a ce plan cocasse, étrange, où Glen Ford offre du feu à la cigarette de Rita Hayworth, mais en laissant sa main à hauteur de ceinture (généralement, on lève le briquet vers la personne), ce qui oblige la Rouquine à se baisser à hauteur de braguette. Maintenant, on en pense bien ce qu'on veut...
 
A ce drame morbide et pervers, s’ajoutent les histoires de cartels, d’ex-nazis (comme dans LES ENCHAINES, mais au lendemain de la guerre ce thème sera souvent exploité). Mundson est pris en tenaille. Il organise sa fuite le soir de la Saint Sylvestre. Mais il veut emmener Gilda et charge Johnny de la retrouver dans l’assistance survoltée. Une scène superbe, un long mouvement de caméra à la grue au-dessus des danseurs éméchés, jusqu’à la découverte d’un cadavre fraichement poignardé…  

Le film bascule alors dans un autre type de thriller, psychologique celui-là. Johnny Farrell épouse Gilda, mais pas pour l’aimer, pour la contraindre à la solitude, l’enfermer dans une cage dorée, et savourer sa vengeance. Le petit défaut que je trouve au film est juste à la fin. Après un rebondissement, superbe, le monologue de Mundson qui suit est trop insistant et dénature le côté envoutant. Ca sent le rajout de dernière minute, genre, les gens ne vont pas comprendre si on n'explique pas... Ensuite, un épilogue moins rapide nous aurait permis de profiter du film quelques minutes de plus. Ca se finit trop vite ! On en redemande !

Car je le répète, GILDA est une splendeur, visuelle, avec ce noir et blanc saisissant, ses plans séquences magnifiques, une profondeur de champ et un travail sur les axes qui place chaque personnage dans sa caste, du modeste Pio, à l’arriviste Johnny. Pio fait partie de ces seconds rôles qui marquent, préposé aux toilettes et philosophe de bazar (lorsque Johnny entre deux périls choisit de secourir son patron plutôt que Gilda, Pio lui dit : « maintenant je sais, du gentleman ou du paysan, vous êtes le paysan »). Comme l’énigmatique capitaine Delgado qui traine ses basques partout. Dans GILDA tout le monde s’épie, au travers de stores, de portes entre-ouvertes, filatures, espionnage, personnages troubles qui peuplent le casino comme les trafiquants de chez Rick’s, le bar de Bogart dans CASABLANCA. GILDA est aussi un modèle de scénario, de construction, de sous-entendus, au travers de dialogues absolument brillants, servi par un trio de comédiens parfaits, Glenn Ford, George MacReady et Rita Hayworth (qui parvient entre deux défilés de mode a réellement nous émouvoir).

De tous les chefs d’œuvre sortis dans les années quarante, GILDA fait partie de ces diamants noirs, un coup de maître dans une carrière. Si vous ne connaissez pas, je vous envie, car vous allez découvrir… quoi… un des plus beaux films du monde, tout simplement ! 

Et joyeux Noël à vous !!

PS : y parait (c'est mon fils qui m'a dit ça, je le crois sur parole, alors que je fredonnais le thème de "Put the blame on me" genre, ah, tu connais cette chanson ?) que cet extrait était présent au début d'un clip de Michael Jackson, "Smooth criminal", et lorsque Rita lance son gant, c'est MJ qui le rattrape... J'avais donc promis d'en parler. Voilà. C'est fait. 

Bande annonce (avec un rajout contemporain de musique, procédé insupportable...)

3 commentaires:

  1. Oh que oui que c'est un beau film ... bon, ben vais le un de ces jours ressortir du boîtier y'a longtemps que je l'ai pas revu ...

    Sinon, je pense que le strip-tease de Sapritch c'est beaucoup plus inspiré par la danse des sept voiles de Salomé, la légende antique et l'opéra de j'sais plus qui (en fait j'ai jamais su de qui, ni cherché à savoir d'ailleurs)...

    Bonnes fêtes à toi et aux autres qui passeraient par là ...

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  2. Il s'agit de la danse des 7 voiles du "Salomé" de Richard Strauss d'après la pièce d'Oscar Wilde traduite en allemand... L'un des opéras les plus glauques avec gros baiser langoureux sur les lèvres de la tête tranchée de Saint-Jean Baptiste pour conclure...

    Il y a quelques chanteuses qui alliant qualité de la voix et esthétique ont terminé cette danse.... totalement nues... C'est rare, mais avouons qu'elles assurent...
    http://www.youtube.com/watch?v=x3jF3g4KBbw avec Maria Ewing qui avait déjà 42 ans !!!!

    Ben oui quoi, un strip c'est un strip ou ce n'en est pas ;o)

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  3. Merci du passage les gars (vous vous y connaissez en strip... incroyable !) et bonnes fêtes itou !

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