jeudi 16 janvier 2014

JACQUES BREL UNE SCENE DE VIE par Pat Slade






De la lumière aux salles obscures




A 37 ans le 29 octobre 1966, Jacques Brel fait ses adieux sur la scène de l’Olympia (Même si son dernier concert sera à Roubaix en mai 1967). Après un ultime rappel, et 20 minutes d’applaudissement d’un public qui le réclame, il revient sur scène en peignoir pour un ultime adieu. Adieu à la scène, oui, mais l’abbé Brel, comme l’avait surnommé Georges Brassens ne disparaît pas dans une retraite cachée à l’autre bout du monde, du moins pas encore.


En 1967 sous la coupe de l’ancien avocat André Cayatte, Brel passe devant la caméra dans «Les risques du métier» avec le rôle de Jean Doucet. Un instituteur accusé de tentative de viol et d’attouchement auprès de certaines de ses élèves. La pédophilie à l’époque n’était pas omniprésente dans l’actualité, donc le sujet était sensible. Le combat de cet homme contre de fausses accusations est un rôle en or pour Brel. Une brochette d’acteur comme Emmanuelle Riva qui sera sa femme à l’écran ou encore Delphine Desyeux, que l’on avait pus découvrir un an plutôt dans le feuilleton télévisé «l’âge heureux». Sortie en décembre 1967, le film fera le très bon score de 3 523 573 entrées. Premier succès pour le Brel acteur.


Un an plus tard, Il se coiffe du melon du bandit anarchiste Raymond Callemin dit «Raymond la science» dans le film de Philippe Fourastié «La bande à Bonnot». Bruno Cremer sera Jules Bonnot, Jean- Pierre Kalfon sera Garnier et Annie Girardot jouera le rôle de Marie la Belge. Un film historique sur la bande de bandits la plus connue de l'histoire de la criminalité, mais hélas un film bourré d’erreurs et d’anachronismes. Raymond Callemin (brel) n’a jamais eu de moustache et ce n’est pas lui dans le film qui se blesse avec son browning, mais Edouard Carouy joué par François Dyrek etc..  Sortie en novembre 1968 sous le n° de visa 34041, le film ne rencontrera pas le succès escompté et ne rentrera même pas dans le box office. On peut s'appeler Jacques Brel et ne pas avoir du succès tous le temps.


Il revient sur scène le temps de jouer une adaptation d’une pièce américaine ayant bien marché à Broadway «L’homme de la Mancha» avec Dario Moreno et Joan Diener. Il commence les répétitions pendant l’été 1968, l’album est enregistré par ailleurs, mais un gros coup du sort frappe la pièce avant sa première. Le 1er décembre, Dario Moreno qui devait jouer le rôle de Sancho Pança meurt d’une hémorragie cérébrale. Robert Manuel reprend le rôle. La comédie musicale, qui sera un succès, ne se jouera que jusqu’au 17 mai 1969, à la demande de Brel fatigué qui perdra 10kg en jouant le rôle. 


Au début de l’été 1969, on tourne «Mon oncle Benjamin» de Edouard MolinaroJacques Brel est l’homme en habit rouge, Benjamin Rathery médecin de campagne principalement  des pauvres, roturier, ripailleur, ivrogne, coureur de jupons, en deux mots un bon vivant. L’action se passe sous le règne de Louis XV. Benjamin Rathery  qui se dit l'égal des nobles, est amoureux que d’une seule fille. Malgré sa réputation de fabriquant de cocus, il  poursuivra de ses assiduités Manette (Claude jade) la fille de l’aubergiste et aura quelques problèmes avec le marquis de Cambyse (Bernard Blier). 
Pour les besoins du film Brel gardera la longueur de cheveux qu’il avait quand il jouait « L’homme de la Mancha». Un film avec des scènes hilarantes, paillardes mais pas vulgaires, avec les fesses de Bernard Blier et de Jacques Brel en gros plan, une belle affiche alléchante ou l’on peut y retrouver Paul Frankeur, Armand Mestral, Rosy Varte, Paul Préboist, Alfred Adam et son chien «Fontenoy». Sortie en salle en novembre 1969, 2 722 179 spectateurs iront le voir. 


1970.  Avec «Mont-Dragon», il attaque un rôle plus grave et plus sombre. Celui d’un militaire chassé de l’armée pour avoir cocufié son colonel. A la mort de ce dernier, suite a une chute de cheval, il revient au domaine de Mont-Dragon pour sa revanche en utilisant la gente féminine du château. Ce n’est pas le film le plus connu de Brel. Sa sortie en décembre 1970 sera frappée d’une interdiction au moins de 16 ans. Il fera quand même un score honorable de 1 259 182 entrées.


«Les assassins de l’ordre». Marcel Carné demande à Brel de jouer le rôle du juge d’instruction Bernard Level. L’histoire commence par l’arrestation d’un garagiste soupçonné d’un casse et qui ressortira du commissariat quelques heures plus tard pour être transporté à la morgue. Sa veuve porte plainte et le dossier est confié au juge Level (Brel) avec ordre de gérer l’affaire au mieux. Il acquiert la certitude que la victime a été violentée dans les locaux de la police. Malgré la pression qu’il subit, il parviendra à faire inculper les policiers incriminés. Il devient un symbole pour les étudiants (Nous sommes après les événements de mai 68) et pour la presse. Mais finalement, les policiers seront acquittés. 
Sortie dans les salles en mai 1971, il n’aura pas le succès escompté malgré le sujet délicat et sensible pour l’époque et la belle brochette d’acteurs que Marcel Carné a choisie. Il recevra tous de même une récompense avec le Prix des Spectateurs au Festival International du Film à Moscou en juillet 1971. En France 1 142 534 d'entrées en font pour l’instant le plus mauvais Box Office pour l’acteur Brel




Brel le réalisateur



Que ce "touche à tout" passe derrière la caméra, il n’y avait qu’un pas, et il le franchira en 1971 avec sa première réalisation «Franz». L’histoire d’un ancien mercenaire blessé à la jambe au Katanga (Léon) qui pensera trouver l’âme sœur en Léonie (Barbara) et qui finira dans la mer de Nord pour dernier terrain vague.
Sortie en février 1972 cette première réalisation sera un bide complet malgré le duo Brel-Barbara.C’est pourtant un film sensible, joué tout en finesse. Malheureusement, il est tombé trop vite aux oubliettes. A rajouter a l’affiche, Danièle Evenou dans le rôle de Catherine la jeune femme dévergondée. Pas de box office pour ce film à redécouvrir.

Il revient devant la caméra comme acteur uniquement avec «Le Bar de la Fourche» en 1972. L’histoire d’un Belge aventurier et coureur de jupons en 1916 qui s’expatrie au Canada espérant retrouver Maria (Rosy Varte) un amour de jeunesse. Il croisera sur sa route un adolescent avec qui il se lie d’amitié. Ils arriveront tous les deux sur les bords du Saint Laurent au Bar de la Fourche tenue par Maria. S’en suivra une rencontre avec Annie (La toute jeune Isabelle Huppert qui avait 19 ans et tournait son troisième films) qui essayera par tous les moyens légaux ou illégaux d’épouser l’un ou l’autre des deux hommes qui en fin de compte réussiront à échapper au piège.

Ce film «Alimentaire» pour Jacques Brel suite à l’échec de «Franz» ne marchera pas mieux dans les salles que sont prédécesseur. Pour l’anecdote, signalons que tous les extérieurs ont été tournés dans la forêt de Paimpont en Bretagne et que deux jeunes futurs talents, en plus de Isabelle Huppert, apparaissaient à l’écran : Gérard Darmon et Diane Kurys



Retour du succès



Toujours en 1972, «L’aventure c’est l’aventure» de Claude Lelouch où cinq truands dans le genre Pieds Nickelés se recyclent dans le rapt et l’enlèvement. L’histoire n’a rien d’extraordinaire. On y voit une satire bon enfant des changements politiques de l’après 68. Mais c’est surtout un immense et  un joyeux bordel mené par une bande de quinquagénaires qui essayent de s’adapter à une époque qui les a complètement dépassés. Les acteurs (Ventura, Brel, Denner, Maccione, Gérard) se lâchent complètement et surtout l’amitié qui les unissait dans la vie traverse l’écran. Un film qui n’est pas un chef d’œuvre mais qui restera dans les mémoires. Le Rôle du Général Ernesto Juarez est joué par Juan Luis Buñuel qui n’est autre que le fils du réalisateur Luis Buñuel (Un chien Andalou). Dans une scène du film, un Hors-bord accoste le voilier des cinq hommes. A bord se trouvent cinq femmes dont l’une est Maddly Bamy. C’est dans ce contexte que la Guadeloupéenne rencontrera Jacques Brel et qu’elle sera sa dernière compagne. Ce sera un succès dans les salles avec 3 815 477 entrées et des rediffusions télévisées à profusion.

François Pignon débarque sur les écrans. Jacques Brel endosse le costard de ce représentant en chemise "porte poisse". Son souffre douleur sera Lino Ventura qui jouera le rôle de Ralf Milan, le tueur à gage, dans cette adaptation de la pièce de Francis Weber «Le contrat» qui à l’écran prendra le titre de «L’Emmerdeur». Y a t-il besoin de raconter l’intrigue de ce film que tout le monde à au moins vu une fois dans sa vie ? Un suicidaire délaissé par son épouse (Caroline Cellier, l’épouse de Jean Poiret dans la vie) partie pour consulter un neurologue réputé, le docteur Fuchs (Jean Pierre Darras), et qui va pourrir la vie du tueur venu à Montpellier pour exécuter un contrat.
Une anthologie de scènes loufoques et décalées, un Lino Ventura excellent en tueur calme et zen mais débordé par les évènements. Un Brel qui fait des merveilles en emmerdeur de service, résultat : 3 354 756 entrées pour cette comédie que l'on ne se lasse pas de voir et de revoir. Une version tournée en 2008 par Francis Weber avec Patrick Timsit et Richard Berry n'arrivera pas à égaler celle de Edouard Molinaro.

En 1973, Brel revient à la réalisation pour la deuxième fois avec «Le Far West». Une histoire d’adultes avec une passion commune pour cette époque des cow-boys et des indiens, même si leurs grand canyons ressemblent à un terril, ils sont heureux et jouent comme des mômes. Jusqu’au jour ou ils trouvent de l’or. Ne pouvant pas restituer leurs trouvailles, le jeu de gosse ce terminera en Fort Alamo.
Film d’une grande tendresse, empreint d’une poésie typique de Brel, on peut y entendre la chanson «L’enfance» qui résume bien l’atmosphère du film. Une multitude d’acteurs de talent. Danièle Evenou, Juliette Gréco, Gabriel Jabbour, Charles Gérard, Michel Piccoli pour ne citer que ceux-là. Encore un coup d’épée dans l’eau pour le Brel réalisateur malgré l’aide de Claude Lelouch dans la réalisation. Le film sera un demi-échec malgré trois nominations à cannes : Grand prix, Prix du jury et Prix spécial du public.

Mort Schuman - Jacques Brel
En 1974 le cinéaste Québécois Denis Héroux tourne le documentaire «Jacques Brel est toujours vivant et il vit heureux à Paris». Jacques Brel sera coscénariste de ce film. La comédie musical d’origine était jouée à Broadway depuis janvier 1968 et restera à l’affiche pendant plus de quatre ans. Un des acteurs et adaptateur des morceaux restera célèbre en France, Mort Schuman.

Le dernier film avec Jacques Brel est récent. C’est un documentaire de 2011 réalisé par Jacques Lévy. «Tu sauras qui je suis : Brel, Barbara et Franz». Un film de 52 minutes sur le tournage de «Franz». Il est dommage que ce dernier qui rassemblait deux monstres sacrés de la chanson française soit complètement passé inaperçu.

Inutile de rajouter qu’il composera pratiquement toutes les musiques et écrira les chansons des films auquel il participera.

La suite ? Tout le monde la connait. En 1974, Jacques Brel apprend qu’il est atteint d’un cancer. Il abandonne tous et part sur son voilier l’Askoy direction Les Marquises. Il reviendra à Paris en 1977 enregistrer son dernier et ultime album «Les Marquises», il retourne dans son île avant l’échéance de la faucheuse qu’il ne craignait pas. Il fera son ultime voyage en métropole pour y mourir en octobre 1978. Il repose au cimetière d’ Atuona au Marquises avec Gauguin comme dernier «pote» pour l’éternité.

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