vendredi 3 janvier 2014

LE LOUP DE WALL STREET de Martin Scorsese (2013) par Luc B.


LE LOUP DE WALL STREET est la cinquième collaboration de Martin Scorsese et Léonardo Di Caprio. Cette fois, ils en sont tous les deux producteurs. Qu’un acteur soit à l’origine d’un projet n’est pas nouveau. Déjà, les Bogart, Wayne, Douglas, Lancaster, et plus tard les Nicholson, les Beatty, avaient mis leur poids dans la balance. Hollywood n’a jamais été le règne des réalisateurs. Rappelons que l’oscar du meilleur film est remis au producteur. Et pour être sûr qu’un metteur en scène ait son indépendance artistique, face à la suprématie des studios, les stars coiffaient leur casquette de producteur. Et s’assuraient les royalties en cas de succès… Malgré sa renommée et son talent, un type comme Scorsese ne décide plus des films qu’il veut tourner. HUGO CABRET était une commande. Son seul nom ne suffit plus. Celui de Di Caprio, oui. C’est donc lui qui achète les droits du livre autobiographique de Jordan Belford, et propose le projet à Scorsese. Aussi excessifs qu'ils paraissent, les évènements de cette histoire sont donc réels...  

Scorsese revient à un genre qu’il maitrise bien : la fresque. Grandeur et décadence dans le monde des voyous. La construction renvoie à CASINO, et aux AFFRANCHIS. On y retrouve un long récit (2h45), la voix off, le flashback, la paranoïa, les personnages mis sous surveillance par le FBI, l’explosion de la cellule familiale, divorce, guerre pour la garde des gosses… Du déjà vu, sauf qu’ici les voyous ne viennent pas de la Mafia, mais de la haute finance. Scorsese filme ses traders comme ses gangsters. Et le film ne s’apparente plus à une tragédie antique (souvenez-vous de CASINO, et La Passion de St Mathieu, les violons de Delerue) mais à une farce. Scorsese avait déjà gouté au genre dans LA VALSE DES PANTINS. 

Les premières minutes nous plonge dans un univers qu’on connait bien, voix off, riff de blues. On commence par « Dust my broom » (pas le plus mauvais choix), la musique est supervisée comme toujours par Robbie Robertson, ex de THE BAND, rencontré à l’occasion de THE LAST WALTZ). On entendra « Boom boom », ou « Respect », « Mrs Robinson » version punk rock (et oui, le temps de l’insouciance pop-folk est enterré) et même « Ça plane pour moi » !! Le film démarre à 100 à l’heure, présentation de Jordan Belfort, 22 ans, apprenti courtier, qui gagnera ses galons quand la banque qui l’emploie dépose son bilan. Il décide de monter son affaire, minable au départ, avec une bande de guignols, à vendre des actions de 6 cents. Sauf que vendre des produits pourris aux pauvres incrédules, c’est bien, mais en vendre aux riches c’est mieux. Il ne s’agit pas d’équité sociale, mais simplement de prendre dans les poches qui contiennent le plus. L’argent. Le nerf de la guerre, de la vie, pour Belford. Quand Belford nous expose par le menu toutes les drogues qu’il prend, on le voit finir par sniffer de la coke avec un billet. Sa meilleur dope. Pas la coke. Le billet !  

L’argent permet tout. Il achète tout, y compris les femmes, y compris les banquiers (surtout en Suisse, avec Jean Dujardin dans le rôle), y compris le FBI. Enfin, pas toujours, là, Betford tombe sur un os. Un agent qui l’a dans le collimateur. Jordan Belford, grisé par le succès, se croit invincible. L’homme n’est pas très malin. Encore moins sympathique. Alors qu’il avait l’occasion de faire profil bas après ses ennuis avec la C.O.B. il persiste et signe, et perdra tout. Belford n’a pas de recul. Il ne semble pas en mesure d’analyser sa trajectoire, de prévoir les coups. On croit voir une success story, mais Scorsese filme le parcours d’un looser. Denham, du FBI, a cette réplique : d'habitude j'arrête des fils à papa, qui reprenne l'héritage familial. Vous, vous vous êtes fait tout seul... D’ailleurs, tout au début, dès sa première embauche, un type lui explique qu’il n’est qu’une sous raclure de merde. Scorsese reste flou sur les aspects techniques, financiers. Ce n’est pas un décryptage du CAC 40. Dans un plan, Belford commence à nous expliquer sa tactique, et brusquement, regard caméra : vous ne pigez rien ? Ce n’est pas grave… On n’est pas dans un documentaire. 

Le film est excessif jusqu’à la nausée ! Le petit Marty frappe fort ! Ce ne sont que partouzes à répétition, montagnes de coke, kilos de pilules, et hurlements. Jordan Belford s’adresse à ses employés en hurlant dans son micro, comme une rock star, mais davantage comme un gourou, un prédicateur qui scande son sacerdoce à ses ouailles, qui le suivent aveuglément, célébrant dans des cérémonies païennes leur foi envers le dieu dollar. Tout le monde souhaite gagner de l’argent, dit Belford. Non, pas les Amish, eux ils veulent juste fabriquer des meubles en bois, rétorque un pote. Réplique ironique, mais qui en dit long sur l’asservissement à l’argent. Plus on en a, plus on en veut, plus on veut le faire savoir, et en même temps, le soustraire, le cacher, par des moyens que seul l’argent, justement, permet !  

Dans cette débauche de scènes excessives (les séquences au bureau vont très, loin la femme à qui on rase les cheveux met mal à l’aise) quelques moments de répit, avec trois scènes de dialogues, longues, et admirablement construites. Au début, le déjeuner avec Matthew McConaughey (extraordinaire avec son brushing irrésistible), qui fera date. Apparemment en partie improvisée. Ou l’échange entre Belford et l’agent Denham, sur le bateau, où chacun avance masqué. Ou cette discussion à propos du règlement exact du lancer de nains, scène presque tarantinesque.

Scorsese se caricature-t-il lui-même ? Les détracteurs pourraient le penser. Mais je crois qu’il adapte son style au genre (la farce, donc, le grotesque) et aussi à son époque. On a l’impression que si les héros de MEAN STREET (1973) avaient grandi deux décennies plus tard, ils auraient donné ça, filmé comme ça. Scorsese ne porte pas de jugement moral. Pas besoin. Les personnages se condamnent eux-mêmes par leurs comportements. Quand on bout de 2 minutes de film, Di Caprio sniffe sa coke sur le trou du cul d’une blonde, ça en dit long sur les exigences du monsieur ! Et puis la crise économique est passée par là entre temps. Pas besoin d’expliquer où ce genre d’agissements, de philosophie peut mener.
Mais à force de caricature, les personnages perdent en consistance. Belford n’évolue pas. On pourra reprocher cet aspect. Dans CASINO, LES AFFRANCHIS, les personnages avaient de l’épaisseur, même camée jusqu’aux yeux, la Sharon Stone de CASINO faisait vivre son rôle, on ressentait de l’empathie, escrocs ou pas, tueurs ou pas, le spectateur faisaient corps avec eux. Il y avait des enjeux personnels, sentimentaux. Ici, Scorsese ne nous en donne pas l’occasion. Même le père de Jordan lui sert la soupe (joué par Rob Reiner), car il bouffe au passage. C’est sans doute la limite du film, parce qu’ils sont tous bêtes, méchants, grossiers, vulgaires. De même qu'on ne retrouve pas le thème de la rédemption, chère à notre italo-américain préféré. N'y aurait-il rien à sauver chez ces gens-là ? 

Martin Scorsese nous bluffe encore sur sa capacité à narrer son intrigue. C’est fluide, rythmé, inventif, drôle. La scène de l’overdose au « Lemon » périmés est grandiose, ou les scènes dans l'avion ! Tout est centré sur Belford, et Di Caprio est de tous les plans, sort évidemment la grande prestation, donne de sa personne ! Il ne bouffe pas le film pour autant, les seconds rôles sont nombreux, même si celui de sa femme aurait mérité d’être mieux écrit. L'actrice est jolie, c'est à peu près tout... Mention pour son pote Donnie, que Joe Pesci aurait pu jouer y’a 20 ans, là c'est Jonah Hill, et il est formidable, déjanté et inquiétant, ou la tante Emma, jouée par Joanna Lumley (la Purdey de Chapeau Melon) bourgeoise british pas si digne que ça !




5 commentaires:

  1. Je viens d'aller le voir: "Pu*ain d' bord*l de m*rde !!!!" comme dirait l'autre. Il y va fort le Belfort. Très fort même.
    "Welcome to the Jungle" chantaient les Guns and Roses à la même époque. Tu l'as dis bouffi !

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  2. Pas franchement ce qu'on appelle un "spectacle familial", hein ?!!! Lu une interview de Di caprio qui rappelait tout le mal à monter financièrement le projet, car ils voulaient faire (je cite) "un film adulte, pour les adultes, et ça à Hollywood, c'est quasiment une insulte !".

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  3. Ai vu le film également. Faut quand même rappeler que Di Caprio s'est "battu" avec Brad Pitt pour avoir les droits du bouquin pour en faire un film. Il devait quand même savoir où il allait...
    Du mal à comprendre ceux qui lui font un "procès" quant à l'apologie du personnage!! Comme tu dis y'a "rien à sauver chez ces gens-là". D'ailleurs ils se bouffent entre eux à la fin et l'autre il continue de faire du fric en tenant des conférences. Faut les faire piquer à la naissance...
    Film qui fait douter sur la nature humaine, La Vie Rêvée de Walter Mitty m'a redonné le sourire, pas parfait mais avec l'idée à retenir: cesser de constamment vouloir tout prendre en photo ou filmer, mais juste profiter du moment présent.

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  4. Apologie... Le mot à bannir !! On ne peut plus rien dire, montrer, filmer, sans que cela devienne une apologie !! Parce que c'est sur un écran, c'est donc forcément vrai (et l'acteur y se drogue vraiment ???) les spectateurs ne seraient plus doués de recul, d'analyse, de pensée... Quelle misère ! C'est ce que disait Di Caprio, on ne peut plus faire des films adultes, pour des adultes...

    Walter Mitty ? Mes gosses voulaient le voir, pas trouvé le temps de les emmener. Seul, j'étais un peu frileux...

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  5. Oh ! moi tu sais Juan Loco, la nature humaine pour ce que j'en pense... Elle revêt si souvent pour moi tout ce qu'il y a de plus abjecte, de cruelle et de fourbe...
    De temps à autres toute fois, quelques éclairs de bonté et de génie la traverse ici ou là. Faut bien que la connerie se repose, elle aussi, de temps à autre.

    Quant au film "La vie rêvée de Walter Mitty", je n'ai pas su qu'en penser. Je m'attendais tellement à quelque chose de plus enlevé, de plus naïf, de plus fou (drôle) dans son récit... En réalité je crois que je m'attendais a voir une comédie, alors que ce n'en n'est (pour moi) pas vraiment une.
    Le film est bien plus souvent sombre que son contraire. Il montre si fortement à quel point, dans le monde du travail d'aujourd'hui, les valeurs et les compétences humaines (individuelles ou non) n'intéressent plus grand monde, et surtout pas les nouveaux décideurs,tous ces jeunes loups aux dents longues.

    Putain de siècle !

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