vendredi 21 février 2014

L'AMOUR EST UN CRIME PARFAIT de Jean Marie et Arnaud Larrieu (2014) par Luc B.


Aïe... Je me faisais une joie de vous parler du dernier film des frères Larrieu L’AMOUR EST UN CRIME PARFAIT. Je fondais de grands espoirs sur ce thriller adapté d’un bouquin de Philippe Djian. Les frangins réalisateurs avaient commis le formidable PEINDRE OU FAIRE L’AMOUR (2006) avec Daniel Auteuil, Sabine Azéma et Sergi Lopez. Acteur qu’on retrouvait dans LES DERNIERS JOURS DU MONDE (2009), fable apocalyptique d’une puissance visuelle peu commune, avec Catherine Frot, et déjà Mathieu Amalric et Karin Viard. Jean Marie et Arnaud Larrieu ont un univers bien à eux, ils apportent un soin extrême à leurs mises en scène, c’est un cinéma assez cérébral, ludique, décalé, où il est très souvent question de jouissance, de bonne chaire, d’attirance, de pulsions, de destruction.

L’action se déroule à l’université de Lausanne, Marc y est prof de littérature. Marc a de très belles étudiantes, et quand le film commence, il en embarque une chez lui, pour la nuit. La jeune Barbara, chaude comme la braise dans ce froid polaire. La voiture qui serpente dans la montagne enneigée, vers une habitation isolée, renvoie au générique de SHINING. La route tortueuse vue comme un cerveau dérangé.

Barbara a disparu. Les flics enquêtent. Sa belle-mère Anna aussi, qui s'intéresse de près à Marc, harcelé par une autre élève, la bouillante et névrosée Annie, dont le père a des relations dans le Milieu. Marc dont la réputation et la raison vacillent, vit dans un chalet isolé avec sa sœur, une relation troublante, presque incestueuse. Voilà posées les bases de ce thriller prometteur, sulfureux, pervers, énigmatique, qui n’est pas sans me rappeler l’univers de Patricia Highsmith

Alors soit on filme un polar, soit la trame criminelle est un prétexte pour aborder d’autres sujets. Ce que savait faire Hitchcock, notamment dans NOTORIOUS ou VERTIGO, Chabrol ou Tavernier. Un équilibre que les frères Larieu ne trouvent pas. Ils nous laissent sur notre faim pour les deux aspects. Si l’enquête criminelle trouve son épilogue, de telles zones d’ombre sont laissées en pâture, qu’on n’est pas rassasié. 

Chez les Larrieu, on ne justifie pas, on n’explique pas, le spectateur est libre d’interpréter. Mais dans un polar y’a un minimum, les gars… Il n’y a aucune scène de suspens, par exemple. Ce ne sont pas les occasions qui manquaient. Y'a pas d'enquête non plus, si peu de questions posées. Le doute sur la culpabilité, ou non, de Marc, est dissipé au détour d’une scène, hop, sans que cela change quoique ce soit. Avec en plus des incohérences (quand il se débarrasse de la chaussure rouge, le corps sur l'arbre, pourquoi n'est-il pas là ?). C'est déjà arrivé à Claude Chabrol de se contrefoutre de son intrigue pour gratter ailleurs (BELLAMY, MERCI POUR LE CHOCOLAT), mais là, il n'y a ni étude sociale, ni portrait psychologique. 

Car sur les personnages en eux-mêmes, peu d’information, notamment sur la relation entre Marc et sa sœur (dans LES DERNIERS JOURS, Sergi Lopez y aimait aussi beaucoup sa petite sœur…). Les Larrieu ont toujours flirté avec la transgression, et citent ici volontiers les Surréalistes. Marianne rappelle les marâtres jalouses de Walt Disney, les gouvernantes manipulatrices, comme dans REBECCA. Que sait-elle vraiment ? Qu'a-t-elle à nous dire ? On passe d’un personnage à un autre, scènes interchangeables, sans qu’on ne comprenne comment elles s’imbriquent dans le récit. Elle veut quoi Annie à part coucher avec son prof, elle sert à quoi dans le film ? Le trio Marc, Marianne, Richard n'évolue pas, les lignes dramatiques ne bougent pas.   

Les images sont superbes, on peut leur reconnaitre ça, aux Larrieu, ils savent filmer. Leur montagne est menaçante la nuit, virginale le jour. Le décor de l’université, tout blanc, avec ses fauteuils plastique plantés comme une forêt de sapins, ces bureaux vitrés, tout ce jeu de transparence, de miroir, ses filles mini-jupées qui occupent les arrières plans. La musique originale de Curtis Caravaggio, parfois planante avec ces longs plaqués d’orgue Hammond, épouse parfaitement le ballet pervers de la caméra. Et pourtant, quelques faux raccords m’ont agacée la rétine.

Et les acteurs ? Du premier choix : Karin Viard, bien barrée, Sara Forestier toujours épatante, Maïwenn, qui pour une fois ne m’agace pas, l’excellent Denis Podalydès. Et l’omniprésent Mathieu Amalric, regard halluciné, qui clope 25 tiges par plan. On se demande comment on voit encore les acteurs à l’écran tellement ça pompe !

Le problème ne vient pas d’eux directement, mais de la manière dont on leur demande de jouer leur texte. Une diction sur-articulée, syllabes détachées, distinctes, aucune liaison dans les négations. Que Mathieu Amalric, qui joue un prof de lettres imbu et tête à claques, donne dans cette coquetterie, ça pourrait coller au personnage. Mais ce sont tous les acteurs qui parlent ainsi. Je n’avais pas entendu ça depuis Eric Rohmer ! [qui avait l'excuse d'avoir souvent des acteurs inexpérimentés, ici, c'est un style revendiqué]. Résultat, tout sonne faux, et ça creuse une distance supplémentaire entre le spectateur et les personnages, désincarnés. 

On ne s’ennuie pas vraiment, mais on attend sans cesse quelque chose qui n’arrive pas. La mise en scène, froide, calculée, finit par tourner à vide, on ne ressent pas ce qui émane habituellement des films des Larrieu, cette douce euphorie, un parfum de souffre, de jouissance, nimbé de mystère. Parce qu'au-delà de la très vague intrigue criminelle, les Larrieu, dites, qu’est-ce que vous vouliez nous dire ? Hein ? Au final, de quoi ça parle votre film ?  

L'AMOUR EST UN CRIME PARFAIT (2014)
Couleurs  -  1h50  -  scope 2:35




2 commentaires:

  1. "On ne s ennuit pas vraiment", mais c est faux . Tout est plat- Il en se passe rien, c'est un film pompeux, pseudo intellectuel Télérama puissance 10. Successions de scènes sans interet, sans unité.

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  2. Ma femme, qui a souffert le martyre pendant 110 minutes, serait d'accord avec vous !! Malgré tous les défauts que j'ai trouvés au film, je ne peux pas dire que je m'y suis ennuyé. Il y a tout de même quelques bonnes choses à sauver.

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