vendredi 28 mars 2014

FAHRENHEIT 451 de François Truffaut (1966) par Luc B.



Je vous l’accorde, quand on pense à François Truffaut (1932-1984) ce n’est pas FAHRENHEIT 451 qui vient à l’esprit. Parce que c’est un film anglais, en langue anglaise, et de science-fiction. Oui, de la SF. Comme Godard et son ALPHAVILLE (1964). On ne ricane pas dans les rangs !

Truffaut et Julie Christie
Le film est adapté du fameux roman éponyme de Ray Bradbury, publié en 1953. Et on sait que 451°F correspond à la température à laquelle le papier s'enflamme. Le film met en scène une société totalitaire, où la culture, jugée permissive, est interdite, comme les livres, véhicules de connaissance. Guy Montag est pompier. Son métier ne consiste pas à éteindre des feux (dans un dialogue il déclare : éteindre des incendies, moi, un pompier ? C’est ridicule, les maisons sont ignifugées…) mais à les allumer. Il intervint avec sa brigade, généralement sur dénonciation anonyme. Les délateurs n’écrivent pas les noms des gens : l'écrit est banni. On glisse juste leur photo dans une boite aux lettres. Les bouquins sont brûlés, et leurs propriétaires arrêtés. Guy fait la connaissance de Clarisse, qui lui avoue posséder des livres. D’abord suspicieux, Montag finit par s’y intéresser, et ramène chez lui des centaines de bouquins, pour s’y plonger chaque soir, au grand dam de sa femme…

FAHRENHEIT 451 décrit une société sans livre, sans écrit. François Truffaut opte donc  pour un générique lu en voix off, sur fond d'antenne télé. Surprenant générique, avec ce logo Universal d’abord, et une musique identifiable de suite : celle des films d’Hitchcock. Car ce n’est pas George Delerue qui est à la baguette, mais Bernard Herrmann, compositeur attitré de Sir Alfred. Plusieurs parti-pris renvoient à VERTIGO, à commencer par le double rôle féminin tenue par Julie Christie (qui joue Clarisse, blonde cheveux courts et Linda Montag, brune cheveux longs). C’est justement en 1966 que Truffaut publie ses entretiens Le Cinéma selon Alfred Hitchcock, une bible, et on comprend dans FAHRENHEIT 451, combien le réalisateur était imprégné du style de son idole.  

La première chose qui heurte un peu, c’est l’aspect même de ce film, qui parait totalement cheap, voire risible (ricanez, mais regardez la SF hollywoodienne de cette même période, ce n'est pas mieux !). Quelques barres d’immeubles en béton, de drôles de camions, des intérieurs futuristes (comme la cuisine de MON ONCLE de Tati !) omniprésence de récepteurs télé (au format 16/9 avec 30 ans d’avance !), quelques bornes avec gyrophares, et v’là pour ta science-fiction, coco ! Truffaut utilise un train monorail, prototype des années 60 testé près d’Orléans (quand vous faisiez Paris-Tours en train, on en voyait des vestiges). C’est dans ce train que Guy et Clarisse se rencontrent, et lors d’un plan séquence qui suit les deux personnages en travelling, on découvre un vieux pavillon "banlieue" (y habitent Clarisse et son oncle) puis un lotissement moderne constitué de cubes bétonnés identiques (où logent les Montag).  

Le film nous capte vraiment lorsque Montag découvre les livres, les dictionnaires. Une passion interdite qu’il doit cacher de tous. Sa femme Linda est horrifiée, comme si le démon était entré chez elle. Ira-t-elle jusqu'à dénoncer son mari ? Les collègues de Montag se méfient aussi. Montag est mal à l'aise, il s’en rend presque malade, à brûler des livres le jour, et les lire la nuit. Le film est un cri d’amour à la littérature. Lors des autodafés, Truffaut prend soin de filmer les couvertures. Défilent sous nos yeux des dizaines de titres, de Sade à Chester Himes, Flaubert, Cocteau, Nabokov, Stevenson… Même LES CHRONIQUES MARTIENNES de Ray Bradbury ! Et un exemplaire DES CAHIERS DU CINEMA ! Des images sublimes et terribles à la fois, de pages qui se consument lentement, jaunissent, noircissent.

La séquence de la bibliothèque clandestine est superbe. Le chef de Montag arrache les ouvrages des rayonnages, les commente, déversant sa haine contre toute forme de connaissance, au motif qu’elle ne rend pas les hommes égaux devant la culture. Pire que tout, la philosophie, le terminus des prétentieux ! Montag essaie de soustraire des livres à la vindicte de son chef. L'endroit est mis à sac, mais au moment de mettre le feu, la propriétaire refuse de sortir. Elle brulera avec ses livres. Le face à face est tendu, Montag est horrifié par ce qu’il pressent. 

Quand il rentre chez lui, à bout de nerf, il craque devant sa femme et ses amies (quel travelling encore, quelle scène !) et pour les défier, il leurs lit un passage de livre. [Zut, j'ai oublié lequel... note de moi-même !]. Ce sont les réactions des quatre femmes qui sont intéressantes, gênées, troublées, horrifiées, puis l'une d'elle fond en larme. Guy Montag passe irrémédiablement dans le camp de la Résistance. Car on apprend qu'un groupe d'hommes et de femmes résistent, quelque part, Clarisse ira les rejoindre, clandestinement.

C'est la dernière séquence, celle des Hommes-Livres, où chacun s’appelle par le titre du livre qu'il est en train de lire. Bonjour Guerre et Paix, salut Madame Bovary… Ils se récitent mutuellement les textes, pour les apprendre et le transmettre à la génération suivante. Comportement presque sectaire d’ailleurs, de voir ces zombies psalmodiant du Dickens ou du Hugo en marchant en rond. On ne sait de quelle société laquelle serait la plus vivable.

Truffaut refera une incursion dans la langue anglaise en 1971 avec LES DEUX ANGLAISES ET LE CONTINENT (déjà Jean Pierre Léaud en français c’est particulier, alors en anglais…) mais surtout, abordera la SF cette fois comme acteur, dans RENCONTRE DU TROISIEME TYPE de Spielberg en 1977, le petit génie du Nouvel Hollywood tenant absolument à diriger l’auteur de LES QUATRE CENT COUPS.

Guy Montag est joué par Oskar Werner, acteur autrichien que Truffaut avait fait tourner dans JULES ET JIM. Clarisse est la délicieuse Julie Christie, la star de DOCTEUR JIVAGO, et qui tournera ensuite avec Losey, Altman, Warren Beatty... Au final, je dirai que FAHRENHEIT 451 vieillit bien, pour la bonne raison qu’il était déjà vieux à sa naissance ! Il faut dépasser l’aspect bricolage du film, sa naïveté apparente, pour vraiment en apprécier le propos et la démonstration. Superbes idées de mise en scène, rythme du montage, une tension dramatique crescendo. Si ce n’est pas le Truffaut le plus emblématique, il n'est certainement pas à négliger dans sa (brillante) filmographie. Réhabilitons Fahrenheit !

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En 2010, le réalisateur Frank Darabont veut lancer une nouvelle adaptation ciné. Il trouve difficlement les financements (je n'ai pas trace de la sortie de ce remake), le film risquant de ne pas intéresser le public de moins de 13 ans (la cible préférée d'Hollywood). Un film sur l'absence de culture écrite qui n'intéresserait pas les moins de 13 ans ? Allons bon !! Fallait remplacer "book" par "smartphone" dans le scénar !

FAHRENHEIT 451 (1966)
Scénario : François Truffaut et Jean-Louis Richard
D'après le roman de Ray Bradbury
Couleur – 1h50  -  format 1,85:1

Une bande annonce étonnante, avec une musique qui n'a pas grand chose à voir avec celle de Bernard Herrmann... désolé !

5 commentaires:

  1. Le film est bon (en dépit de son aspect kitsch) mais il faut absolument lire le livre de Bradbury, qui porte le même titre. Le livre met un peu plus en avant, que dans le film, la "zombiefication" des gens devant la télé-réalité. Oui, en 1953 Ray Bradbury anticipe la télé-réalité et l'absence de culture : à heures fixes, les gens abandonnent toutes autres activités pour, entre "amis" ou en famille, s'installer devant un écran géant, plat, accroché au mur du salon, pour regarder d'autres familles... A la fin de l'émission, on éteint l'écran, il n'y a rien d'autre. On éteint les lumières et on va se coucher.
    Mais, il y a un mal-être. Les gens, certes inconsciemment, sentent un vide en eux, et ne savent pas comment le combler. La femme de Montag tente d'ailleurs de se suicider, banalement
    Pour Bradbury, l'absence de culture va de pair avec l'absence de sentiments profonds, d'amour. L'absence de livres permet de contrôler aisément la population, qui n'a alors plus aucun repère, n'a plus d'opinion. On ne suit plus qu'aveuglément l'Autorité de l'Administration, sans aucune notion de bien ou de mal, de justice ou de partialité. Le jugement n'est plus possible.

    Souvenez-vous de ce qu'on fait les régimes totalitaires : brûler les livres

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  2. Pas de livre = pas de culture. Mais il y a aussi une autre idée développée par Bradbury (dans la scène de la bibliothèque) qui dit : si certains peuvent lire, plus que d'autres, il risque d'avoir une inégalité de la population devant la culture. Des classes "sociales", des gens plus ou moins cultivés selon ce qu'ils lisent. Donc, pour que chacun ait les mêmes chances, égalité pour tous, l'état nivelle par le bas. On interdit tout, comme ça, pas de jaloux !

    Les écrans de télé moderne sont plats... Dans une des premières scènes, on voit pourtant un poste de télé carré, à l'ancienne. Un pompier l'allume. Le poste ne marche pas. Il démonte l'écran, et s'aperçoit que l'intérieur du poste est vide, car il sert à cacher des livres !

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  3. Le monorail entre Paris et Tours, ça me dit quelque chose. J'ai lu le bouquin, mais il y a très très longtemps.

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  4. J'en conclus que nous avons, un jour, peut être, suivi le même chemin, en passant par la belle gare des Aubrais... Je me souviens maintenant d'un type, plutôt renfrogné, tassé dans sa banquette en seconde classe, qui écoutait du Wet Willie...

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  5. Pourquoi renfrogné?

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