vendredi 25 avril 2014

LE ROCK AU CINEMA - partie 3 par Luc B.



Après les pop-corn movies des années 50 et 60, le déferlement des cinéastes intellos dans le Swinging London, les documentaires et captations de concerts géants [lire la première partie ici : LE ROCK AU CINEMA part.1 ], la révolution hippie, les nouvelles comédies musicales disco, les prémices du revival pop [lire la deuxième partie ici : LE ROCK AU CINEMA part..2 ] place à la seconde moitié des années 70 qui voit apparaître de concert (sic) deux mouvances que tout oppose : la fureur punk, et les vidéos clip mercantiles.


No Future.

Il en est du cinéma comme de la musique, la querelle des modernes contre les anciens. Les dinosaures du Rock, qu’ils soient hard, glam, prog, se font tailler en pièces par les jeunes punks et le retour du Rhytm ‘n’Blues hargneux. Les grandes messes zeppeliniennes sont le prototype de prestations rock à abattre. Leurs équivalents sur l’écran aussi : les barnums filmés en scope à grand renfort de split-screen, comme à Woodstock, les dizaines de caméras 35 millimètres de Martin Scorsese braquées sur une scène de théâtre italien (les anciens décors de la Traviata avaient été réquisitionnés !) pour filmer l’aristocratie du rock dans THE LAST WALTZ.

Dans les bas-fonds de New York, en 1976, on n’a pas les moyens de se payer du 35 millimètres. Et il n’y a pas encore de vidéo. Reste le 16 millimètres. C’est suffisant pour Amos Poe qui investit le club CBGB, temple du punk-rock. Son film THE BLANK GENERATION immortalise sur scène les balbutiements des Ramones, Patti Smith, Richard Hell, Johnny Thunders... En image seulement, puisque techniquement il ne pouvait pas enregistrer le son (!) qui sera vaguement post synchronisé à partir de d’autres bandes audio. La même année il tourne une fiction, UNMADE BEDS, on y croise Debbie Harry pas encore Blondie. Musiciens, graphistes, poètes, tout ce petit monde se croise (chez les mêmes dealers ?) dans le même pâté de maisons. Dès qu’il y a suffisamment de fric, un projet déboule. 

Le jeune Jim Jarmush plante sa première caméra dans un appartement, y invitant les figures habituelles de CBGB, ou le peintre Jean Michel Basquiat. Roger Corman – encore lui – s’est engagé dans une production avec Allan Arkush. Ils sortent ROCK’N’ROLL HIGH SCHOOL (1978), l’histoire d’une révolte d’élèves de lycée, qui jouent dans un groupe de rock, contre le puritanisme ambiant. Le groupe Cheap Trip est contacté, mais le choix se porte finalement sur The Ramones.

En 1977, à Londres, Derek Jarman tourne le film JUBILEE, imaginant la reine Elizabeth I (1553-1603) propulsée en 77, dans un Londres en proie aux émeutes sociales. Des groupes punk y participent, comme The Slits ou Wayne County and the Electric Chairs, où officiait à la batterie un des faux frères Ramones. Un étudiant en cinéma, Julien Temple tourne un court métrage en piquant le matos de son école, mixant des images de la Queen repiquées directement sur sa télé, avec les répétitions chaotiques d’un jeune groupe : The Sex Pistols. C’est à Temple que le manager avisé du groupe, Malcolm McLaren, confiera LA GRANDE ESCROQUERIE DU ROCK’N'ROLL (d’abord proposé à Russ Meyer). Ce film, collage de fiction, de détournements, d’animation (comme YELLOW SUBMARINE !) s’appuie sur la thèse que le Punk est juste là pour foutre le bordel dans l’industrie musicale. On y voit Sid Vicious ré interpréter « My Way » de Sinatra, en flinguant (littéralement) le public présent dans la salle ! Des stars bien établies comme Bowie ou les Stones viennent draguer Julien Temple, ils aimeraient bien avoir leur film-punk aussi, histoire de se dé-bourgeoiser.


Lech Kowalski dans D.O.A. A RIGHT PASSAGE (1978) a tenté de suivre The Sex Pistols pour leur tournée américaine, qui s’est finie en eau de boudin. THE PUNK ROCK MOVIE de Don Letts (futur Big Audio Dynamite) a aussi filmé les Pistols, Shame 69, The Slits et The Clash. Ces mêmes Clash qui se mettent en scène devant les caméras de Jack Hazan et David Mingay dans RUDE BOY (1980), là encore, mélange de fiction (l’histoire du nouveau rodie) de documentaire (le tir au pigeon en plein Londres !) et de concerts. L’économie anglaise est dans un tel état, que l’heure n’est pas franchement à la création artistique subversive ! Et les studios américains comme la Warner ne se voient pas avancer le moindre dollar à des junkies coiffés de crêtes vertes et lardés de croix gammées. Alors les réalisateurs se débrouillent, filment comme on joue de la musique, à l’arrache, en équipes réduites. Mais le Punk au cinéma est de courte durée.

Deux projets plus ambitieux vont clore les débats. De même que George Lucas revenait dans le passé glorieux des années 60’s dans AMERICAN GRAPHITI, Franck Roddam plonge dans les 50’s pour filmer la révolte Mods. QUADROPHENIA (1979) s’inspire d’un disque des Who. Mais contrairement au film de Lucas, celui de Roddam ne donne dans la nostalgie et la joie de vivre. The Who doivent être les rares à échapper à la vindicte des punks. Ils sont même vus comme leurs géniteurs. Le combat des Mods à scooter et des Rockers à moto, exprime bien le dégoût punk pour une société qui s’enfonce dans le thatchérisme. On y croise le jeune Sting

En engageant Bob Geldof, alors leader des semi-punk Boomtown Rats dans THE WALL (1982), Roger Waters et le réalisateur de MIDNIGHT EXPRESS Alan Parker tentent de donner une intention punk à la révolte des élèves, scandant : teatcher, leave the kids alone dans « Another brick in the wall ». Mais THE WALL reste une énorme production opposée aux standards punk, et à cette époque Pink Flyod est loin de l’image du quatuor de prolétaires ! Au contraire du héros de BABYLON (1980) de Franco Rosso, ex assistant de Ken Loach. C’est Brinsley Forde, du groupe Aswad, qui endosse le rôle d’un DJ qui bosse la journée pour un garagiste raciste. La musique n’est pas du punk, mais du Dub, déclinaison du Reggae.  

You play the guitar on the MTV.

La révolution qui va tout balayer, les vieux hardeux comme les jeunes punks, c’est le clip vidéo. Les yéyés s’en gavaient avec les scopitones, diffusés dans les juke-box vidéos. Les cinémas projetaient déjà des bandes playback de tubes à la mode, avant les films. Les Beatles eux-mêmes filmaient des p’tits films pour accompagner leurs 45 tours. A l'origine produit d’appel pour un futur disque qui tarde à sortir, le premier clip pourrait être « Bohemian Rhapsodie » de Queen en 1975. Avec l’arrivée des caméras vidéo permettant un tournage léger, Mike Nesmith, ex-Mookees, filme lui-même le clip de sa chanson « Brazil », uniquement diffusé à la télévision. La chanson fait un tube. Nesmith qui a oublié d'être bête, crée donc une émission dédiée à ce nouveau petit format télévisuel : Pop Clips, sur la chaine Nickelodéon. C’est une chaine câblée, financée par la Warner. Aux Etats Unis, pour une meilleure réception télé, la diffusion hertzienne est remplacée par le câble. Mais c’est bien joli d’enterrer des tuyaux partout, qu'est ce qu'on fait passer dedans ? Des clips promo !! Ainsi naquit la petite MTV… pour fournir du clip au kilomètre.

Ironiquement, le premier clip d’MTV sera une chanson des Buggles « Vidéo killed the radio star », réalisé par l’australien Russel Mulcahy (1979), qui s’illustrera plus tard avec Christophe Lambert, samouraï en kilt from the clan of Mac Leod d’HIGHLANDER. Le style des premiers clips s’inspire autant de la loufoquerie de Richard Lester (A HARD DAY’S NIGHT) que de la publicité, dont sont issus la plupart des réalisateurs. Un clip qui avait fait sensation était le « Ashes to ashes » de David Bowie, garanti 100% solarisation vidéo. Mais pas beaucoup de Black Music à l’horizon. Ça changera en 1983 avec la triplette de Michael Jackson : « Billie Jean », « Beat it » mis en boite par Martin Scorsese, et surtout « Thriller » de John Landis, qui lance la mode clip à rallonge.

Celui qui va vraiment nous faire beaucoup de mal, c’est l’infâme pubiste Adrian Lyne (et Giorgio Moroder). En sortant le film FLASHDANCE (une daube épouvantable et maniérée, avec la craquante Jennifer Beals en ouvrière métallurgiste toute de sueur dégoulinante entre les seins !) on ne sait plus si on a affaire un film ou une série de clips. C’est un produit financier. Un très bon placement. Les studios de cinéma, propriétaires généralement des réseaux télé, ont bien pigé qu’il était dans leur intérêt de proposer des œuvres multi-canal, un peu sur un écran de cinéma, beaucoup à la télé, encore plus à la radio et en disque. « What a feeling », « Maniac » cassent la baraque, le film rapporte 90 millions de dollars. Re belote avec FOOTLOOSE d’Herbert Ross, avec le jeune Kevin Bacon.

Pourquoi se casser la tête à faire des comédies musicales, quand il suffit de caser un hit, et le clip qui va avec sur MTV ? « Against all odds » de Phil Collins sera le tube de CONTRE TOUTE ATTENTE de Taylor Hackford, « Take my breath away » celui de TOP GUN de Tony Scott, Joe Cocker chante « You can leave your hat on » (écrite par Randy Newman) dans l’horrible 9 SEMAINES ET DEMI d’Adrian Lyne, où Kim Bassinger nous apprend à gober des fraises, Tina Turner nous fait du mal avec « We don’t need another hero » dans  MAD MAX 3 (1985) de George Miller. Plus tard, Bryan Adams braillera "Everything I do, I do it for you" pour le film ROBIN DES BOIS (1991) avec Kevin Costner. Dans le même métrage, Jeff Lynne y allait de son "Wild things". Et vous remarquez que les clips sont souvent construits autour d'extraits du film. Rien ne se perd...

Prince ne l’entend pas ainsi, et confie à Albert Magnoli la réalisation de PURPLE RAIN, dont il assure la production, la musique et le premier rôle. La Warner n’y croyait pas, mais c’est un succès colossal en 1984, et là encore, on vend du film, du clip, du disque… Prince qui réalisera lui-même UNDER THE CHERRY MOON (1986) avec aussi Kristin Scott Thomas et GRAFFITI BRIDGE (1990), où il reprend le personnage du Kid de PURPLE RAIN, dans une histoire de rivalité entre propriétaires de clubs. Cette suite fera un bide.  

Le problème du clip est : soit on filme le type en faux concert-play back (« Dancing in the dark » de Springsteen filmé par Brian de Palma), soit on fait jouer la comédie au chanteur qui généralement est ridicule (le même Springsteen en mécanicien prolo dans "I'm on fire", mais j'avoue un faible pour les slows romantiques des groupes de Hard) sur un scénar qui n’a rien à voir avec la chanson, ou soit on se contente d’illustrer en images le propos de la chanson. Bref on trahit, ou on rabâche. Dans un cas comme dans l’autre, aucun intérêt. Bon, ne soyons pas trop méchant, certains clips vidéo se révèlent de bonne tenue. Quand un type comme David Byrne de Talking Heads prend la caméra, il se sert de MTV pour prolonger son travail visuellement. C’est à Jonathan Demme, futur réalisateur de LE SILENCE DES AGNEAUX, que David Byrne confie le suivi de sa tournée STOP MAKING SENSE (1985). Le clip peut être aussi un laboratoire d’essais. Le problème c’est qu’au départ, les gars passaient de la pub au clip, et maintenant il envahissent le cinéma, avec leurs valises pleines de mauvaises habitudes. Certains s’en sortent, comme Michel Gondry, David Fincher, d’autres moins.

Mais bon, on ne se marre pas beaucoup… Le rock, c’est festif aussi, non ? Un peu de déconnade, merde ! Belushi, Aykroyd, Shearer, où êtes-vous ? Pas loin… Ils seront convoqués dans le quatrième et dernier épisode…   

A SUIVRE... vendredi prochain.      

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Les extraits, avec les bandes annonces (in english) de THE BLANK GENERATION, ROCK'N'ROLL HIGH SCHOOL, QUADROPHENIA et... FLASHDANCE. La transition est rude, faites gaffe !

8 commentaires:

  1. Tina Turner ne nous fait pas de mal du tout avec son imparable "We Don't Need Another Hero", et Brian Adams ne braille pas, sur l'impeccable "Every Thing I Do ( I Do It for You") et son super chorus guitare. Non mais des fois...

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  2. Un petit peu quand même, non ? :)

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  3. Oui, c'est vrai qu'il y a un superbe solo de guitare qui rehausse ce slow qui frôle la mièvrerie (c'est une B.O., aussi) ; Adams avait fait mieux dans le genre.
    Et, en aparté, ce slow, qui a inondé la planète et permit à Bryan d'étaler son audience, n'est aucunement représentatif de l'album qui est plutôt carré et assez pêchu. Parfois proche d'un Def Lepp avec moins de disto. Beaucoup de gens, qui ne connaissaient pas encore le canadien, furent déçu d'écouter un disque majoritairement constitué de pièces Heavy-rock-power-pop.
    Non, Bryan ne braille pas.

    P.S. : récemment ce slow a de nouveau fait le buzz en squattant les diverses petites boîtes à "musique" compressée des jeunes (croyant découvrir quelque chose de nouveau...).

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  4. C'est quoi cette cabale contre le terme "brailler" ??? Bryan / brailler, même si c'est faux, ça sonne bien, non ?!!

    Je me souviens d'avoir découvert Bryan Adams lors d'un concert télé, genre Rockpalast je crois, bien avant ses tubes. Ca dépotait sec, chemise à carreaux, voix éraillée. Je me souviens avoir enregistré le truc sur une K7, directement sur le son de la télé ! Donc quand le film "Robin des bois" est sorti, et qu'on a eu droit pendant des mois au vidéo-clip, qu'on nous bastonnait tous les jours ce truc à la radio, que le Bryan était invité partout pour cette rengaine mollassonne (avec ou sans joli solo....) qui lui a donné l'idée d'en faire d'autres du même acabit... ben j'estime avoir le droit 20 ans plus tard d'écrire que ce type "braillait" au générique d'un film !!! Et pis "brailler" ça veut dire crier en pleurant. Un mec qui chante très fort une chanson triste, ben... il braille quand même un peu...

    Rockin', t'es où, tu peux pas venir m'aider là !!!

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  5. Bon c'est pas Rockin' mais j'aime bien me mêler de ce qui ne me regarde pas....

    Brailler ? Beugler ? C'est pas chanter assez gueulard pour ces verbes à mon sens... De toute façon, il chante tellement faux le Bryan (et ce n'est pas lié au style râpeux) que ça mérite la cour internationale de la Haye pour crime contre l'audition humaine (99 560 620 auditeurs sur You tube, ça en fait du monde). Sur un album sur Deezer c'est nettement mieux sa voix. Bizarre c't'affaire !!!
    - M'sieur Claude, vous y aller fort là quand même...
    - Moui p'tête Sonia... Déformation de mélomane...

    D'accord avec Bruno, pour une B.O. on a entendu pire, c'est virilo-glamour en fait....

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  6. puisque Luc me convoque à la barre je suis obligé d'intervenir....Luc suis un peu gêné sur ce coup là, j'adore Bryan Adams, son "Live live live" notamment est un de mes disques de chevet, aprés c'est vrai que ce slow est un peu pourri, autant que le Wind of change des Scorpions mais ça reste du Bryan Adams et c'est pas si mauvais au fond...quand à dire qu'il "braille" je ne dirai pas ça Celine Dion ou Lara Fabian braillent elles..

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  7. Si vous avez besoin de moi, je suis au local photocopie, mon nouveau bureau. Et non, je ne boude pas.

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