samedi 31 mai 2014

Charles-Marie WIDOR : Symphonie N° 9 pour orgue – Ben van OOSTEN / Pierre COCHEREAU – par Claude Toon



- C'est la messe dans votre bureau M'sieur Claude ???
- NON ! NON !!! Et NON !!!!! SONIA ! C'est de la musique pour orgue mais pas pour les offices…
- Désolée M'sieur Claude, je pensais que l'orgue, on n'en jouait que pendant les offices, snifff, je gonnais bas dout fous zavez…. snifff
- Prenez un mouchoir mon petit… Non, mais vous imaginez installer un orgue de 20 mètres de haut et autant de large dans un appart' ? Donc cathédrales obligatoires ou salles de concert parfois !
- Très juste… Une fois je suis entrée dans une cathédrale où l'organiste répétait, j'avoue que la puissance sonore prend aux tripes, on se sent toute petite…
- C'est vrai et c'est ce qui rend difficile la reproduction au disque. Avec cet enregsitrement, on a la beauté et la puissance, heuuuu… avec un casque ou une chaîne audiophile…

Chroniqueur depuis plus de trois ans, je m'aperçois que je n'ai jamais écrit une ligne à propos de l'instrument roi, celui de Bach, de Messiaen et de… Widor. Trop souvent, l'orgue est associé aux messes et autres offices religieux (Sonia n'est pas seule à le croire). Bien entendu, l'instrument, historiquement installé dans les églises, est destiné à agrémenter les offices et à accompagner le chant des fidèles pendant les cérémonies. A contrario, on trouve un répertoire très large de pièces profanes destinées au divertissement au même titre que la musique jouée sur un piano, par un orchestre ou des ensembles de musique de chambre. Citons en vrac : les toccatas, fugues, chorals, fantaisies et la plupart des 150 œuvres pour orgue de Bach ; les préludes et chorals de César Franck… et les symphonies de Charles-Marie Widor ou encore de Louis Vierne ! À l'opposé toute l'œuvre pour orgue d'Olivier Messiaen est d'inspiration mystique et des petites pièces peuvent être jouées lors des liturgies.
Depuis la nuit des temps sont donnés dans les cathédrales des concerts d'orgue alternant ces ouvrages de musique pure avec des pièces plus spirituelles. Si je puis me permettre le mot, l'orgue est un instrument multifonctions !
- M'sieur Claude, désolée pour toute à l'heure, mais n'existe-t-il pas des concertos pour orgue ?
- Mais si ! De Bach d'après Vivaldi, Haendel ou Thomas Arne, orgue baroque et orchestre à cordes, bien sûr…
J'ai choisi ce disque car il y a un lien étroit entre l'orgue Saint-Ouen de Rouen, Widor et cette symphonie qui porte le nom de "Gothique".

Charles-Marie Widor a suivi de près dans l'Abbaye de Rouen le travail d'Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899), le célèbre facteur d'orgue du XIXème siècle. Aristide Cavaillé-Coll a construit ou restauré une quarantaine d'orgues français (500 en Europe) qui, par leur richesse en termes de jeux, restent des références pour l'orgue romantique. L'orgue de l'Abbaye de Saint-Ouen de Rouen (et non pas à côté du marché aux puces à Paris) est l'un de ses chefs-d'œuvre. Les travaux ont eu lieu vers la fin de la vie de Cavaillé-Coll en 1890. L'instrument est logé dans un buffet de 1630, délicieusement baroque, avec ses anges trompettistes. Il comporte 4 claviers et un pédalier, associés à 64 jeux. Les noms des jeux m'amusent toujours : Bourdon, Violonbasse, Bombarde, Tuba magna, ou encore Salicional !? Comme l'on dit, il faut être du métier ! Le buffet et l'orgue sont inscrits aux monuments historiques depuis les années 70. Les organistes les plus réputés se bousculent pour jouer sur le "monstre" qui bénéficie d'une belle acoustique dans la longue nef.
Et c'est ainsi que Charles-Marie Widor inaugura l'instrument techniquement révolutionnaire en 1890. Enthousiaste, il parla à propos du travail de Cavaillé-Coll de "alla Michel-Ange". Et c'est à cette époque que le compositeur décida de s'inspirer de la majesté architecturale de l'abbatiale et de son orgue tout neuf pour écrire sa 9ème symphonie, une œuvre assez courte qui se veut une évocation des impressions ressenties par le musicien face à ses quatre claviers…
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Charles-Marie Widor est surtout connu des amateurs d'orgue, c'est assez logique, mais demeure cependant une personnalité importante de la vie musicale française. Il naît à Lyon en 1844, étudie en Belgique et à Paris, puis rapidement devient l'assistant de Camille Saint-Saëns au pupitre le l'orgue de La Madeleine vers 1868. Il va occuper un poste similaire à Saint Sulpice pendant 63 ans !! De 1870 à 1933 ; le musicien cédera la place à Marcel Dupré à l'âge canonique de 90 ans ! Il disparaît en 1937 à Paris
Parallèlement à ce travail d'organiste, Widor a composé pour son instrument un cycle de 10 symphonies pour orgue, mais également de la musique de chambre dont un quintette avec piano, des pièces pour piano, pour l'orchestre, et même un opéra… Pédagogue, responsable des classes de composition et d'orgue au conservatoire de Paris, il formera des grands talents comme les organistes : Louis Vierne, Albert Schweitzer, Charles Tournemire et Marcel Dupré, mais aussi des compositeurs avant-gardistes tels qu'Arthur Honegger, Edgar Varèse et Darius Milhaud. Malgré cet emploi du temps chargé, il trouvera le temps de parcourir le monde pour donner des concerts d'orgue…
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La discographie consacrée à Widor est assez abondante tant pour le répertoire d'orgue que pour diverses musiques comme le trio et le quintette enregistrés chez Naxos.
Dans les années 90 l'organiste Ben van Oosten a gravé une intégrale en 7 volumes de l'œuvre pour orgue de Widor. Il a réalisé ces disques en jouant sur divers orgues Cavaillé-Coll en Europe. À Rouen bien entendu, mais à Lyon et même en Espagne... Ces disques n'ont jamais quitté le catalogue du label MD+G.
Ben van Oosten est né en 1955 à La Haye. C'est un enfant surdoué qui a commencé sa carrière à l'âge de 15 ans. Il a confié au disque les intégrales des œuvres d'Orgue de Louis Vierne, Charles-Marie Widor, Camille Saint-Saëns et Marcel Dupré… Toutes récompensées par la presse spécialisée.
Pour cette 9ème symphonie, Widor a composé quatre mouvements correspondant à quatre regards différents portés sur l'Abbaye Saint-Ouen de Rouen. Une visite guidée architecturale, musicale et spirituelle puisque le thème conducteur est extrait de l'hymne de Noël "Puer Natus".
1 – L'Abbaye : Moderato : Il s'agit bien d'une marche contemplative autour de l'édifice. Widor confronte une mélodie martiale et puissante à une seconde idée qui suggère une promenade dans les allées qui entourent l'église. Ben van Oosten ne fait pas mugir l'instrument. La musique fait écho à la grandeur de l'abbatiale, ses ouvertures très hautes, quasiment du ras du sol à la voute, la robuste tour carrée. Widor utilise dans le développement des arpèges illustrant l'élan de cette merveille gothique de Normandie. La musique nous enveloppe par sa puissance. La prise de son n'écrase pas les notes. On bénéficie à la fois d'une belle répartition des jeux ; on semble entendre l'orgue dans sa globalité depuis le chœur, donc avec un bel espace sonore. Les extrêmes graves ne sont pas lourds et plutôt crédibles. Une exception dans ce style d'enregistrement.
2 – Dans la nef et les déambulatoires (image très personnelle) : il s'agit d'un andante, l'une des pièces les plus jouées du compositeur, d'une grande tendresse et d'une légèreté paradisiaque. On retrouve encore un accompagnement martial mais aérien et éthéré dans le grave que souligne une mélodie radieuse jouée sur les registres plus aigus. Il faut se laisser flotter par une cette ligne mélodique qui suggère la sérénité ressentie par un promeneur dans le lieu de prière, le regard porté vers les couleurs cristallines des vitraux, vers les petites lumières frémissantes des cierges, un sentiment de paix, d'isolement du monde extérieur.
3 – Allegro : Dans une église, on s'attend évidement à partager une ambiance spirituelle assurée par l'orgue des lieux... Widor choisit de paraphraser un motif joyeux et allègre évoquant la nativité. Ben van Oosten délie parfaitement le dialogue entre les registres associés aux deux mains et l'écrin plus grave, mais aucunement grandiloquent, de l'accompagnement au pédalier. La courte pièce ne fait que s'élancer vers une heureuse coda qui donne la mesure de la puissance et de l'équilibre du magnifique instrument…
4 – Moderato – Allegro – Moderato – Andante – Allegro : Le final est dédié à l'orgue en tant qu'instrument aux mille sonorités. On peut considérer que Widor écrit une suite hyper inventive de plusieurs pièces reliées permettant de mettre en valeur toutes les couleurs de cet orgue exceptionnel par sa clarté et la chaleur de ses timbres. Il n'y a aucun déchaînement destiné à faire trembler l'abbatiale sur ses bases ou lézarder la nef. Les motifs s'enchaînent avec grâce. Ben van Oosten met bien en valeur le foisonnement de trilles et des phrases mélodiques. L'allegro final se veut (ah bah oui quand même) un peu plus expansif mais, curieusement, progresse vers une conclusion méditative et non pas un accord titanesque.
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La 9ème symphonie de Charles-Marie Widor par Ben van Oosten sur l'orgue Cavaillé-Coll de l'Abbaye de Saint-Ouen, Rouen.
[0'] Moderato ; [8'06"] Andante ; [13'50"] Allegro ; [18'06"] Final : Moderato – Allegro – Moderato – Andante – Allegro.

La vidéo de par Ben van Oosten n'étant hélas plus disponible, voici une gravure plus ancienne par Pierre Cochereau à N.D. de Paris.

xx

1 commentaire:

  1. Eh oui ! Les grandes Orgues ne servent pas uniquement pour la messe ou autre Requiem et Te Deum, pour preuve, la Symphonie n°3 pour Orgue de Camille Saint-Saëns. Charles-Marie Widor est resté connus pour le cinquième mouvement de la non moins célèbre 5 éme symphonie et surtout pour son Toccata.

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