vendredi 23 mai 2014

DANS LA COUR de Pierre Salvadori (2014) par Luc B.



La carrière de Pierre Salvadori est tournée vers la comédie, à l’exception notable de LES MARCHANDS DE SABLE (2000), superbe Film Noir à la française. Mais on se souvient surtout de ses collaborations avec son double, Guillaume Depardieu, dans CIBLE EMOUVANTE, LES APPRENTIS ou COMME ELLE RESPIRE. Il y avait eu aussi cette belle comédie sophistiquée, à l’américaine comme on dit (entendez par là, Cukor, Hawks, Lubitsch, Minnelli, Edwards…) HORS DE PRIX (2006), ou encore APRES VOUS (2003) avec Auteuil et Garcia. J’avoue être assez fan du monsieur, de son univers, tourné vers les paumés, les loufoques, des duos improbables basés sur des rencontres amicales plus que sentimentales, des solitaires qui se rapprochent pour être moins seul. Pierre Salvadori c’est aussi l’assurance de films bien faits, aux jolies idées de mises en scène, bien rythmés, et dialogués à la virgule près. Un artisan de la comédie, pointilleux, comme Jean Paul Rappeneau a pu l’être en son temps.

Ceci pour dire que ce DANS LA COUR, je l’attendais au tournant… Le point de départ est le suivant : Antoine est un chanteur (qu’on suppose célèbre) qui pète les plombs, abandonne musiciens et public, pour refaire sa vie comme gardien d’immeuble, à Paris. Il y rencontre Mathilde, une retraitée encore très active, qui bascule peu à peu dans la dépression. 

Le premier quart d’heure est épatant, entre le rendez-vous de la boite d’intérim, l’employée au bord des larmes, l’arrivée d’Antoine dans l’immeuble, qui snife une ligne d’héro alors que Mathilde explique que ce jeune homme est très bien : Mais il n’est pas sûr de lui rétorque son mari. Tant mieux, ça signifie qu’il s’appliquera ! Mais il ment, et il ment mal ! Tant mieux, ça veut qu’il n’a pas l’habitude… Mais il parle tout seul ?!! Comme ça il ne s’ennuiera pas !

Et puis il y a la présentation des personnages, des gens en marge, un clandestin serbe et son chien, inquiétant, adepte d’une secte ésotérique, un ex-footballeur camé recyclé dans le trafic de vélos qui envahit la cour de ses bécanes qu'on soupçonne volées, un architecte maniaque et crispant. Et Mathilde, qui ne va pas bien. Elle scrute, la nuit, une fissure dans son mur. Cette fissure est évidemment symbolique de ce qui s’est brisé chez elle, comme chez les autres personnages. Antoine, quand il va mal, il sniffe un coup, quitte à souffrir du manque ensuite. Vous n'avez pas besoin de vous cacher pour faire ça, lui lance Mathilde. Je ne me cache pas, je m'isole, répond Antoine. Mathilde se raccroche à Antoine, oreille attentive, un gars qui répond « oui » tout le temps, à tout le monde.

A lire ces lignes, on se dit : mais qu’est ce qu’il y a de drôle là-dedans ?  Et bien c’est tout le problème de ce film. Pas grand-chose. Les germes de la comédie sont présents dans chaque scène, chaque intention. Mais ne poussent pas. Les dépressifs de Salvadori inquiètent plus qu'ils font rire. On sourit tout de même dans ce film, quand Mathilde revisite la maison de sa jeunesse, engueulant les nouveaux proprios à chaque changement de déco, la réunion de co-propriété dans la cour qui vire au fiasco, l'arrivée de cette libraire obnubilée aussi par les glissements de terrains ! Mais quand on gratte la surface, toutes ces scènes sont graves, traumatiques, désagréables. On a l’impression d’avoir été dupé. Je vous vends une comédie, mais c’est un drame avec une fin sinistre, et bien plombante... Car quand on y pense, Mathilde revit parce que son compagnon d'infortune sombre définitivement. On ressort de la salle avec un sentiment d’injustice, face à la cruauté de la vie. Merde, pour une comédie, c'est fort !!

Salvadori ne justifie pas l’état de ses personnages, d’où viennent-ils, que faisaient-ils, pourquoi ces dépressions. C'est quoi le problème de Mathilde ? La retraite, la vieillesse ? Remarquez, si vous posez la question à un dépressif : pourquoi t'es pas bien ? il répondra à coup sûr : j'sais pas... Mais difficile de vraiment s’attacher à eux, dans ces conditions. Le rôle de Serge, le mari de Mathilde, est trop effacé. Comment peut-il laisser sa femme s’installer dans la loge d’Antoine, sans réagir ? Où sont et que font les 50 proprios qu'on voit juste au détour d'une scène ?

DANS LA COUR n’est pas un mauvais film, loin de là, c’est juste un film qui ne correspond pas à ce qu’on attend (ou ce qui nous a été vendu…). Catherine Deneuve y est épatante, normal, c’est Deneuve. Gustave Kervern est convaincant dans un registre ronchon minimaliste, tous les comédiens sont très bien, beaucoup de situations sont loufoques, intéressantes (le chien qui aboie, le dépôt de vélo, les expertises…) mais ça ne prend pas la direction qu’on souhaite. On peut faire rire avec le malheur des autres, c’est même tout l’intérêt, mais Pierre Salvadori ne semble pas oser cette fois-ci. Sa comédie est plus amère que douce. Comme atteint de pudeur, il ne tire pas le potentiel comique des situations qu'il a écrites. Alors que c'est justement sa réputation. Comme s'il ne fallait pas, finalement, rire de ces choses-là. Sauf que pour un auteur de comédie, ben… ça l’a fout mal !  


La bande annonce, qui justement ne donne pas la réelle couleur du film. ne vous y trompez pas ! Là c'est drôle, enlevé, tendre...




DANS LA COUR (2014)
Couleurs  -  1h40  -  scope 2:35


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire