vendredi 13 juin 2014

LE VILLAGE DES DAMNES de Wolf Rilla (1960) par Luc B.



Qu’est-ce qu’il est bien ce film ! Ça ne paie pas de mine, on pense tomber sur un vieux succès de la SF suranné, alors que c’est un des fleurons du genre. On y retrouve les ingrédients classiques, la menace qui s’abat sur une population, avec le sous-entendu évident que si le nucléaire, on ne faisait pas joujou avec, ce genre de choses ne se produiraient pas. Un groupe de scientifiques et de militaires émet plein d’hypothèses pour y voir plus clair, droits dans leurs bottes face à une populace aux abois. Et puis il y a le héros (plus très jeune), celui qui comprend mieux et plus vite, trouve la solution, se dévoue pour la cause. 50 plus tard, on continue à débiter des films sur ce modèle de script.

Les premières images installent de suite l’ambiance. Et renvoient à la question : mais qu’est-ce qu’il se passe dans ce village ? Un village vide, silencieux, car tous ses habitants sont tombés inconscients. Chez eux, dans la rue, au volant d’une voiture. Et les animaux aussi. Le village est jonché de corps enchevêtrés. On s’étonne de cette coupure totale de communication, et la police, les militaires débarquent. La scène avec le pauvre flic à vélo est cocasse, mais troublante. Il ne s’agirait pas d’un gaz toxique, puisque passée une limite précise, tous tombent inanimés. Même un pilote d’avion qui survole le village s'écrase avec son appareil. Vous remarquez qu’on ne voit de l’explosion que le champignon de fumée noire qui monte vers le ciel… [Dans les vieux films, les avions et les hélicos s'écrasent TOUOURS derrière un bosquet d'arbres, ou une colline... Vous connaissez le truc ? L'avion poursuit sa route en rase-motte, quitte le champ de la caméra masqué par les arbres, et les artificiers font péter au bon moment des fumigènes, ça coûte moins cher en matos et cascadeurs !]. Et puis la situation revient à la normale, les gens se relèvent, reprennent leurs vies. Quand un autre phénomène frappe le village quelques temps plus tard. Douze femmes ou jeunes filles tombent enceinte. Le même jour. Miraculeusement…

Nous y voilà ! Ce qui a secoué l'opinion à la sortie du film - ou du livre dont il est inspiré - c’est cette histoire de conception immaculée. Le tout lié à la menace nucléaire (les russes, forcément...), qui terrifiait à l’époque, prétexte usé jusqu’à la moelle dans le cinéma fantastique, et encore au goût du jour avec le récent GODZILLA. Le réalisateur Wolf Rilla, dont LE VILLAGE DES DAMNES est le seul titre de gloire, filme ces évènements inquiétants et surnaturels, avec un regard froid, scientifique, sans en rajouter. Les faits sont suffisamment mystérieux pour rajouter des effets tape à l’œil. Ce qui évite au film de sombrer dans le ridicule, et bien vieillir.

On croit toujours que l’intérêt va diminuer, que ces images bien léchées, en noir et blanc, le port aristocrate du héros, vont sombrer dans le désuet. Car on n’échappe pas à une certaine caricature dans le traitement des personnages. Sauf que les faits exposés sont troublants, et que la question revient : mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? Et on va glisser du fantastique parano au film d’épouvante, avec la naissance des 12 rejetons. Ca y est, le danger s’est incarné à l’écran. Et s’est incarné en 12 poupons joufflus. Il y a les répercussions sur la population, la suspicion. Comme une dame peut-elle faire admettre à son mari qu’elle est enceinte sans l’avoir trompé ? Ou la jeune fille qui doit se justifier à ses parents, et devant l’Eglise ?

Et puis la répercussion sur les familles, parce qu’il apparait bien vite que les marmots sont doués de pouvoirs étonnants, télépathiques. Le professeur Zellaby se sert de son propre fils comme cobaye. La scène où le gamin, très précoce, résout un casse-tête, et semble transmettre la solution aux autres enfants est terrifiante, surtout quand Zellaby et les autres, comprennent le phénomène. Les enfants sont comme liés par un même esprit. Un monstre à douze têtes.

C’est très dur pour la femme de Zellaby, pris entre ses sentiments maternels et l’horreur que lui inspire la créature qu’elle a enfantée. Les gamins sont de véritables démons. Ils lisent et prennent possession des pensées des adultes. Au fil des années, ils vont former une petite communauté en sein du village. Wolf Rilla use alors d’effets spéciaux, mais point trop n’en faut, comme les pupilles des gamins qui s’illuminent, ou la surexposion d’images. Et comme dans FRANKESTEIN, 30 ans plus tôt, les habitants, mués par un sentiment d’incompréhension et de peur, vont devenir agressifs. Mais comment combattre un ennemi qui anticipe toutes vos pensées ?

Le dénouement est astucieux. L’affrontement, car il aura lieu, sera purement intellectuel. Un duel de cerveaux, entre le professeur et ses petits génies démoniaques. Je ne vous dévoile pas la fin… Ce qui est resté célèbre, ce sont les trognes des gamins, leurs regards perçants, insolents ou tristounets, mêmes lorsqu’ils sont joués par des tout-petits. Et puis ces coiffures, perruques pré-Brian Jones, platine, sur un grand front, qui leur donnent l’air de poupées maléfiques.

Dans le rôle de Zellaby, l’acteur George Sanders, du pur british, comme James Mason, tout en finesse et l’œil qui frise. Sanders était un acteur prodigieux qui détestait son métier (vous l’avez vu jouer dans au moins 150 films, chez Hitchcock, Lang, et même Renoir) il a fini par se suicider, en nous laissant une autobiographie d’une drôlerie et d’une férocité incroyable (« Mémoire d’une fripouille »). A ces côtés, la très belle Barbara Shelley, star de la Hammer, studio anglais spécialisé dans l’épouvante. On reconnaitra aussi Laurence Johnson, dans le rôle du médecin du village qui aura évidemment son mot à dire dans l’histoire, et qui jouera le juge Fulton dans AMICALEMENT VOTRE.  

John Carpenter tournera un remake en 1995, avec Christopher Reeve (Clark Kent à la ville), bien aussi, mais c’est évidemment ce premier opus qu’on gardera en mémoire. Un écrivain comme Stephen King a dû s’y régaler quand il était enfant, et on peut avancer aussi que Kubrick s’en est souvenu au moment de SHINING, par l’aspect épouvante un plein jour, exposition froide des faits, sans effets tapageurs (au début). Il y a là tous les ingrédients d’un bon film fantastique des années 50, 60’s, très intelligemment réalisé, et qui 50 ans plus tard a gardé son pouvoir de fascination.                                

LE VILLAGE DES DAMNES (1960) d'après le roman de John Wyndham
Noir et blanc - 1h15 - format 1:1.85



7 commentaires:

  1. Grand film ! Juste une petite rectif, ce n'est pas Laurence Johnson mais Laurence Naismith

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  2. Je dirais même plus : Excellent film !
    Je me souviens lorsque je l'avais pour la première fois (j'étais petit, tout petit), et l'ambiance glaciale des rues du village hantées par ces jeunes têtes blondes m'avait "scotché".
    Voilà : on peut faire un très bon film sans une tonne (des tonnes) d'effets spéciaux.
    Et dans la foulée je cite "La Maison du Diable" et "L'invasion des profanateurs de sépultures".

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  3. Eh ben, Pat, faut faire gaffe avec toi, t'as l'oeil partout !! Je dirais : un partout, la balle au centre, car Naismith est le nom de scène de... Laurence Johnson !

    Bruno : oh que oui, deux autres grands classiques, le premier surtout, qui inaugure presque le genre. "Les profanateurs" m'avait foutu les jetons une nuit, dans "La dernière séance" de m'sieur Eddy. Y'a eu deux remake, pas mal aussi, dont un de Abel Ferrara (monsieur Welcome to NY, à l'époque où il faisait encore du cinéma...)

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    1. Oui, mais généralement les remakes sont pourraves : ils sont dénaturés par une abondance d'effets au détriment de l'histoire. Par exemple, le "Haunting" avec Liam Neeson frise le ridicule, et l'ennui, avec son déballage d'effets.

      "La Dernière Séance" ? Hmmmm... C'était pas plutôt le "Série Club" (ou un truc du genre) le vendredi soir, très tard le soir, après 23h....

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  4. Non non, la Dernière Séance ! "Le chien des Baskerville" m'avait aussi foutu la trouille, je me souviens de n'être pas resté jusqu'au bout, et remonté dans ma piaule, sans me faire gauler par les parents (le deuxième film de M'sieur Eddy, il terminait tard !).

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    1. Ben ? Alors ... T'es un jeunot ? (par rapport à ma pomme). "La Dernière Séance" date du milieu des années 80, non ?

      Rectificatif : "Ciné Club" (et non "Série Club"), vers le début des années 70.

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  5. Je me souviens du "ciné club" oui, le dimanche sur "FR3" !! Ca changeait tout le temps d'heure et de jour... pour finir par disparaître... Triste monde... Jeunot ??? L'âge de Rockin' moins 1 !! Donc, oui, encore très jeune...

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