vendredi 18 juillet 2014

LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS de Fred Zinnemann (1952) par Luc B.


Ah j’en vois déjà qui se frottent les mains, on va causer d'un bon vieux gros classique des familles, recordman des diffusions télé quand la Une passait des westerns le dimanche soir ! Une rubrique Western digne de ce nom ne pouvait tenir à l’écart LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS, sans doute un des titres les plus célèbres du genre. Un film qui a marqué son temps, énorme succès de 1952, qui a surtout eu un impact formidable sur la profession du cinéma. Nommé je ne sais combien de fois aux Oscars, raflant celui de la meilleure musique pour Dimitri Tiomkin, meilleur montage pour Elmo Williams et meilleur acteur pour Gary Cooper.

Cooper, Zinnemann et Kelly
J’y vois personnellement un des westerns américains, avec VERA CRUZ, qui annonce le plus l’arrivée du western italien [Si les trois gus qui attendent Bronson à la gare dans IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L'OUEST, ne viennent pas de cette gare-ci, je m'en bouffe une]. Dans sa construction, l’unité de temps (mais aussi le lieu, et d’action) et donc cette manière de dilater les actions, filmer l’attente, le silence, et dans les cadrages, qui alternent plans d’ensemble et gros plans, contre plongée, utilisation du grand angle pour déformer les trognes… La réalisation est de Fred Zinnemann, à qui on doit aussi TANT QU’IL Y AURA DES HOMMES. Le scénario est dû à Carl Foreman, qui à cette époque était suspecté de fréquenter les communistes. L’histoire qu’il raconte, sous-jacente, c’est sa propre expérience à Hollywood.

Le shérif d’une ville, Will Kane, se marie et prend sa retraite ce jour même. Mais il apprend qu’un bandit qu’il avait mis en prison, Franck Miller, vient d’être libéré, et a l’intention de revenir se venger. Il est prévu que Miller rejoigne trois complices à la gare, par le train de midi ("high noon" titre original) . Il est 10h30. Will Kane a une heure et demie pour trouver de l’aide auprès des habitants.

En 1952, Hollywood est en pleine chasse aux sorcières. Carl Foreman est de plus en plus isolé dans la profession, tout le monde lui prédit des lendemains pénibles. Comme le shérif Will Kane. Les amis de Foreman se font rares, se détournent. Comme les habitants de Hadleyville qui ont tous une bonne raison de refuser leur aide à Kane. Son adjoint, qui veut s’assurer d’abord d’obtenir le poste de principal quand Kane sera parti. Les notables, parce que des coups de feu en pleine rue, ça ne fait pas une bonne publicité pour les éventuels investisseurs. Le pasteur, parce que Kane ne s’est pas marié à l’église. Et même sa femme, parce qu’elle est quaker, et refuse l’utilisation des armes par conviction. C'est le bal des faux-derches, des petites compromissions, d'une micro-société qui se voile les yeux, piétine ses valeurs (comme le shérif piétinera son insigne, à la fin).

Will Kane est un homme isolé, mis en quarantaine. Il n’est pas intégré à la communauté, chacun a un grief contre lui. Il est dans la position des black-listés par le maccarthysme. Mouvement ultra-droitier auquel appartenait d’ailleurs Stanley Kramer, le producteur du film. Et pour un shérif qui est censé représenter l’autorité, il expose ses doutes et ses peurs. Pas exactement le portrait type du héros, surtout pas du western ! John Wayne détestait ce film, quel piètre spectacle, tout n’est que lâcheté, avec ce shérif peureux, Gary Cooper, qu’ont-ils fait de toi ? Un shérif qui doit la vie sauve à une bonne femme ! La sienne en plus ! Qué misère… Car finalement, la seule personne qui viendra en aide à Kane, c’est sa femme, qui n’hésite pas à prendre un fusil. C’est en ce sens que LE TRAIN SIFFERA TROIS FOIS marque une date, celle du western adulte, comme les films d’Antony Mann et James Stewart à la même époque. C’est la naissance de l’anti-héros.

L’originalité du film est sa narration en temps réel. Le film dure exactement le temps que Will Kane doit attendre avant l’arrivée des tueurs. Le générique est formidable, trois cavaliers se rejoignent (plan très large magnifiquement composé), et partir dans la même direction ; où, pourquoi, on le sera plus tard. Zinnemann lance son histoire sur la fameuse chanson « Do not forsake me, oh my darling » traduit en français par « Si toi aussi tu m’abandonnes ». C’est un western pratiquement sans action, juste des discussions, juxtaposition de scènes qui isolent un peu plus Will Kane. Qui au lieu de partir tranquillement et éviter les problèmes, choisit d' affronter ses ennemis. Il fait le job, sans montrer son écœurement face à la lâcheté ambiante. Comme cet adjoint qui lui dit piteusement : ah bon, on ne sera que tous les deux contre quatre ? Alors je ne viens pas…  

Fred Zinnemann prend soin de montrer, en montage alterné, les complices qui attendent à la gare, les inserts sur l’horloge de la ville, les minutes qui passent, cette voie ferré qui disparait vers l’infini, sur laquelle le train arrivera bientôt. La gestion du temps est bien menée, la tension monte, et renvoie vers la scène finale, l’affrontement. Là encore, belle gestion de l’espace, le film a été storybordé, le découpage est précis, travellings et mouvements amples de grues impeccables, et on est frappé par ces plans de visages, très rapprochés, remplissant le cadre. Fred Zinnemann est autrichien, il a appris le métier à Paris, il débarque à Hollywood (comme les Wyler, Lang, Preminger) enrichi du cinéma expressionniste allemand, russe. Ces images de duels dans la rue, ces angles de caméra, ont modelé la mythologie du duel final dans les westerns. 

Si HIGH NOON est un western important, il n’a jamais été vraiment passionnant pour moi ! Le film manque d’humour, c’est vrai qu’il ne s’y passe pas grand-chose pendant 1h20, et le jeu monolithique de Gary Cooper me fait toujours tiquer. Il en impose par sa stature, mais sa diction me gêne. Un grief personnel. Je le trouve paradoxalement plus à l’aise dans certaines comédies, chez Lubitsch ou Wyler. C’est la débutante, frêle et délicieuse, Grace Kelly qui joue madame Kane. Là encore, justement… une débutante, frêle et délicieuse… (rien à voir avec la tornade Maureen O'Hara). On remarquera aussi Thomas Mitchell (un fidèle de John Ford ou Franck Capra), Lee Van Cleef au regard déjà très sympathique, et Llyod Bridges le papa de Jeff.

Oui, j’ose émettre des réserves sur ce classique ! Certains s'étonnent encore de la renommée de ce film, jugé sur-évalué. Je ne peux pas m’empêcher de préférer RIO BRAVO, dont le principe dramatique est assez semblable (l’attente, unité de temps) mais truffé de scènes mythiques et de truculence. Reste que LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS est une grande œuvre, personnelle, qui reflète les tourments de son époque, visuellement très réussie.

J'ai remarqué un truc étrange (vous allez vous dire : il n'a vraiment que ça à foutre quand il mate un western ?!) mais la fin du film se déroule donc à midi, heure où le soleil est à son zénith. Les ombres reportées des décors ou personnages devraient donc être réduites au minimum. Hors, sur la dernière séquence du duel, on aperçoit sur certains plans des ombres au contraire très allongées (et pas toujours raccord)... Fred Zinnemann n'a donc pas poussé le vice jusqu'à tourner en heure réelle !

La bande annonce :

4 commentaires:

  1. Des réserves, des réserves ... y'a pourtant pas d'Indiens dans le film ...
    ouais, bon je vois, mais pour l'époque, c'était quand même pas mal ...

    De toutes façons, rien que pour le titre, je préfère "L'arrière-train sifflera trois fois"

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    1. Crénom ! Lester ! J'aurais pas osé !!

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  2. Faux derches ! Tous autant que vous êtes ! Vous auriez tous préféré une chronique sur "l'autre"...

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  3. Je viens de le revoir à l'instant même, je me suis régalé. Formidable de modernité et d'inventivité, magnifique de bout en bout. Les films de Sergio Leone, que j'adore, lui doivent bien plus que le plan de la gare, quasiment tout en fait.
    Et Katy Jurado est sublime.
    Hugo Spanky

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