vendredi 29 août 2014

FUGUES de Lewis Shiner (1994) par Luc B.


Comment j’en suis venu à ce roman ? En apercevant le dessin de Jim Morrison en couverture. C’est con, hein, un peu léger, non ? Mais bien m’en a pris, car finalement, ce bouquin n’est pas mal du tout.

FUGUES est au rayon des romans, et particulièrement rangé dans la « SF ». Le principe peut d’ailleurs rappeler l’univers de Stephen King, en non horrifique. Le héros s’appelle Ray Shackelford, il répare du matériel hi-fi, au Texas, il a la quarantaine bien bedonnante pour cause de consommation excessive de bière, et son mariage bat sérieusement de l’aile. Sa mère s’invite trop souvent chez eux, et son père vient de mourir, d’un accident de plongée sous-marine.

Un soir, il réécoute un de ses morceaux de musique favoris « The long and winding road » des Beatles, tiré de l’album LET IT BE, dont l’arrangeur Phil Spector avait embarqué les bandes à la barbe de McCartney, pour rajouter des tonnes de violons partout. Ray se plait à imaginer cette chanson sans les arrangements pompeux (FUGUES a été écrit en 1994, avant la sortie des bandes LET IT BE NAKED). Il s’y voit, Ray, s’imagine si bien, présent auprès des quatre anglais, dans les studios d’Apple. Il part en plein délire, et… à son réveil, sur une cassette qu’il avait glissée dans un enregistreur, se trouve une version jusqu’alors inédite de « The long and winding road ». Sa version fantasmée, qui a pris corps, plus belle encore que dans les rêves McCartney.

Comment expliquer un truc pareil ? Et surtout, qu'en faire ? Ray part à Los Angeles, fait écouter la bande à un producteur, Graham, qui en reste baba. Il voit tout de suite le potentiel de ce texan. C’est quoi la chanson que vous auriez aimé entendre, mais qui n’existe pas ? Vous êtes-vous posé la question : si je pouvais créer, ou modifier tel ou tel album de chevet ? [Si j'avais pu dissuader Blackmore d'enregistrer "Our Lady" et garder "Painted horse", WHO DO YOU THINK WE ARE aurait eu une autre gueule, non ?]  Pour Graham, comme Ray, leur héros, c’est Jim Morrison. Et la chanson maudite, c’est « The Celebration of the lizard » une suite de poèmes qui devait occuper une face entière de WAITING FOR THE SUN, mais ne se fera jamais (interprété sur scène, plus tard). Sauf si Ray, à force de documentation d’abord, pour mieux s'immerger, et de concentration ensuite, arrive à l’enregistrer…

Et vous imaginez si Brian Wilson des Beach Boys avait réussi à faire SMILE juste avant la sortie de SERGENT PEPPER. Le monde ne serait-il pas plus souriant ? Et si Jimi Hendrix avait pu enregistrer FIRST RAYS OF THE NEW RISING SUN puis partir jammer avec Miles Davis ?

S’il y a de l’argent à la clé (car ses nouveaux disques inédits se vendent très bien sur le marché des Bootlegs), ce qui pousse Ray dans cette aventure tient davantage de la psychanalyse. FUGUES n’est pas un roman qui évoque les légendes du Rock, mais un roman sur un gars en pleine crise, qui cherche à faire le deuil de son père, à faire revivre son adolescence, ses années d’insouciance, à se perdre au milieu de ses idoles, dont il se sent proche, et pas uniquement parce qu’il aime leurs musiques, mais parce que Jim Morrison, Brian Wilson, Jimi Hendrix, avaient tous des rapports conflictuels ou traumatisants avec leurs pères. 

La particularité de Ray à se projeter dans l’univers des autres, se complexifie un peu plus à chaque fois. Pour Morrison, il vit l'enregistrement comme un observateur extérieur, dirigeant par la pensée, mais pour Brian Wilson, patatras, il se retrouve réellement projeté en 1966, à partager des joints, parler, rire, travailler avec Brian Wilson dans sa maison de Bel Air, et vu d'un mauvais œil par son entourage qui se méfie de ce Ray, sorti de nulle part et qui connait tant de choses... Pour Jimi Hendrix, c'est pire, puisque Ray doit d'abord éviter la mort du guitariste le 18 septembre 1970, sans quoi, pas de quatrième album. Il passe plusieurs jours dans le Londres de 70, tente de pénétrer le cercle des intimes du musicien, dissuader le Gaucher de pendre le somnifère de trop.
Entre deux réalisations de disques, Ray fait un voyage au Mexique, veut voir où son père est mort. Il va habiter quelques temps dans une communauté de plongeurs, où il flirtera avec Lori. Cette partie du récit est sans doute un peu longuette, plus convenue, le personnage de Lori, traumatisée dans son enfance, a des airs de déjà-vu. Mais le roman se lit bien, vite, il est intéressant, et surtout remarquablement bien documenté sur l’aspect musical.

FUGUES s’apparente donc autant un roman qu'au documentaire. Le connaisseur de musique s'accommodera de la partie fiction, mais pas sûr que le néophyte en rock des sixties, se fade des pages et des pages sur les bandes masters de "Good Vibrations" ou les lieux de perdition de Morrison sur le Strip.

PS : ce que l'auteur, Lewis Shiner, ne pouvait pas savoir en 1994, c'est que Brian Wilson sortirait effectivement son SMILE, mais beaucoup plus tard, que les ayants droits d'Hendrix sortiraient un FIRST RAYS OF THE NEW RISING SUN constitué de chutes de studio, que McCartney récupérerait les bandes de LET IT BE pour nous les restituer brutes. 

FUGUES de Lewis Shiner (1994)
édition Poche Folio SF -  490 pages.
On regarde "The long and winding road", version Spector... (y'a pas d'images pour l'autre...)


ghsdfhsfh

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire