vendredi 19 septembre 2014

A WOP BOP A LOO BOP A LOP BAM BOOM de Nik Cohn (1969) par Luc B.



Au moment où il écrit ce livre, Nik Cohn a 22 ans. Et c’est sans doute l’information essentielle pour bien appréhender cette Bible. Nous sommes en 1968. Nik Cohn est jeune journaliste de rock, un métier qui n’existe même pas encore. A WOP BOP A LOO BOP A LOP BAM BOOM, est le premier livre d’un genre nouveau, un livre sur la musique Pop. On dirait aujourd’hui sur le Rock. Mais à l’époque, Mozart faisait du classique, Charlie Parker du jazz, les autres faisaient de la Pop, Petula Clark ou James Brown dans le même sac.

Sans commentaire...
A WOP BOP (je ne vais pas réécrire à chaque fois le titre en entier…) est la référence. Le mètre étalon. Le maître étalon. Et franchement, si vous ne deviez en lire qu’un seul, ce serait celui-là. Il offre à la fois une vision assez exhaustive de l’histoire de la Pop, et expose une nouvelle façon d’écrire, un style que reprendra Lester Bangs, ou Nick Kent [clic vers NICK KENT, sa bio]. L’écriture subjective. Je mêle l’Histoire officielle avec un grand H, et mon ressenti. Je place en haut du podium ce qui m'a marqué, même si techniquement, ce n'est pas le meilleur. Car ce qui m'a marqué est forcément plus important. [exemple vrai : une copine me disait "je ne comprends pas pourquoi dans les livres sur le Cinéma, on ne parle jamais de "Pouic Pouic" avec De Funès, pourtant, moi, je l'adore, petite, il m'a toujours fasciné...". Si elle écrivait une encyclopédie du cinéma, elle mettrait "Pouic Pouic" et "Citizen Kane" sur la même marche, et de son point de vue, n'aurait pas tort !].

Eddie Cochran et Gene Vincent
Nik Cohn, sur demande de son éditeur, s'enferme trois mois dans une barraque en Irlande, et retrace l’histoire de la Pop musique. Et pour lui, la Pop (le Rock) c’est quoi ? C’est ce qui frappe, c’est l’instant, l’éphémère, le truc sauvage, qui détruit tout sur son passage. Et qui s’adresse aux adolescents. Dès que ça se prend au sérieux, ce n’est déjà plus Pop. C’est pourquoi le jugement de Nik Cohn peut paraître outrancier.

Il commence son bouquin (chronologiquement, puis par thématique) par Bill Halley, le trentenaire bedonnant avec l’accroche cœur collé au front par une tonne de gomina. Historiquement, c’est le premier [clic pour ROCK & CINEMA, les pionniers] mais le mec n'est pas franchement bandant. Puis vient Elvis Presley, forcément, le King incontournable, celui qui a fait décoller la machine, a posé les fondations, celui qui chante mieux que tous les autres, celui qui représente l’interdit, le sexe, la moiteur, les élans de la jeunesse, mais qui se perd dans les affres hollywoodiennes, les ballades pour bourgeoises ménopausées.

Nik Cohn passe en revue tous les représentants du genre, les pionniers, en qualifiant parfaitement leur style, les Chuck Berry, les Jerry Lee, les Fats Dominos, les Little Richard, les éphémères Buddy Holly, Gene Vincent, et le chouchou Eddy Cochran (décédé à 21 ans). Mais plus encore, les oubliés, The Everly Brothers, Charlie Rich, The Four Seasons [clic sur l'article JERSEY BOY, le film]. C’est ce qui donne tout l’intérêt à ce bouquin, redécouvrir un tas d’interprètes catapultés aux sommets des hit-parades, les sosies d’Elvis, les clones édulcorés, délavés, le genre Highschool, équivalents de nos yéyés, les Paul Anka, Ricky Nelson, les minets à minettes qui ne font pas peur aux parents, Pat Boone, la Surf Music, le Twist de Chubby Checker qui enflamme les dance-floor branchouilles, Connie Francis, Tommy Steele, et en Angleterre, Billy Fury, Cliff Richard, Adam Faith, Dion... la bataille rangée entre les Teds et les Mods.

Nik Cohn ausculte ce qui se passe aux USA et en Angleterre. Il mêle dans un même chapitre les grands noms et les minables, ceux issus de l’industrie commerciale, ce qui nous vaut quelques portraits mordants et tordants. En répétant plusieurs fois : "avant que les Beatles ne débarquent". Son analyse du phénomène Beatles est assez pertinente. Il remet parfaitement en perspective ce que les quatre de Liverpool ont apporté au Rock. Comme les Stones, ou les Who. Mais selon son crédo, la Pop est éphémère, et il les dézingue bien vite. A partir de SERGENT PEPPER, c’est de la branlette. La moitié de bons titres, le reste à la poubelle, et la suite est tout simplement chiante, comprenez le DOUBLE BLANC. Cohn se fout pas mal de la Pop sauce curry de Georges Harrison, avec  Maharishi Mahesh Yogi, devenu le guide spirituel des stars en manque de LSD. C'est tellement vrai. Et l’autre, Mick Jagger, il avait les burnes et le fric pour changer le monde, mais il préfère gueuletonner à Saint Tropez…

Tom "sex bomb" Jones
Nik Cohn fait le constat qu’après 3 ou 4 ans d’intense création, les artistes perdent de leur superbe. Ne s’adressent plus à la masse d’ado, mais aux adultes, donc aux intellectuels. Réflexion pertinente sur la notion de "génération" : se prendre Elvis en pleine tronche à 11 ans, ou à 15, c'est pas la même chose. On pourrait presque résumer sa définition de la culture Pop, au format des disques. Avant, on vendait des 45 tours, pas chers, un coup unique, pour les jeunes : « Jailhouse Rock », « Satisfaction », « My generation », « Drive my car »… Ensuite, quand on se fend de produire des 33 tours, on vise la démarche artistique, conceptuelle, on passe dans un autre monde. C'est chiant. J'vous dis pas pour les doubles, ou les triples albums (Coucou Georges Harrison). Heureusement pour les groupes de Prog, Cohn ne les a pas encore entendus !  Nik Cohn fait résonner une réflexion du producteur Phil Spector : "quand à 23 ans, vous êtes un génie, que vous avez sorti vos meilleurs disques, que vous êtes millionnaire, que vous avez le monde à vos pieds... putain, vous faites quoi les 50 ans années qu'il vous reste ?..."

Grace Slick
Nik Cohn nous parle de la Soul Music, taillant quelques croupières à Otis Redding (la star Noire acclamée par les blancs à Monterey, historique ! Tu parles... c'était surtout le seul à s'être déplacé, les autres n'ont pas voulu jouer gratis !), la Motown, l’écurie Atlantic, Stax. Car Cohn ne vise pas seulement les interprètes, mais aussi les auteurs, producteurs, arrangeurs (Leiber et Stoller, Phil Spector) [clic sur l'article HOUND DOG, la bio de Leiber et Stoller]. Un long passage par Dylan, qui en gros a rendu le Rock intelligent, a redéfini le format Pop, et influencé la vague du Folk Rock, des Byrds, aux Papa’s and Mama’s, Simon et Gartfunkel… et une pléïade de caricatures beatniks totalement chiante. Assez rigolo son avis sur le Psychédélisme, les Hippies, Monterey, les Freaks de Zappa, l’Acid Rock, la déviance intellectuelle. Il n’a pas de mots assez durs pour The Doors, symbole d’un cirque médiatique savamment orchestré. Pas faux. Jim Morrison en était conscient, mais ça, Nik Cohn ne pouvait pas encore le savoir.

Il faut vraiment garder à l’esprit que ce livre a été écrit en 1968, que Nik Cohn n’avait pas le recul pour juger de l’influence de nombres d’artistes sur les décennies à venir. Il dit par exemple de Jimi Hendrix, excellent guitariste, que son public ne faisait pas la différence entre ses fulgurances et ses figures grossières. Que s’il avait été sifflé plus souvent pour ses couacs et ses clowneries, plutôt qu’acclamé systématiquement, ça lui aurait rendu service. Nik Cohn reconnait à Eric Clapton autant de talent, techniquement, mais davantage de lucidité quant à son propre statut (jusqu'à ce qu'il décide de se mettre aussi à chanter !).

Nik Cohn a révisé son livre en 1972. Mais ne corrige pas le tir. Il loue Creedence Clearwater Revival ou James Taylor dans ceux qu'il confesse avoir oubliés, mais expédie en une ligne Pink Flyod, Ten Years After ou Led Zeppelin. Pour lui, l’important n’est sans doute pas la chanson, la production, ou le chanteur. Bien que savoir chanter est le strict minimum dans ce métier : la météore étincelante, Elvis, le sirupeux de ses dames, Tom Jones, le stentor Roy Orbinson, le talent évaporé de Steve Winwood. Ce qui compte c’est le son, le bruit, la déflagration. Le texte importe peu, la preuve, A wopbop A loobop, A lop bam Boum, le fameux gimmick à la fin du refrain de "Tutti Frutti" de  Little Richard. Enfin ça c’était avant Dylan car après il a fallu se fader les poètes rock ! Cohn est conscient de ne pas pouvoir citer tout le monde, n’oublions pas qu’il n’avait comme archive que sa mémoire, ses disques, ses rencontres.

A WOP BOP est un bouquin absolument passionnant, à la hauteur de sa réputation. Pionnier du genre, Nick Cohn étudie à la loupe 15 ans de musique Pop, qu’elle soit Rock, Blues, Soul, Country, Folk, Psychédélique, et livre son éclairage. On adhère ou pas. On se dit Ouais il n’a pas tortOh il exagèreAh non, merde, c’est faux !! Et ce qui ne gâte rien, c’est merveilleusement bien écrit, drôle, spirituel, assassin, tendre, éminemment subjectif (son obsession pour P J Proby). On pourrait être agacé par la prétention de Nik Cohn, à 22 ans, de prétendre avoir tout vu, entendu, compris. Mais il dresse un fulgurant panorama de la Pop musique, un bouquin devenu un classique (donc, qu'il aurait lui même déboulonné !) qui ne rougirait pas à trôner en bonne place dans votre bibliothèque.   
                 

Eddie Cochran : "Summertime Blues" (on ne s'en lasse pas...) 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire