lundi 8 septembre 2014

HIPPOCRATE (2014) de Thomas LILTI – par Claude Toon



J'avoue un manque d'attirance global pour le cinéma médical, ou pire, les séries hospitalières. J'ai toujours été fasciné par l'appétence de mes congénères sur le sujet qui sent le désinfectant, stimule le voyeurisme sur la maladie et la mort, passionne pour le sang et autres fluides corporels allant de l'urine au dégueulis… À croire que de voir des acteurs un pied dans la tombe rassure sur son propre  bulletin de santé. 331 épisodes pour Urgences imaginé par feu Michael Crighton (médecin de formation et urgentiste). 100 prises de températures et suppositoires entrés dans les annales ("Très fin M'sieur Claude"). C'est ainsi que le beau George Clooney, après quelques dizaines d'intubations vite faites sur le gaz, est devenu une star planétaire et le chantre du café en dosette. Forcément, avec les gardes de nuit et le stress, la caféine, ça le connait. Oh, mon préféré : le Dr House ! Longiligne, famélique, boiteux et mal rasé. 177 épisodes (petit joueur). Désagréable et fat, un peu camé à cause des douleurs de sa patte folle, il ne porte même pas de blouse et utilise son stéthoscope quand par hasard il le trouve. Mais attention, cet interniste, question diagnostic il touche sa bille ! Un gars agonise depuis des jours face à un staff découragé… Dr House (Hugh Laurie) se pointe et vous balance en une minute que le type s'est choppé un rarissimobacter du Tibet en croisant le 39 janvril un pygmée de 27 ans à l'embarquement du vol AF278 de 19H42 à Macao… Une boîte de Bactrim et l'affaire est bâchée ! P**n je suis atteint du syndrome de la vacherie folle ce matin… Je vais consulter.
- Mais moi je les aime bien les Dr Ross et House M'sieur Claude, vous êtes cruel là….
- Ah, Ah, vous vous feriez bien examiner par ces toubibs hypnotiques ma chère Sonia, Hummmm ?
- Oh M'sieur Claude, vous me faites rougir…. Mais… vous ne deviez pas nous parler d'un film sorti en salle ?
- Si, Si, mais il y a longtemps que je ne n'avais pas commis un petit délire verbal pour rigoler. Parlons du film français actuellement en salle, en effet.
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Hippocrate est un parcours initiatique, une odyssée par "Ulysse-Benjamin" à travers la réalité de l'exercice de la médecine, par un apprenti interne, loin des bouquins d'étude et de l'autosatisfaction des mandarins au journal TV du 20 Heures. Une "comédie drôle" annonce l'affiche… Pas certain à mes yeux, plutôt une tragicomédie ou encore la comédie humaine sous forme d'un huis-clos hospitalier.
Le héros : Benjamin (Vincent Lacoste), un jeune interne de 23 ans qui débarque un beau matin dans un service de médecine interne (en gros les soins ultimes aux cas désespérés) dirigé par son propre père (Jacques Gamblin). Les premiers plans sont à l'image de son désarroi : un Benjamin paumé dans les sous-sols lugubres et décrépis d'un hôpital de l'APHP* à la recherche de la lingerie et d'une blouse. Il taille du 2, on lui refile du 4 avec des tâches ; mais des "tâches propres" précise la lingère qui a dépassé le stade où l'on s'inquiète de ce genre de détail… Seconde scène : notre Benjamin planté dans un couloir parcouru en tout sens par des blouses blanches qui ne voient même pas le jeune homme. Une blouse blanche de plus ou de moins... Dans le surmenage ambiant, Benjamin est un ectoplasme, un intrus. Ça pourrait être drôle, c'est pathétique, à l'image de la descente aux enfers de l'hôpital public dans notre système de santé.
(*) : Assistance Public des Hôpitaux de Paris.


Hippocrate est une visite réaliste, un documentaire social plutôt qu'une fiction même si le scénario bien écrit et solide évite l'ennui d'un reportage didactique. À travers la vie des équipes médicales, Thomas Lilti, lui-même médecin généraliste quand il délaisse la caméra, filme les péripéties des internes confrontés aux démons de l'univers médical.
La nuit, la solitude, la décision à prendre sur un patient violent, SDF, aux organes consumés par l'alcool. L'électrocardiographe est en carafe. D'ailleurs il l'est depuis 6 mois (car le technicien de maintenance n'a pas du être payé par le trésor public depuis des lustres)… Benjamin est contraint de zapper sur l'ECG en pleine nuit. Le patient surnommé Tsunami (Thierry Levaret) de par ses accès de violence n'y survivra pas. Le lendemain, on se sert les coudes, Papa et les chefs de clinique couvrent le jeune poulain. On baratine la veuve avec un imbroglio savant ou prédomine une histoire de pancréas. Benjamin suit le mouvement, tous les mouvements car "c'est la faute à qui, à quoi ?". Le jeune homme seul qui ne peut reproduire les gestes théoriques appris en amphi ? La direction de l'hôpital qui pinaille sur les budgets jusqu'à l'absurde ? etc...
Benjamin doit faire une ponction lombaire. Thomas Lilti se fiche de la technique et aurait pu choisir n'importe quel acte un peu délicat. Benjamin hésite, le patient est nerveux, l'atmosphère n'a rien d'héroïque à l'inverse des séries brocardées plus haut… Arrive Abdel (Reda Kateb), un médecin algérien déjà expérimenté mais obligé de faire stages sur stages pour obtenir son équivalence de diplôme, et ainsi travailler en France et faire venir son épouse et son gamin. Il assiste Benjamin… De la légère vexation de celui-ci va naître une complicité. De par son âge, Abdel vit mal les délires de carabins, les soirées alcoolisées pour exorciser la pression des dizaines d'heures de garde, les tags pornographiques sur tous les lieux de travail ou de repos cachés des patients.


Thomas Lilti aborde avec habileté et humanité le problème de la fin de vie, de l'acharnement thérapeutique, de la loi Leonetti. Mme Richard (Jeanne Cellard), 88 ans, arrive dans le service avec une fracture du col du fémur qui tourne mal. Pauvre Mme Richard. Un repère à métastases, une vie trop longue, trop de souffrance pour continuer de lutter pour prolonger une vie qu'elle ne veut plus subir. Ses enfants souhaitent la fin de ses souffrances. La vielle dame sera le déclencheur des passions. Abdel installe la pompe à morphine pour accompagner l'octogénaire vers la sérénité éternelle. Impensable pour la chef de clinique Denormandy (Marianne Denicourt) qui ne veut pas prendre le risque de voir le lit occupé trop longtemps et souhaite "refiler le bébé" aux services des soins palliatifs ou… n'importe où. Le choc entre l'humanité et la logistique sous le regard du rendement. Mme Richard devient l'enjeu des rivalités : on remplace la pompe par une insupportable sonde gastrique, pour faire croire qu'elle peut partir en rééducation alors qu'elle est déjà dans un autre monde. Conflit médical, pleurs de la vielle dame et de sa famille, détresse de Benjamin qui commence à douter de sa vocation. Le drame final se jouera la nuit comme souvent. Arrêt cardiaque. Les réanimateurs déboulent et font repartir le cœur… Certes mais rien d'autre ! Abdel et Benjamin en viennent aux mains avec l'équipe de jusqu'au boutistes et décideront seuls, en présence des enfants, de mettre fin à la mascarade. Ils ont franchi la ligne jaune et devront rendre des comptes… Lesquels ? Je ne raconte jamais la fin des films… Au passage Thomas Lilti égratigne la direction des Hôpitaux confiée de nos jours à des administrateurs formés à Rennes dans l'EHESP, une école de managers sans formation médicale. Comme aurait pu le chanter Brel : "Avec ces gens là, on ne soigne plus… on compte !".
Le jeu des acteurs est assez réaliste. Ils disparaissent derrière leurs personnages. Peu de bavardages médicaux auxquels le spectateur n'entendrait rien. C'est la force du film : des êtres de chair et de sang confrontés à une mission souvent difficile, parfois impossible, voire contre nature (éthique) du fait des règlements, de la suprématie du juridique sur l'empathie. Au niveau de la photographie, ce n'est pas Byzance, mais Thomas Lilti témoigne, il ne fait pas une œuvre d'art. Beaucoup de caméra portée. C'est un peu fatiguant mais cela ajoute à la frénésie des situations.
Un film qui porte bien son titre : Hippocrate, un serment qui exige de "diriger les soins à l'avantage du malade en s’abstenant de tout mal".


3 commentaires:

  1. J'ai bien peur que la citation de Brel que tu as superbement arrangée à ta façon soit définitivement adoptée par notre système de santé qui part à vau-l'eau. J'ai bien aimé ta chronique et vais aller voir de ce pas si cet Hippocrate peut nous soulager de nos maux au moins pendant 1H1/2.

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    1. Merci Zorro :o)
      J'ai beaucoup donné dans les les lits d’hosto (trop) et j'ai un membre de ma famille qui a fini par lâcher l'affaire dans un service lourd d'un des plus grand hôpitaux parisiens. Marre de courir dans les couloirs pour taxer le service voisin (pas forcément mieux loti) pour trouver des aiguilles qui conviennent, de la panse-menterie ad hoc', etc....
      Oui, le film soulage car les personnages refusent de lâcher la bride... Il y a même un petit air de révolte. Je n'en dis pas plus...

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  2. La vache ! Il y avait une éternité que Marianne Denicourt n'était plus apparue dans aucun film. Revenue d'entre les morts en quelques sorte.

    Mmm... Pas sûr tout de même d'aller le voir celui là.

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