vendredi 10 octobre 2014

ROOM 237 de Rodney Ascher (2012) par Luc B.



Des livres sur le cinéma, y’en a des tonnes (mes étagères en témoignent). Mais des films sur des films… Sur des chanteurs, oui, de plus en plus, mais sur des films… Ce ROOM 237 réalisé par Rodney Ascher, s’attache à décortiquer les messages cachés du film de Stanley Kubrick, SHINING (1980). Que vous ayez vu ou non SHINING, tiré d’un bouquin de Stephen King, j’imagine que vous connaissez au moins l’histoire, que je vous redonne en deux mots : Jack Torrance, écrivain, s’installe comme gardien avec Wendy sa femme, et Danny son fils, dans l’hôtel Overlook, fermé pendant l’hiver. Un isolement propice pour se mettre à son nouveau roman. Et ça va mal tourner…

Le Tom Cruise de EYES WILD SHUT qui regarde les photos de SHINING...
Le cinéma de Stanley Kubrick s’adapte parfaitement à ce genre de documentaire, le metteur en scène ayant été toute sa vie accusé de mille maux, son perfectionnisme raillé ou célébré. Il est aussi connu pour ne pas expliciter ses films, mais proposer des pistes que le spectateur est libre d’interpréter. Le fait qu’il ait vécu et travaillé isolé, près de Londres, qu’il avait peur de l’avion, et faisait 85 prises pour un plan, en fait un personnage forcément suspect aux yeux de certains. Et pour SHINING, les interprétations vont bon train, de l’observation objective des images jusqu’aux délires les plus jouissifs.

Le film ROOM 237 est d’abord très bien fait, avec un mode narratif rigolo, détournant plein d’extraits de films, de Kubrick ou autres réalisateurs. Extraits choisis non sans humour la plupart du temps. Les intervenants sont tous en voix-off. On parle d'image, on montre des images, des extraits, des zooms, des arrêts sur images, des croquis, du multi-écran…

C’est dans l’étude des images que ce documentaire est le plus pertinent. En premier lieu lorsqu’il met à jour que l’organisation de l’hôtel est « impossible ». Je précise que tout le film se passe dans cet hôtel. Un vrai, qui s’appelle en réalité l’hôtel Timberline, dans l’Oregon. Filmé au début, mais ensuite entièrement reconstitué en studio près de Londres. Chose amusante, l’hôtel initial, celui du livre de Stephen King, situé dans le Colorado, a pour nom : l’hôtel Stanley… Véridique !

Bref, des fanatiques ont réussi à reconstituer les plans de l’Overlook de Kubrick, en fonction des images du film. Si le salon est là, les ascenseurs à gauche, le couloir qui longe les cuisines, etc… Ben ça ne colle pas ! Exemple avec le bureau du directeur, qui y reçoit Jack Torrance au début. Il y a une fenêtre qui donne sur un paysage. C’est impossible. Quand on regarde bien le film, il ne peut pas y avoir de fenêtre, car le bureau ne donne pas sur l’extérieur, il est complètement entouré d'autres pièces !

La fenêtre impossible
Lorsque le gamin, Danny, se balade dans les couloirs en vélo (des plans séquence, donc sans coupure), en fonction de ses virages à droite, à gauche, des éléments de décors devant lesquels il passe, on peut retracer son itinéraire. Et ça ne colle pas ! Car le gamin ne peut pas se retrouver dans les couloirs de la cuisine, devant l'appart de ses parents, où passer d’un étage à l’autre (sans escalier ni ascenseur, qu’il n’emprunte jamais). Après revisionnage (car vous pensez bien que j'ai vérifié) je ne suis pas convaincu par ça.

Par contre, on observe un nombre incalculable de faux raccords. Des erreurs de script, chez Kubrick ? Impossible. Et pourtant, quand Danny, Wendy, et le gardien Hallorann, visitent les cuisines, ils entrent dans le garde-manger où il y a la viande surgelée. La porte est à gauche de l’image. L’arrière-plan donne sur les cuisines, on voit une hotte. Lorsqu’ils ressortent, l’arrière-plan est une porte à battants. On se dit : ils sont ressortis ailleurs ? Ben non, y'a qu'une issue. La caméra a pivoté de 180°, c’est le contre-champ ? Ben non, puisqu'alors ils  ressortiraient de la droite vers la gauche (si on inverse l'axe). Ce qui n'est pas le cas.

Exemple encore plus frappant. Danny joue aux petites voitures, dans un couloir, sur la fameuse moquette aux losanges. Soudain, une balle de tennis roule vers lui, sur une bande de moquette marron. Le gamin lève les yeux. Cut. On voit le couloir : y’a personne (alors d’où vient la balle ???). Cut. On revient sur Danny qui se relève : les motifs de la moquette sont inversés, il n’y a plus la bande marron. Même problème : si l'angle de caméra a été inversé, Danny devrait logiquement être filmé de dos. Sauf qu’il est toujours de face, les petites voitures à ses pieds !

Ces démonstrations montrent que Kubrick a délibérément faussé son film, pour désorienter le spectateur. L’architecture de l’hôtel est vue comme le cerveau dérangé de Jack Torrance, ce qui culminera avec la scène du labyrinthe. En plus des travellings latéraux, du rythme des poteaux, des motifs de moquette qui contribuent à hypnotiser le spectateur, on s’aperçoit que rien n’est logique, tout est trompeur. Comme ses dessins trompe-l’œil, où un type monte un escalier qui pourtant descend, vous voyez ? C’est diabolique ! Kubrick peut-il vraiment ne pas s’apercevoir au montage, que la machine à écrire de Jack Torrance change ? Que la chaise derrière lui a disparu entre deux champ / contre-champ ? Que lorsqu'il défonce la porte de la salle de bain à la hache, un battant entier se retrouve évidé comme par miracle ? (ça c'est vérifié, et c'est hallucinant !)

L’autre partie de ROOM 237 s’attache aux messages sous-entendus du film, et là, ça devient vraiment comique. Vous connaissez la thèse comme quoi Kubrick, approché par la CIA, aurait réalisé les images de l’alunissage d’Apollo 11 (1969), en studio, réutilisant les décors et techniques de 2OO1 ? Une vieille rumeur qui court depuis des lustres (voir le documentaire de William Karel "Opération Lune" (2002), un "fake" étonnant et très rigolo). Si Kubrick a pu obtenir de la NASA un objectif photo ultra-sensible pour filmer certaines scènes de BARRY LYNDON en 1975, c’est que la NASA lui était redevable… CQFD. La preuve : Danny a un pull en laine avec une fusée tricotée dessus. « Room n°237 ». Mélanger les lettres… R, O, O, M, N = MOON ROOM ! Et en miles, quelle est la distance de la terre à la Lune ? 237 000… Kubrick se servirait donc de SHINING pour s’excuser auprès de sa femme de lui avoir menti pendant des années : oui j’ai filmé Neil Armstrong sur une fausse Lune en 1969… On est prié de ne pas rire.

On a le gars qui pense que SHINING est un film sur l’Holocauste. Génocide décidé par les nazis en 1942. Retenez le nombre 42. La chambre maudite de l’hôtel est la 237. 2 fois 3 fois 7 = 42. C’est aussi le nombre inscrit sur le maillot de baseball du gamin… C’est le nombre de voitures garées sur le parking de l’hôtel. Et le film que regarde Danny et sa mère à la télé, c’est « Un été 42 »… D’ailleurs, la machine à écrire de Jack Torrance est de marque allemande, Aigle. Aigle = nazi, c’est bien connu. J’en passe et des meilleurs.

La théorie sur le génocide indien n’est pas mal non plus, la preuve, dans la réserve de nourriture, on voit une boite de conserve de la marque « calumet », et aux murs des tentures sioux… Autre énormité : Stephen King n’aimait pas le film, l’intrigue ayant été trop remaniée par le cinéaste (il tournera sa propre version pour la télé). Démonstration : la Volkswagen Coccinelle des Torrance est rouge dans le roman, et jaune dans le film. A la fin du film, quand Hallorann revient vers l’hôtel, on voit un accident de la route : une Coccinelle rouge est encastrée sous un camion. Ce serait un bras d’honneur de Kubrick aux réflexions de Stephen KingJ'écrase ta voiture, j'écrase ta version, j'écrase ton bouquin. Théorie qui ne tient évidemment pas, puisqu'au moment de tourner cette scène, Kubrick ignorait l'avis de Stephen King sur un film qui n'était pas encore fini de tourner !!! Cette histoire de bagnole me fait penser à la pochette d’Abbey Road, des Beatles, avec cette théorie fumeuse qu’elle divulguerait que Paul McCartney était décédé pendant l’enregistrement ! 

Ils nous font aussi le coup des images subliminales, une centaine dans le film, mais sur les exemples montrés, arrêt sur image à l'appui, rien ne m’a particulièrement frappé… le coup du directeur d'hôtel qui bande(rait) en serrant la main de Torrance... Trop drôle ! Le top, c’est le gars qui a eu l’idée de superposer sur un même écran, le film projeté à l’endroit et à l’envers ! Des messages apparaissent (comme les disques de hard rock passés à l'envers ?!!) expliquant tout. Bon, le cinoche c'est  24 images/seconde, le film dure 2 heures, je vous laisse calculer… Ça me parait évident qu’à un moment, deux images vont se superposer, et qu’on pourra y trouver du sens…   

ROOM 237 relève d’un genre inédit. Mais plutôt que de laisser la parole aux seuls fanatiques, adeptes des théories du complot (car y’a ça aussi, of course !) j’aurais aimé avoir l’avis d’ex-collaborateurs de Kubrick, de critiques, d’autres cinéastes. Cela aurait été plus rigolo, et aurait relativisé ces observations parfois fumeuses. Car si Stanley Kubrick pensait chacune de ses images avec un soin quasi maniaque, on sait aussi qu’une image peut donner bon nombre d’interprétations, différentes, voire opposées. ROOM 237 en est la preuve éclatante.

Soit nous sommes devant des coïncidences, des hasards heureux, soit face à des délires qu'on balaie du revers de la main, soit devant des images... effectivement extrêmement troublantes...

Pas de véritable bande annonce disponible, mais ces extraits. C'est en anglais, pardon, pas le choix ! Mais les images parlent d'elle même.



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