samedi 1 novembre 2014

BEETHOVEN - Quatuor N° 15 opus 132 – QUARTETTO ITALIANO – par Claude Toon



- Tiens M'sieur Claude, musique New Age aujourd'hui, ça vous change de la musique classique…
- Heuu oui…  Le morceau que vous entendez est de Beethoven ma petite Sonia…
- Tiens, c'est curieux, cette musique très douce aux cordes seules me fait penser à de la musique contemporaine comme Ligeti, un peu Vangelis aussi…
- Oui, c'est un adagio étonnant écrit par Beethoven après qu'il a failli passer de vie à trépas au milieu de la composition de son 15ème quatuor…
- Une sorte de prière donc, de chant du cygne métaphysique en somme ?
- Eh bien ma belle Sonia, c'est cela ! Travailler au blog vous a ouvert des horizons culturels nouveaux… On va réfléchir à vous proposer d'autres responsabilités…

Évoquer le Quartetto Italiano revient à parler de facto des quatuors de Beethoven et plus particulièrement de l'intégrale que l'ensemble réalisa entre les années 1967 et 1975. Ce n'est bien entendu pas la seule version culte, mais il y avait une symbiose particulière entre ce compositeur, qui révolutionna le genre au début du romantisme, et ces quatre musiciens.
C'est en 1945, dans une Italie qui panse ses plaies du fascisme, que trois jeunes artistes de l'académie musicale de Sienne se côtoient et décident de créer le Nuovo Quartetto Italiano qui perdra le préfixe Nuovo vers 1950. Jusqu'en 1947, l'alto sera tenu par Lionello Forzanti qui les rejoint, puis Piero Farulli reprendra le flambeau. Le quatuor va conserver sa complicité pendant 30 ans, jusqu'en 1977, date à laquelle Dino Asciolla occupera le poste d'alto jusqu'en 1980 qui marquera la dissolution de l'ensemble.
Une complicité aussi longue a permis à ce quatuor d'atteindre une grande pureté de jeu. Hormis quelques associations exceptionnelles avec d'autres virtuoses comme Maurizio Pollini (quintette de Brahms, une gravure de référence en 1974), le Quartetto Italiano va se concentrer sur l'immense répertoire pour leur formation : Beethoven, Mozart, Schumann, Brahms et Webern.
Soucieux de suivre les enseignements de leurs aînés, les quatre musiciens profiteront d'un récital à Salzbourg pour rencontrer Wilhelm Furtwängler qui leur conseillera d'oublier tout académisme au bénéfice d'une grande liberté dans leurs choix interprétatifs ; ce que le vieux maestro savait si bien faire… Rencontre inestimable et à l'évidence conseil appliqué tant leur discographie témoigne d'une grande virtuosité certes, mais surtout d'une expressivité qui les a fait entrer dans la légende comme le quatuor Busch dans la première moitié du XXème siècle…
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Gravure de Joseph Teltscher
  représentant Beethoven sur son lit de mort
Saut dans le temps en 1969. Ma première rencontre avec un quatuor en général et ceux de Beethoven en particulier a eu lieu avec ce disque. Et Sonia a raison : commencer une carrière de mélomane avec l'adagio, si étrange et si long, est un choc pour un ado sensible et un rien mystique, devenu 45 ans plus tard votre chroniqueur classique favori (heuuu j'espère). Attention à ne pas se méprendre, je ne vous parle pas de cet enregistrement par nostalgie. Non ! Depuis 1967, ce disque n'a jamais quitté le catalogue. J'y reviendrai dans la discographie alternative. Je m'aperçois avec plaisir que leurs intégrales des quatuors de Mozart et Haydn sont toujours disponibles sous le label Decca qui réédite le patrimoine Philips.
Si Beethoven a donné de nouvelles dimensions à pratiquement tous les styles de composition (sauf l'opéra), c'est sans aucun doute avec les symphonies (à partir de la 3ème "héroïque") et les quatuors qu'il montre le plus son génie novateur. C'est d'ailleurs son travail sur les quatuors qui va marquer la fin de son activité créatrice avant sa mort en 1827. Une dixième symphonie, ébauchée, ne verra pas le jour tandis les quatuors opus 130 à 135 vont constituer son testament musical dans les années 1825-1826. La grande fugue opus 133 (la transcription pour piano à quatre mains porte le numéro de catalogue opus 134) peut être séparée du quatuor opus 130 ce qui fait que Beethoven aurait composé 17 quatuors. Désolé pour ces détails, mais cela explique que dans cette embrouille, les jaquettes et livrets de CD préfèrent recourir aux numéros de catalogue plutôt qu'à une numérotation chronologique ambiguë.
Ces quatuors représentent un ensemble en état de grâce qui n'a d'équivalent que chez Schubert (les 3 derniers, 13 à 15), le quatuor américain de Dvorak (clic) et une partie des 15 quatuors de Chostakovitch.

Ignaz Schuppanzigh (1776-1830)
Le 15ème quatuor est une pierre angulaire de la musique occidentale. J'ai longtemps attendu avant d'oser commenter une telle œuvre. Écrit en 1825, on est surpris d'emblée par sa forme : un immense adagio de vingt minutes encadré par deux couples de mouvements allegro. Les cinq parties étirent l'œuvre sur une durée exceptionnelle de presque 50 minutes ! Pendant la composition de l'ouvrage, Beethoven déjà affaibli et atteint d'une surdité quasi-totale tombe gravement malade de mars à mai 1825 et doit interrompre son travail. Quasiment revenu d'entre les morts, il imagine intégrer un adagio démesuré et autonome par son architecture au sein de l'œuvre dont il reprend la composition. Pour ce quatuor dans le quatuor, il inscrit sur la partition : "Cantique d'action de grâces d'un convalescent à la Divinité, en mode Lydien*". La création a lieu le 9 septembre 1825 par le quatuor d'Ignaz Schuppanzigh. Contrairement aux autres quatuors contemporains trop en avance pour leur temps, c'est un grand succès et l'ouvrage est rapidement redonné en concert. Je pense que le public a été fasciné par le climat hypnotique de l'adagio.
(*) Mode Lydien : pour faire simple, il s'agit d'une gamme majeure qui sonne comme une gamme mineure, à savoir une tonalité nostalgique.

1 - Assai sostenuto – Allegro : Les quatre instruments entrent un à un, en procession : le violoncelle, l'alto, le violon II puis le I. L'atmosphère de l'allegro est inscrite dans ce début épuré : des instruments dotés d'une totale liberté, une conversation animée. Thèmes résolus et élégiaques s'affrontent dans le discours musical. La richesse mélodique montre à quelle maîtrise le vieux maître est parvenu dans cette forme quatuor. Une richesse qui explique ma tentative tardive à vous présenter cette œuvre. Il y a peu à commenter, juste à se laisser entrainer. Romain Rolland voyait dans cette introduction pas à pas comme une interrogation, une énigme sur la pertinence de l'existence. À cette question, toute la ligne mélodique répond énergiquement par l'affirmative en alternant motifs volontaires de marche, ou phrases sensuelles aux sonorités épicuriennes. L'interprétation du Quartetto Italiano explore chaque mesure avec un délié et une finesse stupéfiants. Ce quatuor voyage dans l'univers beethovénien avec une compréhension de l'ésotérisme sous-jacent peu commune.

2 - Allegro ma non tanto : Ce premier intermède prend des allures de promenade. En la majeur, le mouvement libère les tensions de l'allegro initiale pour nous préparer à la longue méditation de l'andante. On y discerne un climat pastoral. Dans ce mouvement de forme scherzo, le trio central virevolte comme une danse villageoise. Une fois de plus on retrouve les couleurs franches qui firent la réputation du Quartetto Italiano. Un passage idyllique et joyeux, brillant certes, mais aussi empreint d'une grande fraîcheur poétique.

Quatuor au début du XIXème siècle (gravure de Friedrich Gauermann)
3 - Molto Adagio : Attention, départ pour un voyage astral. Toutes les phrases, même de la plume des musicologues les plus lettrés, risquent de paraître creuses face à la magie ce que l'on entend. On est en droit de s'interroger si la surdité de Beethoven ne lui a pas permis de s'évader vers des contrées aux espaces et sonorités surnaturels qu'il ne risquait pas de censurer lui-même pour leurs audaces, puisqu'il n'a jamais réellement entendu le résultat ailleurs que dans son esprit. Dès l'introduction, il règne une fausse uniformité dans les longs thrènes énoncés à l'unisson. Les variations sont ténues, comme dans une rêverie qui se voudrait éternelle. Songe fiévreux, prière, chacun y entendra à son gré le chant d'un homme arrivé au bout du voyage mais croyant encore en la vie. Cette sublime litanie est interrompue deux fois par une seconde thématique plus concertante et plus joyeuse qui symbolise à l'évidence la reconnaissance. La coda, très longue, s'envole crescendo dans une poignante gravité dans laquelle s'impose la voix du violoncelle. Le Quartetto Italiano adopte un tempo très retenu qui donne toute sa métaphysique à ce mouvement et, par ailleurs, détimbre totalement le son des cordes de leurs instruments. Comment peut-on en effet imaginer cette musique méditative et céleste entachée de fioritures héritées de l'ère baroque ou résultant d'une virtuosité hédoniste ?

4 - Alla marcia, assai vivace : Beethoven avait placé son scherzo en seconde position. Une inversion par rapport à l'usage déjà mise en pratique dans la 9ème symphonie. Cette solution trouve sa justification lorsqu'il faut réserver une pause à l'auditeur entre deux mouvements de grande intensité émotionnelle. On rencontrera de plus en plus cette organisation dans les œuvres d'importance de la musique romantique et postromantique (Bruckner, Mahler). Après l'extraordinaire andante, Beethoven décide de faire très simple et très léger. Une quarantaine de mesures et deux minutes de musique, un clin d'œil vers l'âge classique celui de Mozart et de Haydn. Avant le final, il faut détendre le public, mais ne pas allonger inutilement l'œuvre déjà imposante. Le Quartetto Italiano ne précipite pas le flot sonore préférant nous plonger dans une soirée viennoise, illustrer avec élégance leur propos en style menuet (le passage n'en a pas réellement la forme). Ce petit intermède enchaîne directement sur le rondo final…

5 - Allegro appassionato : Le rondo commence par une nostalgique mélopée. On découvre une évidente symétrie avec l'allegro initial par le traitement très libre et très concertant des idées romantiques qui se développent. Le Quartetto Italiano, aidé par une prise de son qui n'a pas pris une ride, montre une capacité à dissocier le jeu de chaque instrument vraiment charmante voire charmeuse. Et cela sans jamais nuire à la cohésion voulue par Beethoven. À l'écoute, on est stupéfait de l'inventivité de la composition. La musique échappe à la forme sonate traditionnelle, à tout académisme : pas de réexposition da capo évidente mais des variations qui gagnent en vivacité pour finir dans la joie la plus extrême. Et là encore, les quatre artistes conservent ce phrasé si clair qui offre une vision très intimiste de ce chef-d'œuvre.
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Ce double album comprend également le quatuor opus 131, une création également très originale pour l'époque puisqu'il ne compte pas moins de 7 mouvements de durées les plus surprenantes. Si le Quartetto Italiano atteint une forme de nirvana par l'équilibre, la douceur et la fluidité de leur jeu, d'autres interprètes ont marqué la discographie. Ils sont même très nombreux. Petite sélection :
Si le son monophonique ne vous fait pas peur, le quatuor fondé par les frères Adolf et Fritz Busch (actif de 1913 à 1952) a laissé une interprétation très vivante avec un andante aux sonorités cosmiques et déchirantes (EMI - 1942). On ne peut pas écrire un article sans parler du Quatuor Alban Berg et de leur intégrale des années 70-80. Les tempos plus vifs confèrent un style plus viril, mettant en avant l'énergie toujours présente chez Beethoven en ses dernières années. Cette gravure peut séduire les mélomanes qui seraient déroutés par les longueurs par trop ontologique des autres gravures. Une interprétation très spontanée (EMI - 1979). Enfin plus proche de nous, le Quatuor de Tokyo a gravé en 2009 les 5 derniers quatuors (Ils forment un groupe monolithique). Jouant sur des instruments stradivarius, les membres obtiennent une sonorité chaleureuse sans pour autant recourir a des vibratos hors de propos dans ces ouvrages (Harmonia Mundi). On pourrait aussi mentionner la performance du quatuor Melos, etc. L'opus 132 est une partition tellement essentielle qu'il n'est en rien surprenant de voir la discographie se renouveler au plus haut niveau.
Je colle 6/6 à toute la classe.

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