vendredi 21 novembre 2014

FRENCH CONNECTION de William Friedkin (1971) par Luc B.


En 1970, William Friedkin n’est pas en odeur de sainteté à Hollywood, ses premiers pas derrière la caméra restaient confidentiels, expérimentaux, influencés par le cinéma européen, Jean Luc Godard et Federico Fellini en tête. Pas très apprécié non plus de son quasi beau-père, Howard Hawks. Friedkin sortait avec la fille du réalisateur de RIO BRAVO, LE GRAND SOMMEIL, L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BÉBÉ… Car Howard Hawks ne mâche pas ses mots quand il parle à Friedkin, de son dernier film en date LES GARCONS DE LA BANDE, qui abordait le thème de l’homosexualité : "Les gens n’en ont rien à foutre des problèmes des autres, de toutes ces merdes psychologiques. Ce qu’ils veulent c’est de l’action. Chaque fois que j’ai fait un film qui bougeait avec plein de gentils et de méchants, j’ai eu du succès. Je te dis ça, mais… tu en fais ce que tu veux…".

Message reçu. Le prochain film de Friedkin sera FRENCH CONNECTION, un polar, et bien burné. L’adage de Samuel Fuller résume le cinéma à trois mots : action, action, action. Pour FRENCH CONNECTION, je dirai plutôt : tension. C’est ce qui domine dans le film, d’autant que son traitement est presque documentaire, et refuse le sensationnel. Le film est adapté d’un livre de Robin Moore, racontant l’enquête des deux flics de la brigade des stupéfiants qui ont démantelé le réseau dit de la French Connection. La dope livrée à New York, venant de Marseille. Précisons d’ailleurs que les deux flics en question jouent dans le film, des rôles de flic. Si les protagonistes ont changé de noms, ils ont tous réellement existé.

C’est le producteur de BULLITT, Philip Antoni, qui contacte William Friedkin, et lui propose le projet. L’histoire est simple. On suite l’enquête de James Doyle, surnommé Popeye, et Buddy Russo, dit Cloudy, qui suspectent l’arrivée prochaine d’un très gros stock d’héroïne à Brooklyn. Écoutes, filatures, poursuites, interrogatoire, descentes… Comment travaillent les trafiquants, comment travaillent les flics. William Friedkin applique les conseils d’Howard Hawks, et coupera toutes les scènes psychologiques, sensées éclairées tel personnage. Admirateur d'Henri George Clouzot, notamment LE SALAIRE DE LA PEUR dont il fera un remake, il recherchera ce côté brutal et violent du français. Et il vient de voir Z de Costa Gavras. Une fiction posée sur une base documentaire. Voilà le succès de Z, et Friedkin emprunte le même chemin. Regardez ce travelling latéral, sur Popeye, dans la rue, il s’arrête, surveille un type, et derrière lui, sur le pas de porte d’un magasin, il y a un clochard qui pionce sur ses cartons. Pas ostentatoire, mais c’est là.   

Le film, qui a coûté moins de 2 millions de dollars, sort en octobre 1971, et casse la baraque. Les Oscars récompensent 5 fois le film. Friedkin est le roi. 3 ans plus tard, après L’EXORCISTE [clic vers la chronique] il sera sacré empereur ! La promo met en avant la fameuse poursuite de voiture. Le producteur Philip Antoni sait que la poursuite dans BULLITT était la clé du succès, il demande à Friedkin d’en placer une aussi. Mais la réussite du film ne tient pas qu'à cela, heureusement.

Le début déstabilise. Des filatures à Marseille, un mec flingué, et en parallèle, à New York, sous la neige, un Père Noël qui pourchasse un dealer… On ne voit pas trop le rapport, ni qui est qui, mais les éléments se mettent en place, Alain Charnier en France, qui organise le départ de la dope, le mulet, Henri Devereaux, et les deux flics qui questionnent leurs indics. On sait qu’il y aura une livraison, pas vraiment quand, pas vraiment où, les gangsters eux-mêmes se savent surveillés. Mais on est frappé par le traitement, c’est brut, réaliste, un enchaînement de scènes fortes, brutales, ou intrigantes. La superbe musique du jazzman Don Ellis ne rassure pas franchement non plus ! La tension vient de là, aussi parce qu’on ne sait pas où on va, comme les protagonistes du film.  

La tension vient du rythme, de la longueur des scènes. Quand les flics surveillent de nuit la Lincoln, on reste, on attend, y’a une bagnole suspecte qui passe et repasse. C’est long. Quand les mêmes démontent la Lincoln, la pensant bourrée de dope (oui, vous ne rêvez pas, c’est la même histoire que LE CORNIAUD avec Bourvil !), ça dure, c’est interminable, les mecs sont crevés, à bout de nerfs, tendus. 

Puis le temps de l’action arrive...

Popeye poursuit un tueur, Pierre Nicoli, joué par Marcel Bozzuffi. Nicoli chope un métro, aérien, Popeye réquisitionne une voiture, et le suit à toutes trombes. Scène très célèbre, et à juste titre car elle est époustouflante d’efficacité, grâce au montage qui alterne voiture et métro, points de vue du dessous, de côté. Et il y a un double enjeu : attraper le suspect, et stopper le massacre, car dans la rame, Nicoli dézingue quiconque s’oppose à lui. Ca, Popeye l’ignore, mais le spectateur le voit. 

Cette poursuite est à l’image du conducteur, Popeye, qui fonce. Le type va de l’avant, suit son idée. Avec les dégâts qui vont avec. Déjà par le passé, comme le lui rappelle un collègue, son intuition avait couté la vie d’un flic. Popeye en aura un autre sur la conscience. De même, le sort de Nicoli n'est pas très déontologique... Mais Friedkin ne s’appesantit pas, pas de larmes, de remords, c’est la guerre, et les victimes collatérales sont comprises dans le prix. C’est l’échange, l’assaut final, mais au lieu du happy end attendu, tout se barre en vrille. Étonnant plan final, dans l’usine désaffectée, Popeye poursuit Alain Charnier, ou un fantôme, et un coup de feu résonne, sans qu’on sache qui a tiré, ni pourquoi.

Il faut citer tout de même les acteurs, à commencer par Gene Hackman, la brute, le fonceur, grande gueule, qui impressionne vraiment, avec sa dégaine de clown survolté quand il porte son chapeau tout rond. Il aura l’Oscar. Buddy Russo est joué par Roy Scheider, mâchoires crispées, qu'il desserrera à peine dans LES DENTS DE LA MER ou MARATHON MAN. L’acteur espagnol Fernando Rey joue Alain Charnier, Marcel Bozzuffi renfile encore le costume du tueur froid, et Frédéric de Pasquale joue Devereaux. Une grande partie du film est en français (Friedkin connait bien la France, il a été le mari de Jeanne Moreau).

En 1975, John Frankenheimer réalisera FRENCH CONNECTION 2, qui appliquera les mêmes règles de mise en scène, mais dont l’action se déroulera presque exclusivement à Marseille, où Popeye retrouvera son ennemi Alain Charnier. Film efficace, mais qui ne possède pas le parfum d’inédit du premier, qui influencera durablement les films policiers à venir, moins de romanesque, d’atermoiement, davantage de vérité, de réalisme.         


FRENCH CONNECTION (1971)  Couleur - 1h45 - format 1:85



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3 commentaires:

  1. Quel p....n de bon film !!! Une séquence que j'avais bien aimé aussi, c'est le jeux du chat et de la souris entre Gene Hackman et Fernando Rey dans le métro ou ce dernier vas le berner au dernier moment en faisant un petit coucou derrière le carreau de la rame après que celle-ci est démarrée. Et l'autre grosse vedette reste quand même cette Lincoln continental Mark III, qui comme Christine, servira dans un film d'horreur en 1977 "The Car" (titre français : Enfer mécanique) avec James Brolin (qui jouait dans le premier Amityville). Mais la suite de French connection avec Bernard Fresson et Philippe Léotard n'était pas à la hauteur du premier.

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  2. Là, je ne peux qu'être d'accord. Bozzuffi, qu'on trouve également dans Z (le matraqueur dans le triporteur). Très bon aussi dans le Sheriff.

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  3. Ouais, grand film, avec le début de l'état de grâce de Friedkin qu'il perdra vite après l'Exorciste, y'aura beaucoup plus à laisser qu'à prendre par la suite.
    Pour French connection, y'a un sacré casting de gueules cassées qui font froid dans le dos avec Hackman et Bozzuffi ... et une direction d'acteusr énorme, on dirait que ces mecs-là sont nés rien que pour ce rôle ...

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