lundi 3 novembre 2014

PESTE & CHOLERA de Patrick Deville (2012) par Luc B.


PESTE & CHOLÉRA est présenté comme un roman. En réalité, c’est une biographie romancée, ayant comme héros le médecin Alexandre Yersin (1863-1943). Et comme la vie de ce type est elle-même un fabuleux roman, on s’y perd un peu ! Ce qui compte, c’est que ce bouquin soit vraiment formidable.

Alors, qui est ce bonhomme ? Alexandre Yersin est d’origine suisse (naturalisé français plus tard), il est médecin, finit ses études à Paris, et entre à l’institut Pasteur en 1886. Il reçoit l’enseignement du grand Maître, travaille avec Emile Roux, Albert Calmette, autres biologistes de l’équipe pasteurienne. Yersin travaille sur la tuberculose, la diphtérie, et alors que l’avenir lui souriait derrière ses paillasses, le voilà qui se pique d’aventures, pour suivre l’exemple de son idole, le médecin et explorateur David Livingston (I presume que vous connaissez…).

Alexandre Yersin va choisir de s’installer en Asie, et devient d’abord médecin des Messageries Maritimes, entre Saigon et Manille. Prétexte pour voyager, découvrir l’autochtone, mais surtout cartographier des territoires entiers. Car Yersin s’intéresse à tout : la biologie, la botanique, l’agriculture, les mathématiques, la mécanique, l’astronomie. Il mesure, il pèse, compare, croise, greffe, bricole. Il s’installe à Nha Trang (la photo ci-contre est son labo, dans sa maison), vit en reclus, refuse les honneurs, les pinces-fesses, mais sera toujours soutenu par la bande à Pasteur, qui plaide en sa faveur auprès de l’Etat pour le doter de subventions.

C’est Yersin  qu’on envoie à Hong Kong en 1894 lors de l’épidémie de peste bubonique. Il se retrouve en concurrence avec les japonais, et l’institut Koch, il n’a que sa bite et son couteau (ou presque) et c’est justement ce qui va lui rendre service. Quand les autres travaillent avec du matos de pros, des étuves à 37°C (température du corps humain), Yersin lui, travaille à température ambiante, il n’a pas le choix. Et bingo ! Il isole le bacille, fabrique le sérum (oublie de déposer le brevet), et repart en ballade, explore les jungles, monte un village entier, plus tard un sanatorium à Dalat, recrute et forme ses assistants parmi la population locale.

Copain avec un certain Édouard Michelin, il importe l’hévéa, l’arbre à caoutchouc, l’acclimate, en sort la gomme qui servira aux pneus. Aux pneus de vélo, entre autre, puisque Yersin serait aussi copain avec un certain Armand Peugeot... On raconte même qu’il a créé la formule du Coca-Cola sans le savoir, en mélangeant de la Coca importée d'Amérique du Sud, et de la cannelle (pas de brevet déposé non plus...)… Après la première guerre, il développe la cinchonas en Indochine, et produit de la quinine, contre le paludisme.

A la toute fin de sa vie, Yersin se met à étudier le phénomène des marées ! Il a 80 ans.

C’est l’écrivain Patrick Deville qui nous raconte la vie trépidante d’Alexandre Yersin, et une grande partie de la réussite du livre tient dans le style employé par l’auteur. Il ne se contente pas d’énumérer des faits, des rencontres, des dates. Il opte pour la construction romanesque (le parallèle avec 1940, quand Yersin quitte une dernière fois une France occupée par les Allemands) et manie les mots avec délectation. C’est merveilleusement bien écrit, c’est vif, érudit mais jamais sentencieux ni pompeux, car souvent drôle et cocasse. Quel bonheur de se sentir à la fois diverti et moins con quand on referme un bouquin !

Editions Seuil,  224 pages. Sorti en "Points" Poche en 2013.


  

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