vendredi 12 décembre 2014

STRANGER THAN PARADISE de Jim Jarmusch (1984) par Luc B.



STRANGER THAN PARADISE est le deuxième film de Jim Jarmush, le premier, PERMANENT VACATION (1980) étant son film de fin d’étude. Et c’est quasiment le manifeste du cinéma américain dit « indépendant ». Faut dire que vers 1984, le cinoche amerloque est plutôt dominé par Stallone, Schwarzenegger, Lucas ou Cameron… Alors quand déboule un film en noir et blanc avec aussi peu de plan que de ligne de dialogue, ça se remarque !  

Jim Jarmusch, on en avait déjà parlé avec DOWN BY LAW et dans l’article consacré au rock au cinéma, où dans les années punk, le jeune Jarmusch filmait en 16mm ses potes musiciens dans un appart. 10 ans plus tard, ça n’a pas beaucoup changé. STRANGER THAN PARADISE, dans sa première partie, se passe dans un appart à New York, où on croise le compositeur et acteur John Lurie. L’appart est celui de Béla Molnar, exilé hongrois. Pour que cela se voit moins - qu’il est hongrois - il se fait appeler Willie. Son obsession de l’intégration ne le rend pas très ouvert à l’idée de recevoir sa cousine Eva, qui débarque de Budapest. C’est juste le temps de quelques jours, avant de filer sur Cleveland.

Certains disent que lorsqu’ils entendent le mot culture, ils sortent leur flingue (Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes) d’autres que lorsqu’ils entendent du Wagner, ont envie d’envahir la Pologne (Woody Allen), moi, quand je vois un mec en chapeau allongé sur un lit, dans un appart, filmé en noir et blanc, j’ai envie de revoir A BOUT DE SOUFFLE de Godard… On y pense, forcément, comme à tous les films de la Nouvelle vague européenne, genre Milos Forman (moins Polanski).

Jarmusch impose un style. Minimaliste et rigoureux. Le noir et blanc, et les plans fixes (y’a du Kaurismäki dans l’air…). Sans doute aussi par mesure d’économie, et d’étroitesse des décors. Il s’autorise un petit travelling au début, dans la rue, un ou deux panoramiques ensuite, mais c’est tout. Jarmush va même plus loin. 1 scène = 1 plan = 1 idée. Le tout entrecoupé d’écran noir. Au début, ça rebute un peu, ça fait maniéré.

Mais la mise en scène cadre parfaitement avec le sujet. Une histoire simple, deux gars et une fille, un road movie où l’on resterait plus assis sur un sofa qu’à tracer la route, et des gens qui s’emmerdent. Ils font quoi dans la vie ? On ne sait pas. Dans la vie de Willie, il ne se passe rien. Quand son pote Eddie passe le voir, ils n’ont pas grand-chose à se dire, juste partager une bière. Quand la cousine Eva débarque, Willie ne change pas son quotidien tristounet. Et les jours passent, comme les plans fixes, et les nuits, comme les écrans noirs.

Pas très aimable, le Willie, qui demande à la cousine de ne parler qu’en anglais, préfère qu’elle ne se montre pas trop - officiellement, pour sa sécurité – lui achète une robe d’un goût douteux, qu’Eva s’empressera de mettre à la poubelle au premier coin de rue.

Un an plus tard, à la suite d’une partie de poker fructueuse, Eddie et Willie décident de mettre les voiles. En route pour Cleveland, retrouver la cousine Eva, se mettre au vert, changer d’air. Il est frais l’air de Cleveland, c’est l’hiver, la neige, le verglas, et pas une âme qui vive. On est content de se voir, mais qu’est-ce qu’on se fait chier. Même au cinéma, Willie regarde à peine l’écran… Nouvelle idée : profitons de la bagnole pour descendre en Floride, à Miami, au soleil… Ha, les vacances…

Tu parles… Un bungalow sordide, et au bout du parc, l’océan battu par les vents. Willie et Eddie partent jouer aux courses et laissent Eva seule, avec son magnéto à pile qui ressasse « I put a spell on you » de Screamin’ Jay Hawkins. Chanson que Willie trouve bien sûr insupportable.

La fin, on ne va pas la raconter. Un coup de déveine, et parallèlement un gros coup de bol. Malentendus, quiproquos plutôt cocasses. Plus Willie, Eddie et Eva se cherchent, moins ils se trouvent, plus ils se perdent. Mais ce n’est pas grave, on sent que c’est plutôt une chance, les lignes ont bougé, on se reverra surement, et en attendant, advienne que pourra. 

STRANGER THAN PARADISE est un très joli film, amère, pudique. Ça me rappelle la chanson de Gainsbourg, hey Johnny Jane, toi qui traînes tes baskets et tes yeux candides, dans les no man's land et les lieux sordides On pourrait penser aussi à Bill Derraime, faut que j'm'tire ailleurs ! Le premier et le dernier plan montre Eva, puis Eddie, regardant les avions décoller. Un signe. Ça parle d’amitié, de déracinement, comme ça, en passant. Le film impose une esthétique qui fera son chemin, des images aujourd’hui référencées. Et puis quand on regarde le générique, on voit le nom de John Lurie, musicien, pote de Jarmusch, présent dans son premier film, et le suivant DOWN BY LAW. Lurie qui a composé la musique du film. Le directeur photo (les images sont superbes) est Tom DiCillo, qui joue aussi un rôle (à l’aéroport), et passera à la réalisation plus tard, avec CA TOURNE A MANHATTAN, qui raconte quoi ? Les déboires d'une équipe de cinéma pour leur premier tournage…  



STRANGER THAN PARADISE (1984)  scé, réal, montage ; Jim Jarmusch
Noir et blanc  -  1h25  -  format 1:85

ooo

Lire aussi : DOWN BY LAW l'article de Rockin'
Et : ROCK & CINEMA .3 les punks et la naissance de MTV.

1 commentaire:

  1. Un des réalisateurs les plus imprégnés de la chose rock, avec Wenders ... J'adore ce type, ses films fauchés et déglingués, ses personnages fauchés et déglingués ...
    Stranger ..., c'est le film des gueules de bois et des petits matins blêmes ... Y'a que la fin en forme de fable tout est bien qui finit (relativement) bien, qui me laisse un peu perplexe ...

    Je le préfère d'un chouia quand même à Down by law, le road movie pédestre des gueules cassées, où tout le monde semble en roue libre ...

    Mais ça vaut pas Dead man, qui est en plus le meilleur disque de Neil Young depuis plus de vingt ans ...

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