vendredi 9 janvier 2015

TIMBUKTU d'Abderrahmane Sissako (2014) par Luc B.



Faire de l’obscurantisme un film aussi lumineux... Chapeau ! Ce film tient son nom Timbuktu, de la ville Toubouctou, prononcée en langue touareg. Il a été tourné en Mauritanie, mais l’action se déroule au Mali. L’histoire s’inspire de la prise de Tombouctou par les forces d’AQMI, ces enturbannés fous de leur Dieu et de leurs AK47, qui y imposèrent la loi islamique, la charia. (délogés depuis par l'armée française qui a à peu près sécurisé le périmètre)

Film lumineux par sa simplicité. Le metteur en scène Abderrahmane Sissako ne cherche pas à faire un film didactique, lourd de significations, mais choisit dans sa première partie de monter les faits dans ce qu’ils ont de plus quotidiens, et donc, presque cocasses. Après un superbe générique où on voit des statuettes en bois se faire dézinguer à la kalachnikov, le film commence par l’arrivée de deux djihadistes à motos, l’un armé d’un mégaphone, annonçant tout simplement : à partir d’aujourd’hui, la cigarette est interdite, la musique aussi… et le football. Et ils repartent. C’est presque surréaliste, ça pourrait être un gag de Jacques Tati. D’où sortent ces gugusses, et qui les autorisent à dicter leur loi ? D’autant que le pilote de la moto peine à faire redémarrer sa bécane, qui toussote comme une vieille meule. Bref, les deux mecs sont ridicules, ils n’ont aucun crédit, on en rirait presque. 

Comme on sourit d’Adelkrim, un des responsables intégristes, qui apprend à conduire en plein désert, où il ne risque pas de se prendre une autre bagnole… Abderrahmane Sissako parsème son film de moments saugrenus, la vache appelée GPS qui n’a pas le sens de l’orientation, le djihadiste qui se met à danser sur une terrasse, ces soldats de dieu discutant du parcours de l’équipe de France de foot dans les mondiaux. 

C’est un film qui prend à contre-pieds. Sissako ne donne pas dans la caricature de l’intégriste barbare, sabre à la main, prêt à égorger femmes et enfants. Tout se fait dans le calme, la gentillesse (si j’ose dire). Effet accentué par la multiplicité des langages employés, touareg, l’arabe, français, anglais. Cela influe sur le rythme des discussions. Comme la scène de ce djihadiste décidé à épouser une jeune fille, mais doit passer par deux interprètes pour se faire comprendre.

Chacun, modestement, entre en résistance. La poissonnière qui refuse de porter des gants pour toucher et vendre son poisson, les jeunes qui organisent des matchs de foot sans ballon (qui rappelle la partie de tennis sans raquette dans BLOW-UP d’Antonioni, mais l’impact à l’image n’est pas le même). Cette excentrique, genre de Marie Laveaux locale, promenant sa dignité de femme dans une longue traine de 10 mètres, riant, chantonnant, provoquant. Ou ce mystérieux motard, qui passe et repasse, sans jamais que l'on sache qui il est.

Sissako montre, par des multiples situations, comment les Intégristes prennent petit à petit possession de la ville, de ses habitants, s’immiscent, prennent le pouvoir. La traque, de nuit, pour trouver d'où viennent des accords de guitares. Ce gamin à qui demande c'est ton ballon ? et qui s'empresse de répondre non...  Le réalisateur développe en parallèle une seconde intrigue, plus linéaire, montrant les répercussions de cette dictature du Djihad sur ceux qui s’en tiennent pourtant à l’écart. Une famille berbère, qui vit en dehors de la ville, paisiblement. Leurs voisins ont fui la région, eux veulent rester. Ils vont être rattrapés par cette violence, par un concours malheureux de circonstances. Un conflit de voisinage, entre éleveur et pêcheur, qui va dégénérer. Les juges appliqueront la justice de la charia.

Abderrahmane Sissako ne jette pas un voile pudique sur ces évènements. Les scènes cocasses ne rendent pas ces types plus sympathique ou plus humains, mais ordinaires. TIMBUKTU ne raconte par le pourquoi du djihad, mais montre les conséquences dans ce qu'elles ont de plus quotidiennes. Si les chefs sont réfléchis et manipulateurs, les petits fanatiques enrôlés dans leur triste cause sont affreusement ordinaires. Abderrahmane Sissako assombrit le tableau au fur et à mesure de l'intrigue : coups de fouet, lapidation, exécution, meurtre. Et pour Kidane et sa famille, un enchainement de circonstances qui va tourner à la tragédie, et dont la dernière image du film laisse présager du pire.

TIMBUKTU ne se limite pas un acte militant, c’est aussi et surtout du beau cinéma. Les images sont superbes, celles des paysages (lorsque Kidane traverse la rivière, le soir tombé, après la mort du pêcheur), des paisibles scènes familiales, du plaisir à jouer de la guitare, alangui. Le travail sur le montage permet d’échapper aux images violentes toutes faites, sans en réduire la portée. Le plan de la femme de Kidane, courant les cheveux défaits au milieu des hommes en armes, est superbe.

Abderrahmane Sissako fait s’entrechoquer les cultures, celles des communications modernes (téléphones, problèmes de réseaux…) et l’archaïsme d’une pensée moyenâgeuse. La vie, le jeu, le plaisir, la spiritualité (au travers d'une confrontation - très posée -  entre l'imam et le chef djihadiste) et la lente spirale qui plonge le monde dans une folie fanatique et irraisonnée. Il traite très subtilement son sujet, mêlant réalisme, poésie, humour... Comme il est certain que les barbus scrutent le nombre d’entrée de ce film (dont ils avaient tenté d’empêcher le tournage, seules quelques images ont été volées à Tombouctou) ce serait bien d’y aller nombreux, rien que pour les faire chier ! Mais aussi pour voir un beau film.  

Au moment de relire cet article, on apprenait l'attentat contre le journal Charlie Hebdo. Ah les cons ! Ils ont assassiné Cabu. Cabu, le monsieur rigolo et souriant avec ses lunettes rondes qui faisait des rébus à Récré A2. Finalement, ce sont les barbus qui illustrent le mieux le slogan d'Hara-Kiri. Ils étaient méchants, on le savait, et en plus ils sont bêtes.  

TIMBUKTU (2014)
Couleurs  -  1h40  -  scope 2:35




ooo

4 commentaires:

  1. J'ai vu le film en salle.
    Oui l'image est superbe. Le tempo régulier du montage laisse toute sa place à le peinture quasi documentaire de certaines scènes.
    On pense à Flaherty filmant avec réalisme une communauté prise à la gorge de l'absurdité de la charia promue règle de vie (et de mort) par une horde d'illuminés manipulant des crétins pathétiques...
    A voir absolument comme dit Luc !!!

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  2. Merci de cet article sur ce superbe film qui résonne fort avec l'actualité de cette semaine... Les talibans en 1996 ont interdit égalemen la danse et la musique... mêmes les oiseaux avaient interdictions de chanter dans les maisons. Toute personne possédant des oiseaux était battue et ses oiseaux exterminés... Quelle absurdité... Quelle bêtise!

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  3. Ces types-là (les réalisateurs africains) arrivent à faire des choses étonnantes, pleines de lumière et de poésie, avec trois bouts de ficelle et le risque de se faire buter par le premier obscurantiste venu ... Ils méritent beaucoup mieux que le misérable éclairage médiatique qu'ils rencontrent (ouais, je sors les grands mots, mais moi aussi je parle jamais d'eux ...)

    Pas vu le film, mais pour faire mon malin, je dirai que Talking Timbuktu c'est un disque de Ry Cooder et Ali Farka Touré, du blues qui revient à ses racines géographiques... excellent ...

    Cabu, j'ai entendu un type (Michel Pennac je crois) dire qu'il était un ange des films de Capra ... golden globe du meilleur hommage de la semaine ...

    Sinon, le meilleur film du monde du siècle de la galaxie sur les djihadistes, c'est We are 4 lions, énorme dézingage par le ridicule qui s'achève par un grand coup de froid glacial. Totalement prémonitoire ...

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