vendredi 27 février 2015

SNOW THERAPY de Ruben Östlund (2015) par Luge B.


SNOW THERAPY a reçu le Prix du Jury à Cannes, et raflé pas mal de prix ensuites. C’est ce que j’appelle un film de mise en scène (ce que devraient être tous les films, mais bon…). C’est-à-dire, un film qui tient moins par ce qu’il dit, que par comment il le dit. L’action se déroule sur cinq jours, pendant les vacances d’une famille suédoise, en France (Les Arcs). Famille aisée, bourgeoise, équilibrée, soudée, comme le montre les photos souvenir sur les pistes au début.

Alors qu’ils sont attablés en terrasse, une avalanche préventive est déclenchée par des canons. Spectacle que les clients admirent, filment, jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent que l’avalanche n’est pas si contrôlée que ça, et déboule droit sur eux. C’est la panique, les gamins hurlent, appellent leur père. Mais le père, Tomas, n’est plus là, il s’est enfui le premier… 

Scène très impressionnante, filmée en plan séquence, fixe, l’écran est submergé de blanc, ne restent que les voix étouffées des clients quittes pour une grosse frayeur. Mais la raison d’Ebba, la mère, est mise à mal par cet incident. Tomas, cédant à la panique, n’a pensé qu’à lui, a abandonné sa famille. La figure du père et mari protecteur, de l’homme courageux, se fissure. Ebba tente de comprendre, d’exorciser, en parlant de cet incident autour d’elle, alors que Tomas est dans le déni. Les enfants perçoivent les mauvaises ondes, et le bel esprit familial se craquelle. 

A la faveur d’une discussion avec une autre femme rencontrée à l’hôtel, Ebba confronte son modèle conjugal. D’une chronique familiale, le film se transforme en thriller psychologique, angoissant, cynique, on est témoin de l’implosion de ce couple, et de la violence que peut prendre une parole ou un geste anodin. 

La mise en scène souligne et accompagne ce dérèglement, généralement par des plans longs, souvent fixes, extrêmement bien composés et éclairés. Il y a du Kubrick, celui d’EYES WIDE SHUT mixé à du SHINING (l’isolement, la montagne) qui détaillaient l’implosion du couple, les ravages des non-dits, l’opposition entre la raison et l’instinct. Et comme Kubrick, les sensations passent d’abord par l’image, la durée des plans, l’agencement des décors, géométriques, l’utilisation de l’espace, et de la musique classique, les Quatre Saisons de Vivaldi (merci 3615 Claude...). 

Le film est rythmé par les coups de canons, sourds, de nuit, et le bruit des moteurs des tracteurs à damer. Les images de montagne sont magnifiques, mais ne sont pas du registre de la carte postale. Elles sont inquiétantes, presque hypnotiques lorsqu’Ebba attend sur un télésiège et qu’à l’arrière-plan passent d’autres cabines, estompées par le brouillard. Ruben Östlund nous fait ressentir le malaise, comme ces scènes dans le couloir de l’hôtel, avec ses poutres en bois qui tissent comme un labyrinthe, et ce mystérieux employé omniprésent (sorti d'un film de David Lynch ?). 

Ou encore les scènes dans la salle de bain, anodines, on s’y lave les dents, sauf qu’on ressent la tension qui gronde, les regards fuyants. Sentiment accentué par l’image, qui déroute : le couple est face à un grand miroir. D’habitude on filme légèrement de biais, pour éviter le reflet, mais là on est pile dans l’axe ! Bon sang, comment il a fait ?? 

Et où qu'elle est la caméra, hein ?
Un couple d’amis fait son entrée en scène, occasion encore de confronter les points de vue, faire remonter à la surface des vérités gênantes, sur le statut du mâle dominant. Il y a une scène fameuse avec des minettes dragueuses. Filmée en un seul long plan fixe, cadrée sur Tomas et son ami en chaise longue. Tous les autres personnages sont coupés dans le cadre. On voit les deux filles passer, derrière, les mecs qui les reluquent, des voix off. Scène cocasse, rigolote, mais qui encore une fois laisse un arrière-goût dans la bouche. Cette manière de décadrer les personnages est très intéressante, visages coupés, absents, ou de dos. 

Comme dans EYES WIDE SHUT, le couple se délite, le mari fini en lambeaux, et c’est la femme qui surmonte le traumatisme pour remettre le couple sur les rails. L’image de l’avalanche prend alors tout son sens, terrible, menaçante, qui n’avale personne, mais laissera des traces.  

On pourra reprocher de petites lenteurs (2h00 au chrono) mais ce faux-rythme participe à la tension. Les enfants auraient pu jouer un rôle plus important, questionnant leur père, le remettant en cause à leur façon. Ils s'inquiètent, songent à une séparation, mais ne comprennent pas les tenants de la situation. La dernière séquence du car redescendant les vacanciers de la station sur une route sinueuse, est étonnante. Elle peut sembler hors propos, mais participe du même principe, perte de contrôle, vertige, comme si les problèmes ne venaient que de commencer… 

SNOW THERAPY est un film très intéressant, original, qui laisse voir du très bon cinéma. Je ne connaissais aucun acteur, ils sont tous formidables, ça ne surjoue pas, pas de scènes hystériques ni d’assiettes qui volent (c’est l’anti FESTEN !). Certains pourraient trouver le film froid, distant. C'est pour moi sa qualité première : une observation clinique, non dénuée d'humour.

PS 1 : le titre français FORCE MAJEURE est totalement con.
PS 2 : je n’ai jamais mis les pieds sur des skis, mais madame Luc B m’a dit que le film en rendait parfaitement les ambiances et sensations.

Couleur  -  2h00  - format scope 2:35


ooo

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