vendredi 20 mars 2015

AMERICAN SNIPER de Clint Eastwood (2015) par Luc B.



Dernière réalisation en date de Clint Eastwood (85 balais aux prunes) AMERICAN SNIPER a battu des records de fréquentation et a suscité moult controverses. Sur le thème archi rebattu lorsqu’on parle d’Eastwood : film conservateur, réactionnaire, odieux. Je n’y ai pas vu un film ambigu, mais un film dérangeant. Qui met mal à l’aise. Comme beaucoup de ses films, Eastwood ayant toujours aimé filmer à rebrousse-poil, n’hésitant pas à incarner lui-même certains de ses anti-héros.

Le plus célèbre étant Harry Callahan, une réalisation de Don Siegel, dont on oublie que dans MAGNUM FORCE il est opposé à un groupe de flics fachos s’érigeant en juge et exécuteur des basses œuvres. On peut parler de l'étranger dans L’HOMME DES HAUTES PLAINES, magnifique western à la lisière du fantastique, montrant clairement les dérives d’une société fasciste guidée par la violence et le totalitarisme. Ou son alter-égo vieillissant William Munny dans IMPITOYABLE, crépusculaire, là encore, réflexion sur la justice, la violence, le statut du héros, qui vaut pour le personnage autant pour pour son interprète à l'écran. Ou Walt Kowalski, vieillard raciste de GRAN TORINO, ou Josey Wales dans le film du même nom, fermier démilitarisé qui se mue en tueur quasi psychopathe, le flingue devenant outil de justice expéditive.

Clint Eastwood n’a jamais caché ses opinions, il est républicain. Mais il vit en Californie, et ce n’est pas pareil que de vivre au Texas (comme Chris Kyle). Si Eastwood est conservateur sur la politique économique, il est plutôt libéral sur le plan sociétal, et là encore, ses films le démontrent. Avant de voir AMERICAN SNIPER, il est bon de se souvenir qu’Eastwood était engagé contre la guerre au Vietnam, contre celle d’Irak, est contre le port des armes (qu’il a détesté dès qu'on lui en a refourguées au service militaire) et pense qu'exporter la démocratie à coup de canons et d’avions de chasse n’a jamais mené à rien, sauf à envenimer les situations géo politiques.

Chez Eastwood cinéaste, le point de vue est important. Il filme la guerre vue par les américains dans MÉMOIRES DE NOS PÈRES, et par les japonais dans le second volet LETTRES D’IWO JIMA. Le point de vue, ici, est celui de Chris Kyle, engagé dans une troupe d’élite, sniper méritant, qui a officiellement tué 160 personnes, devenu aux USA une légende vivante. Chris Kyle a raconté son histoire dans un livre. C’est édifiant.

Sur le plan strictement formel, le film est une grande réussite, à un détail près : les accents parfois dramatiques de la musique qui gâchent la tension créé par les images (je pense au duel de sniper). Dès la première scène, on voit Chris Kyle mettre en joue une femme et son gamin qui s’avancent vers un convoi de militaires américains. Il faut choisir, tirer ou pas. Stop. Flash-back. Pour comprendre la décision de Chris Kyle, il faut connaitre le bonhomme. Eastwood revient sur son enfance, en quelques scènes clé (le dîner avec le père et la parabole des chiens de berger), le choc du 11 septembre, son mariage, son enrôlement dans l’armée alors qu’il a déjà 30 ans. Le portrait fait peur. On a affaire à un pauvre type, élevé à la dur, le patriotisme comme seule religion. Et il est doué au tir. Un cocktail explosif lorsque vous mettez un fusil à lunettes entre les mains d’un type pareil, et une bonne raison pour tirer.

Eastwood peut maintenant reprendre son film exactement là où il l’avait interrompu. 

Il est là le point du vue. Pas dans une réflexion sur politique extérieure des Etats Unis, pour ou contre l'intervention en Irak, à aucun moment on ne voit ni entend un général, un président, un sénateur, défendre quelques idées que ce soit. Oui mais Eastwood ne dénonce pas la guerre… Ah bon ? Parce qu’il faut sous-titrer, faire un dessin : attention la guerre c’est pas beau ? Ce qu’on voit à l’écran dès la première scène ne suffit pas comme réponse ? Plus tard, le gamin de 8 ans qui ramasse un lance-roquettes et vise un char, c’est naturel ? Parce qu’il est arabe, irakien, musulman, ce serait inné chez lui ?
  
Entre deux missions, les retours au bercail montrent les ravages psychologiques sur Chris Kyle. Il n'y a dans ce film ni apologie de la guerre, ni apologie du héros. Je crains que Kyle ne soit pas capable de porter un jugement sur ses actions, ni se remettre en cause. Il a été fanatisé, comme le gamin de la première scène. On le voit lors du dialogue avec le médecin. Le problème est clairement posé : Kyle regrette de ne pas avoir sauvé plus de vies américaines, ce qui signifie, ne pas avoir tué suffisamment d'ennemis. Par quelques scènes simples. Très beau plan lorsque Kyle regarde une télé qui s’avère éteinte, les bruits étant dans sa tête, ou qu'il n'ose même plus rentrer chez lui. Kyle passe dès lors plus de temps avec des vétérans, dans son univers guerrier, que dans sa famille. Eastwood montre un personnage perdu. Sa réaction lorsqu'il est reconnu dans un garage automobile n'est pas celle d'un héros. Mais d'un homme qui doute de ses capacités à assumer son statut. S'il n'était pas mort prématurément, Chris Kyle serait sans doute devenu un William Munny.
  
Bradley Cooper est très bien, parce que l’acteur est sympathique, et justement, le rôle l’est beaucoup moins. On n'est pas dans le registre des Stallone et autres Chuck Norris, sûrs de leur bon droit.

Le film est très bien fait (ce qui emmerde bien les critiques, comment dire du mal d'un film objectivement très réussi ?!), rythmé, efficace, tendu, sans le spectaculaire des énôôôrmes productions (le budget est plutôt moyen), sans pathos larmoyant. Franchement, on n’avait pas vu Eastwood en aussi belle forme depuis un moment. Le dernier plan est tout simplement splendide. Mais le rôle de Sienna Miller est sans doute trop effacée, et le fil rouge sur la traque du Boucher, du sniper irakien, n’est visiblement pas la priorité du cinéaste. Mais je n’y vois absolument pas le pensum guerrier et nauséabond comme décrit çà et là.


AMERICAN SNIPER (2015) Couleur - 2h10 - format scope 



ooo

7 commentaires:

  1. c'est vrai que c'est un très bon film de Clint, et que, si on le compare à Stalingrad de Jean-Jacques Annaud qui relate aussi un duel de snipers, il est dix fois mieux....

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  2. bonjour Rockfour,
    "Stalingrad" était davantage centré sur le duel, le face à face, et dans sa première heure, c'est plutôt bien. Dans mon souvenir ça se gâte sur la fin, avec larmes et violons. Mais OK, la réalisation d'Eastwood est nettement plus tendue et accrocheuse.

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    1. Salut Rockfour et Luc,

      Vos remarque me donnent vraiment envie de voir le dernier Opus de Clint Eastwood.
      Mias je vous trouve un peu sévère avec Stalingrad de J.J. Annaud. J'avais beaucoup aimé la qualité de reconstitution de cette boucherie insensée. Reconstitution à partir de photos et documents d'époque sur cette bataille pour laquelle j'ai pas mal de documentation.

      Bon, ce n'est pas faux, la fin avec Ed Harris emmenant par la main le petit russe espion pour le pendre est tournée de manière mélodramatique, mais l'histoire est véridique. J'avais montré à mes enfants la photo du vrai môme dans "Vaincre ou mourir à Stalingrad" de William Craig. (collection "ce jour là" disparue, mais toujours réédité dans d'autres formats.)

      Donc, un bon Eastwood de plus si je vous lis (Pléonasme ?)

      NB : j'ai parfois l'impression que pour les critiques officielles, flinguer Annaud est du dernier chic…

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    2. Je me range (d'un bond) aux côtés de claude.

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  3. Bien d'accord avec toi. Très bon sursaut du Clint pour ce film. Aucune réflexion politique, aucun message universel. C'est un western, le mec est un tireur d'élite, il a vu son clocher (les twin towers) dézingué dans son patelin, les responsables sont ciblés, la cavalerie est envoyé, il va la protéger. C'est là où Clint est le meilleur, quand il raconte des "héros", quand il se rêve justicier. Nombriliste, torturé, avec un talent hors du commun: il vise juste!

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  4. Jean Jacques Annaud a plusieurs qualités : il sait raconter des histoires, en images. Il sait choisir des sujets dépaysants. Il sait monter de grosses productions internationales, sur son nom. Il tourne dans des endroits incongrus, des sujets casse gueule, bref, il ne fait pas comme tout le monde, et c'est bien. Et il a réalisé "le nom de la rose" qui est absolument génial. Mais s'il a surement grandi avec les films de David Lean, il a dû aussi voir pas mal de Disney... Je regrette que presque systématiquement, le dernier quart de ses films soit raté, parce qu'il ne peut pas s'empêcher de tout surligner trois fois au feutre, pour qu'on comprenne bien où est le bien, où est le mal, ce qui est triste, ce qui est drôle, le tout généralement noyé sous un torrent de violons insupportables. C'est le désavantage de vouloir plaire à tous, petits et grands. En privilégiant les petits. Ce qui est bête, car un film étant destiné à être rediffusé, vu et revu, il suffirait d'attendre que les "petits" grandissent, pour qu'ils comprennent des subtilités, sans qu'on ait à prémâcher le travail !

    Et il met rappelle un peu parfois Claude Lelouch, dans la manière de se regarder faire, et parfois aussi de jouer les martyrs quand on ne marche pas dans ses combines.

    Je pense que sur le papier, ses films promettent beaucoup. Mais ils sont difficiles à réaliser (quand on tourne avec des animaux, ce n'est pas simple) et j'ai l'impression qu'il essaie de combler par des artifices un peu faciles, ce qu'il n'a pas réussi à obtenir sur le tournage.

    Désolé, mais la fin de "Stalingrad" ne vaut pas un kopeck, quand on compare avec les séquences de la première heure. Après, c'est Docteur Jivago orchestré par André Rieu !

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  5. Pas encore vu le film. Stop.
    Pas même Budget pour la réalisation entre le français et l' américain saucisse. Stop.
    Pas même guerre et objectifs de conflits. Stop.
    Pas même climat ( là c'est pour rire ). Stop.
    Pas la même fin de vie des Snipers ( à méditer ). Stop.
    Mais c'est juste mon avis. Stop.

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