mercredi 6 mai 2015

Joanne Shaw TAYLOR "The Dirty Truth" (22/09/2014), by Bruno


     Déjà, j'kiffe la pochette. Pourquoi ? Pour deux simples raisons. La première, c'est que ça sent le Rock à plein nez ; même s'il y a eu parfois quelques escroqueries dans le genre, l'artwork ne transige pas : bien que fort simple, on sait immédiatement que cela ne va pas ronronner dans une quelconque soupe synthétique. La seconde, c'est que bien qu'étant le produit d'une jeune musicienne, elle ne joue pas de ses charmes pour essayer de vendre. D'ailleurs, Joanne ne semble pas être une adepte du maquillage (ou alors cela reste discret) et évite les tenues affriolantes. Point d'exposition de jambes ou de décolleté. Car, si l'on a du talent, inutile de s'afficher dans un accoutrement des plus sexy.
Certes, agréable pour l’œil, c'est aguicheur, mais cela n'est-il pas un débordement du marketing qui agit comme s'il considérait les artistes féminines comme des femmes objets, vendant leur image, leur plastique avant leur musique ? Poussant le bouchon jusqu'à abuser de photoshop (donnant par là même une fausse image à la jeunesse et  l'induisant en erreur - et à ce titre, même certaines bimbos du R&B se sont insurgées contre ce débordement croissant ; Beyoncé en tête -).


     Trêve de tergiversations. Avec ce "The Dirty Truth", son quatrième essai, Joanne Shaw Taylor fait preuve de maturité. Elle semble ici avoir trouvé sa voie. Du moins, celle qui lui sied le mieux, tout en ayant acquis une personnalité.

     En général, le Blues et le Rock sont considérés comme de la musique d'hommes. Les paroles, bien souvent machistes, parfois même misogynes, ne font que renforcer cette idée. Un état consolidé par des journalistes et des responsables de labels d'éditions majoritairement masculins. On oublie, par exemple, que Mamie Smith (1920), Ma Rainey (1923) et Bessie Smith (1923) ont enregistré bien avant Robert Johnson (le Classic Female Blues). De même que le terme Rock'n'Roll vient de Trixie Smith qui enregistre sa première chanson en 1922, et la première chanson dont le titre comporte ce terme est "Rock and Roll Blues" de Erline Harris, gravée en 1949. D'ailleurs, la première version de "Hound Dog" n'est pas celle d'Elvis (pour qui l'on adapta les paroles) mais de Big Mama Thornton enregistrée en 1952. sans oublier que le fameux déhanchement d'Elvis, si viril, lui a été enseigné par Tura Satana (Tura Yamaguchi) avec qui il eut une brève relation.

     Par la suite, on a incité à faire parfois la distinction entre un Rock masculin et un féminin. Le second étant moins brutal, moins belliqueux, moins bravache, moins phallique dans ses interventions solistes. Cela s'est parfois vérifié. Malheureusement, pour les misogynes, les cas contraires, dans un sens comme dans l'autre, sont légions. La musique parle à l'âme, ou au cœur (enfin, en théorie ; parfois, cela s'arrête au bas ventre, ou aux tripes). Est-ce qu'une âme, ou un cœur, sont sexués ?

     Tout ça pour dire que s'il y a  réellement une "musique d'homme, alors ce "The Dirty Truth" en est. Joanne Shaw Taylor, sans jamais avoir besoin de forcer le trait, s'inscrit dans la droite ligne d'un Blues-rock burné. Pas dans le sens tapageur, foutraque, bruyant, ou encore du genre stérile "j'en fais des tonnes - même si je suis à côté de la plaque - pour démontrer que j'suis un mec, un dur".
Du Blues-rock testostéroné, oui, mais qui ne renie pas une part de féminité.

     La voix a mûri, a pris une certaine patine, gagnant en ton grave et sourd, légèrement plus rauque, un rien enfumé et enroué. Quelque chose qui rappelle Maggie Bell (Stone the Crow) ; dans l'intonation notamment, ainsi qu'avec cette charmante petite rugosité qui remonte du larynx lorsqu'elle appuie sur ses syllabes. Paradoxalement, en comparaison, la voix de Joanne donnerait l'impression d'avoir plus de vécu en descendant un peu plus dans les graves.


 Ses guitares s'épanouissent dans les graves et les médiums (on subodore un travail aux doigts et l'utilisation d'un médiator épais). Si elles s'accaparent la part du lion (les claviers étant bien souvent relégués en toile de fonds), elles se gardent bien de se laisser aller à de futiles babillages. Les soli sont, à ce titre, relativement concis et toujours dans le ton de la mélodie ou de la rythmique; Il n' y a rien de gratuit ou de déplacé.
Question matos, Joanne a un faible pour les échancrures uniques. Ainsi, elle ne joue que sur Gibson Les Paul et Fender Telecaster. Deux grattes sans concessions qui sont conçues pour aller droit au but. (Très occasionnellement, on a pu la voir en concert avec une Stratocaster à laquelle elle a retiré la barre du vibrato). Un humbucker est monté en position manche sur ses Telecaster ; ce qui est parlant quant à sa prédilection de sonorité. Soit plutôt grasse, chaude et ronde.
Et pour les amplis, c'est Marshall (vintage de préférence) et Fender (Blackstar, Bassman et Super Reverb), avec une authentique Tube Screamer, une Ibanez TS9, un tremolo T.Rex et un Delay Digital Boss. Classique. (plus une wah-wah "Cry Baby" - classique - qui n'a pas été sollicité pour ce disque).

     On remarque que la teneur de l'ensemble de ce disque est moins lourd et carré qu'auparavant.
  Cela même si les deux entrées (dont la première se fend d'un superbe solo faisant la symbiose d'un Brian Setzer, d'un Kim Simmonds et d'un Stevie Ray Vaughan) prêche un Boogie-hard-Blues. Le spectre sonore général se pavanant dans des fréquences à la fois plus graves et plus douces contribue à cette sensation.
Mais la jeune Anglaise a aussi rajouté une pincée de Soul qui adoucit son Blues-Rock, le rendant plus fluide, et finalement plus proche de son premier essai que des deux précédents.
Et, en dépit de ce "radoucissement", le son est un tantinet plus "dirty", plus âpre. Un comme un vieux Marshall qui fait des merveilles dans les sons crémeux, mais qui ne parvient plus à restituer les pics de fréquences aiguës et vrillantes (ce qui n'est pas plus mal).
Elle a également pris l'option de soli plus courts, se recentrant ainsi plus sur la solidité de la chanson.

     Et puis il y a ce lot de morceaux où la Soul prendrait presque le dessus.
Par exemple, "Fool in Love" n'est rien d'autre qu'une pièce Souful - de toute beauté d'ailleurs -. Tout comme "Shiver & Sign". Soul encore, pour un langoureux slow avec "Tried, Tested & True", renforcé par des chœurs soutenant sa voix lors des refrains et un orgue emprunté à l'église du coin. Belle ballade aux douceurs Soul 60's, où se mélange des réminiscences d'Otis Redding, d'Hendrix.  "How can I feel it if I don't believe in it ? How can we re-gain it ? We've long cracked from the strain of it. Do you really to live on this sinking ship ? Or do you want to accept that there might be something out there that's better than this ?"
Du Blues-funky également avec "Wrecking Ball", emmené par une basse qui roucoule, sur laquelle se laisse emporte une rythmique claquante aux sonorités Fenderiennes.

Une petite mention spéciale à "Feels like Home" et à  sa rythmique boogie sautillante et virevoltante (qui là, par contre, sonne comme une Stratocaster - mais mademoiselle a fait customiser ses Telecaster par un sélecteur à 5 positions -).

L'album a été enregistré à Memphis, avec le producteur Jim Gaines, qui a eu la bonne idée de recruter des musiciens du coin, dont Steve Potts. Musicien au monstrueux C.V. (cousin d'Al Jackson Jr), batteur attitré des studios de Memphis qui a joué avec pratiquement tout le gotha de la Southern-Soul et que l'on retrouve sur les disques de Stephen Stills, Terence Trent d'Arby, Buddy Guy, Lucky Peterson, Johnny Lang, Otis Rush, Shemekia Copeland, Gregg Allman, Tony Joe White, Cindy Lauper, Neil Young, et tou récemment avec Paul Rodgers pour son "The Royal Sessions" (clic)

     Est-ce la présence du célèbre producteur Jim Gaines qui a permis de faire ressortir le meilleur de Joanne ? Pas impossible.
L'influence du lieu de l'enregistrement, Memphis, a-t'elle jouée ? Et ses musiciens expérimentés, irradiant naturellement du feeling du Blues et de la Soul ? Cela peut ne pas y être étranger.
Est-ce dû au fait que ce soit son premier disque réalisé sur son propre label (Axehouse Music), ce qui laisse subodorer qu'elle ait été totalement libre de ses choix et orientations ? Probablement.

Les albums précédents, en dépit d'une qualité indéniable, ne m'avaient pas totalement convaincu. "The Dirty Truth", lui, l'a fait. Si deux de ses disques précédents avaient été classés dans le Top 10 des meilleurs opus de Blues, que devrait-il en être de celui-ci?

Rappelons que c'est Dave Stewart qui l'avait découverte, alors qu'elle n'avait que 16 ans : "Cette jeune Anglaise joue avec une fougue et une passion qui m'ont fait dresser les cheveux sur la tête".
 Faut dire que Joanne a débuté la guitare à l'âge de 8 ans, en commençant par le Classique avant de se tourner vers le Blues à 13 ans, et que son frère et son père jouaient aussi (bien que le paternel soit plus branché Classic-Rock).
Elle remporte deux années de suite le titre de "meilleure chanteuse Anglaise" aux British Blues Awards, en 2010 et 2011.
En 2012, Annie Lennox la recrute pour sa prestation du jubilé de la reine en 2012.
Ce n'est pas sans raisons que cette Joanne a acquis le respect de Joe Bonamassa et qu'elle a pu jouer sur scène, côte à côte, avec Fred Chappelier, Bernie Marsden et Robin Trower (tournée commune avec ce dernier).




Seule, sans filet :



ooooooooooo

2 commentaires:

  1. Oui c'est surement son meilleur album, les autres me semblant un peu trop bourrin du moins à mes oreilles. J'ai un faible pour le titre "Shiver & Sign", vraiment très bon avec l'orgue hammond en second plan.

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    1. Je pense que Joanne a trouvé un style qui lui correspond, qui a de la personnalité et qui s’accommode mieux à sa voix.

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